Le maître d’oeuvre peut voir sa responsabilité contractuelle engagée 16 ans après la réception des travaux


Droit


5 novembre 2015

Dans un très intéressant jugement (1), le tribunal administratif de Lille va considérer que les nouvelles règles de prescription civile issues de la réforme de 2008 s’appliquent également en droit public. Dès lors, le juge va juger que le maître de l’ouvrage peut rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre 15 ans après de la réception des travaux dès lors que les dommages sont apparus depuis moins de 5 ans.

Les faits de l’espèce permettent de mieux comprendre la portée de cette décision de justice. Le Centre Hospitalier d’Hénin-Beaumont a, ainsi, confié en 1993 la maîtrise d’œuvre des travaux de construction d’une maison de retraite à la SCP Denisse Architectes. La réception des travaux de gros-œuvre et de couverture a été prononcée le 28 avril 1996 avec effet au 13 mars 1995. En 2010, soit 15 ans après la réception des travaux, sont apparues des infiltrations d’eau dans la toiture et les murs de l’immeuble. Après avoir fait procéder à une expertise amiable et à un constat d’huissier, le Centre Hospitalier a déposé une demande d’expertise judiciaire. L’expert judiciaire a été désigné par ordonnance du 10 février 2011 et a rendu son rapport le 8 août 2011.

Dès le 27 octobre 2011, le Centre hospitalier a donc déposé un recours au fond afin d’obtenir la condamnation de la SCP Denisse Architectes à lui verser une indemnité de 333.870 € au titre des préjudices nés des infiltrations d’eau apparues en 2010 sur le fondement de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre. Plus précisément, le Centre hospitalier considère que le maître d’œuvre a manqué son obligation de conseil en omettant lors de la réception des travaux d’informer le maître de l’ouvrage des risques d’infiltration dans la toiture.

Ce litige pose donc la question de la possibilité de mettre en cause la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre 16 ans après la réception des travaux. Pour répondre positivement à cette question, le tribunal va faire application des articles 2224 et 2232 du Code civil tels qu’issus de la loi du 17 juin 2008 qui a modifié les prescriptions en matière civile.

Le tribunal va, ainsi, considérer qu’il y a lieu d’appliquer le « droit commun » défini par ces articles du Code civil aux actions en responsabilité engagées par une personne publique. Or, le Code civil (nouveaux articles 2224 et 2232) pose, désormais, en principe, que les actions en responsabilité se prescrivent au bout de 5 ans à compter de l’apparition des dommages, sans toutefois que l’action en responsabilité puisse être engagée 20 ans « à compter du jour de la naissance du droit ».

Dès lors, en matière de marchés publics de travaux, le délai de 5 ans pour engager la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre en raison de manquements commis lors de l’opération de réception des travaux ne commence pas à courir lors de la réception des travaux mais lors de l’apparition des désordres.

En l’espèce, l’action en responsabilité contractuelle du Centre Hospitalier Hénin-Beaumont n’est donc pas prescrite puisqu’elle a été engagée moins de 5 ans après l’apparition des désordres (désordres apparus en 2010 et requête déposée le 27 octobre 2011). De même, moins de 20 ans s’étaient écoulés entre la réception des travaux et le dépôt de la requête.

Sur le fond du dossier, le juge va reprendre les conclusions du rapport d’expertise pour considérer que la jonction entre les tuiles, les gouttières et les planches de rives n’a pas été réalisée dans les règles de l’art. Dès lors, le juge considère que le maître d’œuvre aurait dû attirer l’attention du maître de l’ouvrage sur ces malfaçons au cours de l’exécution des travaux ou dans le cadre de ses opérations de contrôle de qualité préalables à la réception. Le juge en arrive à la conclusion que le maître d’œuvre est responsable à hauteur de 40% du dommage subi par le Centre hospitalier. Sur le quantum, le tribunal ne va retenir que les préjudices démontrés par le Centre hospitalier, à savoir un montant de 16.876,71 euros. Faute de démonstration du lien de causalité avec les désordres constatés sur la toiture, le juge refuse, ainsi, de verser au maître de l’ouvrage une indemnité au titre de la perte d’exploitation à raison des chambres non occupés. Le maître d’œuvre est donc condamné à payer une somme de 6.750,68 €.

Ce jugement démontre que, faute de dispositions particulières applicables aux personnes publiques, le juge administratif va vraisemblablement appliquer les règles issues de la réforme du Code civil de 2008 pour déterminer si une action en responsabilité est ou non prescrite.

En l’espèce, en l’absence de décompte général et définitif, cet état du droit permet à un maître de l’ouvrage de rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre 16 ans après la réception des travaux.

(1) TA de Lille, 10 février 2015, Centre hospitalier d’Hénin-Beaumont, req. n°11.06262 conclusions Pierre-Olivier Caille (AJDA 2015).