Les Barreaux de Grasse et de Nice unis face au risque d’altération de l’aide juridictionnelle


Droit


30 octobre 2015

Depuis un peu plus de 3 semaines, le Conseil National des Barreaux (CNB) a appelé les avocats à se mobiliser contre le projet de réforme de la ministre de la Justice Christiane Taubira.
Lors de son assemblée générale du 8 octobre, le CNB a voté une motion contre le projet de réforme de l’aide juridictionnelle. Depuis, le mouvement s’est amplifié dans toute la France.

A l’heure où nous bouclons cet article, le CNB, la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris ont obtenu la signature d’un protocole d’accord. Les parties prenantes conviennent de la poursuite des discussions pour rechercher d’une part, une contractualisation complémentaire pour permettre la convergence des 3 montants d’unité de valeur vers une unité de valeur unique ; d’autre part, une pérennisation du financement de l’aide juridictionnelle, prenant notamment en compte les propositions de la profession. Le CNB, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris invitent les bâtonniers à suspendre les actions en cours jusqu’à l’adoption par le Parlement dans le Projet de loi de finances et le Projet de loi de finances rectificative 2016 des dispositions des articles 1 et 2 du protocole d’accord.

La suppression de l’impôt CARPA de 15 millions d’euros et de toute contribution directe ou indirecte de la profession au financement de l’aide juridictionnelle est confirmée. La modification du barème qui prévoyait des baisses importantes de nombreuses missions est abandonnée. L’unité de valeur est revalorisée à 12,60% en moyenne avec une simplification de la modulation géographique en 3 groupes. Les crédits prévus au développement de la contractualisation vers les unités de valeurs sont redéployés. Ce protocole d’accord est une solution transitoire pour 2016 dans le cadre du redéploiement des crédits de l’aide juridictionnelle sans financement complémentaire. Les négociations avec le ministre de la justice, qui s’engage à étudier les propositions de la profession vont donc se poursuivre. Prochaine Assemblée générale du Bureau du Conseil National des barreaux les 20 et 21 novembre prochains.

La ministre souhaitait notamment faire voter un article 15 au projet de loi de finances 2016, portant sur la totalité de la taxation des produits financiers des CARPA (Produits financiers des fonds gérés par les avocats dans leurs caisses de règlements pécuniaires), pour abonder le budget de l’Etat et financer l’aide juridictionnelle. Cette taxe de 15 millions d’euros sur les produits financiers de la CARPA sera finalement mise de côté, la mobilisation nationale des avocats de tous les Barreaux de France, ayant fait reculer Madame la Ministre.

Regards croisés de Madame le Bâtonnier Catherine Bécret-Christophe et Monsieur le Bâtonnier Valentin Cesari, sur le projet de réforme de l’aide juridictionnelle.

Mme Catherine Bécret-Christophe, Bâtonnier de Grasse

Catherine Bécret Christophe, Bâtonnier du Barreau de Grasse © DR

Les désignations de Madame le Bâtonnier sont suspendues au Barreau de Grasse depuis le 13 octobre dernier. Suite à l’Assemblée Générale du 23 octobre 2015, le Bâtonnier a maintenu sa position et a renouvelé son appel aux avocats de son Barreau à soutenir le mouvement national de grève. Le Barreau de Grasse a élargi son mouvement de contestation en cessant toute activité judiciaire depuis le 26 octobre.
« Le projet de prélèvement sur les fonds CARPA a profondément touché les avocats du barreau de Grasse. En effet, les produits financiers des fonds CARPA servent d’ores et déjà au fonctionnement de l’aide juridictionnelle, pour un montant de 17 millions au niveau national. Or, on leur demande aujourd’hui, par ce nouveau prélèvement, de financer leur propre indemnisation lors de leur intervention au titre de l’aide juridictionnelle. »

