L’Homme Irrationnel


Vie locale


15 octobre 2015

Crimes et Châtiments

Un meurtre est-il moralement tolérable s’il conduit à une amélioration de la condition humaine ?

Tel est l’interrogation fondamentale qui sous tend "Crimes et Châtiments", le grand roman russe du XIX siècle, de Feodor Dostoïevski et le film français éponyme réalisé en 1956 par Georges Lampin.

C’est également l’argument du dernier opus de Woody Allen qui, avec "L’homme irrationnel", achève sa trilogie dostoïevskienne commencée par "Crimes et délits" en 1989 et poursuivie par "Match point" en 2005.

Dans ce film, le cinéaste raconte ainsi l’histoire d’Abe Lucas (Joachim Phoenix), professeur de philosophie dans le Rhode Island, vieux prédateur sexuel déprimé et revenu de tout, harcelé par deux femmes, une collègue enseignante de son âge brillamment interprétée par l’égérie du cinéma indépendant new yorkais, Parker Posey, et par la jeune ravissante et rafraichissante Emma Stone (déjà à l’affiche de "Magic in the Moonlight" en 2014) étudiante étrangement aimantée par ce professeur alcoolique et blasé.

Abe Lucas perçoit d’autant plus sa vie comme un échec personnel qu’il n’a jamais totalement réussi à laisser son empreinte et s’est contenté d’écrire des articles bourrés d’érudition qui ont certes inspiré ses collègues et étudiants mais qui n’ont fait que souligner la vacuité de son existence.

Jusqu’au jour où il surprend une conversation à la terrasse d’un café d’une femme qui, inquiète de voir perdre la garde de son enfant à cause de liens supposés étroits entre son mari et le juge, souhaite ardemment la mort de ce dernier.

Notre professeur de philosophie va alors imaginer de commettre le crime parfait en assassinant le magistrat et en redonnant ainsi un sens à sa vie.

Bien évidemment, comme dans le roman de Dostoïevski, les évènements ne se dérouleront pas comme les protagonistes l’avaient prévu.

Woody Allen qui, est-il encore besoin de le répéter, est un des derniers grands génies vivants du cinéma mondial, nous offre, encore une fois, avec cette dernière partition, un moment de légèreté et de grâce, en nous donnant, sans en avoir l’air et avec le concours de brillants interprètes dirigés comme toujours au cordeau, une magnifique leçon de philosophie.

Evidemment, certains diront que "L’homme irrationnel" est en deçà de ses précédentes oeuvres ("Midnight in Paris" ou "Blue Jasmine") mais d’autres ont coutume de penser que le plus moyen des films de Woody Allen reste encore meilleur que le nec plus ultra de la production cinématographique contemporaine.

Bouder ce film constituerait alors à coup sûr un crime et votre châtiment n’en serait que plus inutile.


Robert CERESOLA