Philippe Pradal : "les 14 juillet ne pourront plus jamais avoir le goût de la fête"


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17 juillet 2016

La lettre du maire Philippe Pradal aux Niçois :

« Jamais. Jamais nous n’aurions pu imaginer, même dans nos pires cauchemars, ce qui est survenu cette nuit du 14 juillet 2016. Jamais nous n’aurions cru ce que nous sommes obligés de croire, de voir, de vivre.
En cet instant, et pour longtemps, je ne pourrai penser qu’aux morts et aux blessés, aux victimes innocentes d’une sauvagerie invraisemblable.
En cet instant, je me demande comment nous avons pu en arriver là, comment nous avons, collectivement, pu enfanter des monstres tels l’être inhumain, la bête immonde qui a pu commettre ce massacre.
Ici, à Nice, les 14 juillet ne pourront plus jamais avoir le goût de la fête.
Comment saurons-nous, dans un an, dans dix ou dans vingt ans, chanter, danser, être heureux à nouveau alors que nous hantera le souvenir de corps sans vie, étendus sur une des plus belles avenues du monde devenue en quelques instants un indescriptible charnier ? La vie nous le dira. Je ne saurais prétendre répondre, pour moi ou pour vous, mais la seule chose que je me dis en cet instant est que, j’en suis certain, ce n’est qu’unis et solidaires que nous surmonterons !
Comment, à Nice, ville ouverte sur la Méditerranée et sur le monde, accueillant avec égards tous ceux qui y ont accosté et l’accostent, tous ceux qui l’aiment et la respecte. Comment Nice surmontera-t-elle l’outrage ?
Elle n’oubliera pas l’indicible, l’inimaginable. Elle n’oubliera pas les morts, les blessés, les traumatisés de cette nuit d’horreur. Elle cultivera toujours le souvenir de ces familles décimées alors même que les flonflons de la Fête nationale résonnaient.
Mais Nice, je le sais, surmontera en continuant de vivre, en dressant fièrement le visage de la vie face au masque de la mort. Parce que Nice est ce qu’elle est, une ville-phare, un endroit que le monde entier regarde, elle ne saurait donner gain de cause à ces barbares, à ces malades.
Nous ne renoncerons pas parce que nous n’en avons pas le droit, parce que nous ne le voulons pas.
Renoncer, baisser les yeux serait être complice des hordes sauvages. Renoncer serait injurier la mémoire de toutes celles et tous ceux dont la vie a été volée sur un morceau de macadam.
Détourner le regard serait nous détourner de nos valeurs, nous détourner des 14 juillet 1789 et 1790, de la prise de la Bastille et de la Fête de la Fédération.
Renoncer serait renier le siècle des Lumières et, plus encore, la civilisation que nos pères ont bâtie à travers les âges et injurier la mémoire des victimes de cette sinistre nuit.
Ce serait nous détourner de ce que nous sommes, de ce que nous voulons que nos enfants soient demain.
Alors que faire ? Que devons-nous faire pour résister, pour retourner vers ceux qui nous y vouent les flammes de l’enfer ?
Je crois que les événements gravissimes qui se sont succédé sur le sol national depuis plus de 18 mois et dont Nice, en ce 14 juillet, a été une nouvelle fois le théâtre nous imposent, purement et simplement, de rester nous-mêmes.
Être nous-mêmes, ce n’est pas simplement proclamer quelques valeurs, ce n’est pas, pour paraphraser le général de Gaulle parlant de l’Europe, sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « Liberté Egalité Fraternité », ou un autre joli mot se terminant en « té » !
Nice, plus que toute autre ville, peut et doit porter ce message. Si ses valeurs sont respectées, elle est une ville ouverte par sa géographie et la générosité de ses habitants ; elle est une ville accueillante, son histoire le prouve, à ceux qui l’aiment et veulent devenir niçois ; elle est une ville solidaire parce qu’elle sait que chacun de ses enfants doit pouvoir être assuré de sa générosité s’il l’aime comme il se doit.
Aujourd’hui nous avons plusieurs choses à faire :
En finir avec la contrition. Être fiers de nous, de notre histoire et de son bilan. Être fiers des valeurs que la France a offertes au monde et ne pas hésiter à proclamer qu’elles sont universelles parce qu’indépassables ;
En finir avec la contrition, en reconnaissant et en proclamant avec fierté que OUI la République française Une, Laïque et Indivisible tient ses valeurs fondamentales et fondatrices d’une sécularisation de valeurs profondément ancrées dans l’histoire multiséculaire de notre pays.
De grâce, ayons le courage de reconnaître et de proclamer que toutes les histoires ne mènent pas les peuples au même degré de civilisation. Arrêtons de croire que nous sommes obligés d’accepter ce que les autres n’acceptent pas. Arrêtons de mettre du droit de l’hommisme là où les autres mettent la charia !
Arrêtons d’être naïfs. Redevenons nous-mêmes.
Nous devons aller plus loin aujourd’hui. Nous n’avons plus le droit, sous prétexte d’une tolérance qui n’est à cette heure que pure lâcheté, d’accepter les signes extérieurs de radicalité.
Ayons le courage de nos valeurs. « N’ayez pas peur » nous exhortait Jean Paul II inaugurant son pontificat en octobre 1978, ouvrant ainsi symboliquement la voie à la chute de l’empire communiste. N’ayez pas honte ! rajouterai-je aujourd’hui, n’ayez pas honte de vos racines, de votre histoire, de votre civilisation, de votre contribution à l’histoire humaine et de ce que vous avez offert à ceux qui sont venus vers nous. N’ayez pas honte d’être vous, n’ayez pas honte de faire de notre liberté, de notre égalité, de notre fraternité un rempart contre les visées obscurantistes et la haine de sombres prêcheurs financés depuis l’étranger.
Au nom de nos morts, relevons l’oriflamme de nos valeurs. Nous sommes en guerre, ayons-en le courage, soyons dignes des victimes du 14 juillet.
Et puis, à l’heure où, sur le terrain, Daesh recule, renvoyant les troupes djihadistes et leur idéologie d’où elles venaient.
Ici, à Nice, certains de ceux qui ont gagné la Syrie ou l’Irak vont essayer de revenir. Ne nous faisons aucune illusion sur leurs intentions. Ne croyons pas leurs regrets. Le seul traitement qui puisse leur être réservé est, d’une façon ou d’une autre, la mise hors d’état de nuire, la neutralisation… L’Etat a les moyens de le faire.
Mais la preuve nous en est donnée par le portrait du tueur du jour : le risque ne vient pas forcément de l’étranger, des exilés de la prétendue guerre sainte.
Demain, et quand je dis demain ce n’est pas dans six mois, les services de sécurité devront avoir les moyens, techniques et juridiques, de mener leur mission en temps de guerre.
Nous ne pourrons pas combattre les hordes assassines avec un exemplaire de l’une ou l’autre des déclarations des droits de l’homme en main.
Nous ne pourrons pas défendre des valeurs, armés de simples illusions.
Nous ne gagnerons pas la guerre avec les armes de la paix.
Enfin, je dirai qu’en temps de guerre, on a besoin d’alliés. Et nous en avons ! Les messages affluent du monde entier témoignant de la sympathie et de la solidarité de gens, d’institutions, de groupements si divers, si variés et si nombreux que je ne pourrai tous les citer ou les remercier individuellement. Au nom des Niçoises et des Niçois, je les remercie tous très profondément, avec une force égale et une émotion identique qu’ils soient puissants et grands de ce monde ou qu’ils soient humbles et ne parlent qu’en leur propre nom."


Jean-Michel Chevalier