Aide juridictionnelle : Focus sur le projet de baisse des unités de valeurs par affaire.
Pour chaque affaire, il existe un nombre d’unités de valeurs, qui constitue l’indemnisation des avocats au titre de l’aide juridictionnelle. Une unité de valeur représente 22 €. « A titre d’exemple, le nombre d’unités de valeurs pour un référé devant le Juge aux Affaires Familiales est de 8, soit une indemnisation de 8 x 22 €. Cela représente donc moins de 200€ pour une procédure d’urgence et de surcroît dans des affaires sensibles, où sont souvent concernés des enfants », explique Mme Bécret-Christophe. « Or, la ministre de la Justice Christiane Taubira souhaite réviser à la baisse le nombre d’unités de valeurs par affaire, ce qui entraînera encore une diminution de l’indemnisation de l’avocat. Les cabinets de grande ampleur peuvent se permettre de travailler sur certains dossiers peu rémunérés, mais les jeunes avocats ne peuvent plus se permettre de travailler à perte. Si les montants de l’aide juridictionnelle diminuent encore, l’impact économique serait conséquent sur les cabinets à taille humaine », ajoute-t-elle.
Autre exemple extrêmement parlant, « les affaires en matière correctionnelle représentent 8 unités de valeurs, c’est-à-dire, là encore, moins de 200 €. Enfin, devant le Tribunal de Police, le nombre d’unités de valeurs s’élève à 4, soit 88€ », rappelle Mme Bécret-Christophe.

NB : Les consultations gratuites destinées aux victimes des intempéries sont tout de même assurées vendredi 30 octobre au Palais de Justice de Grasse

M. Valentin Cesari, Bâtonnier de Nice

Valentin Cesari, Bâtonnier du Barreau de Nice © DR

La grève est totale et illimitée depuis le lancement du mouvement par le CNB.
« Nous suivons le mouvement unitaire », précise M. le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Nice.

« L’aide juridictionnelle doit rester une mission de l’Etat ».
« Quatre groupes de travail ont déjà été missionnés pour réfléchir sur la réforme de l’aide juridictionnelle » rappelle M. Valentin Cesari. Le sujet est donc récurrent dans la vie judiciaire. En 2007, une revalorisation des barèmes de l’aide juridictionnelle avait été proposée, mais n’avait pas été retenue.
M. Cesari insiste sur le fait que « l’aide juridictionnelle doit rester une mission de l’Etat […] Le budget consacré à l’aide juridictionnelle ne devrait pas constituer un budget à part ».
Dans le cadre du mouvement de grève, largement suivi par M. le Bâtonnier et son Barreau, 99,5% des affaires ont été renvoyées. M. Cesari craint que « les avocats financent finalement à moitié les CARPA ». En effet, les avocats du Barreau de Nice demandent la réévaluation des unités de valeurs, dans le cadre de l’atteinte à l’aide juridictionnelle. « Le projet de réforme risquerait d’amener à une baisse de l’indemnisation des avocats dans certaines matières », souligne M. Cesari. A titre d’illustration, la procédure devant le Juge aux Affaires Familiales, quant à l’exercice de l’autorité parentale, la contribution et l’éducation de l’enfant né « hors mariage », passerait de 16 à 13 unités de valeurs selon le projet de réforme. La baisse des unités de valeurs serait également prégnante en matière de litiges prud’homaux. Enfin, le nombre d’unités de valeurs pour un référé devant le Tribunal d’Instance, passerait de 16 à 6 unités de valeurs.
« Dans certains pays, comme la Roumanie (ndlr : le Barreau de Nice est jumelé avec celui de Bucarest), le nombre d’unités de valeurs est un pourcentage par rapport à l’intérêt du litige. Cela fonctionne avec le paiement d’un timbre fiscal », précise M. Cesari. Une idée à creuser ?
M. le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Nice conclut que le Barreau de Nice poursuivra le mouvement de grève, unifié et suivi presque totalement au niveau national, suivant les consignes du CNB.

Les deux Barreaux se rejoignent sur le fait que les montants accordés par l’Etat à l’aide juridictionnelle ne doivent pas diminuer, dans l’intérêt des justiciables et pour continuer à assurer une justice équitable.


Elsa Comiot