Décentralisation, commande publique : où va-t-on ?


Droit


31 mars 2017

La question est posée, mais qui connait la réponse ?
Le sort des collectivités locales d’une façon générale, a été bouleversé par les changements intervenus aussi bien dans le domaine de l’administration territoriale que dans celui très général de la commande publique.

Par Maître François WAGNER, Avocat Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis.

En ce qui concerne la décentralisation, on constate que l’on parvient à l’achèvement de ce qui a été appelé l’acte III caractérisé par la loi MAPTAM (modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ; loi du 27 janvier 2014) et surtout la loi NOTRe. Ce dernier texte, adopté le 6 août 2015, n’a rien à voir avec un célèbre cuisinier mais concerne la nouvelle organisation territoriale de la République.

On se dirige en réalité vers une suppression des départements initialement annoncée en 2001, rappelée par le premier ministre en 2014, et éventuellement une fusion du département avec un territoire métropolitain lorsqu’il existe ; en l’occurrence pourquoi pas les Alpes-Maritimes ?

Il faut dire qu’après la création de la première Métropole, dont le territoire a pu surprendre, l’avenir se joue essentiellement à l’est du département entre les trois plus importantes collectivités. Les budgets locaux montrent la prédominance de la Métropole Nice Côte d’Azur et du Département, ce dernier se trouvant lourdement impacté par la baisse continue des dotations de l’État.
La problématique est d’ailleurs d’actualité puisque le débat politique actuel pose la question de l’équilibre entre les ressources fiscales des collectivités et les dotations de l’État, alors même que le jacobinisme est de retour dans le langage politique.

Cela dit, véritable serpent de mer, la réforme des collectivités territoriales a un avantage sur le monstre du Loch Ness : elle existe. N’oublions pas que dès 1971 (!) la loi Marcellin entendait réduire le nombre de communes, ce sera un échec.
Passée la réforme de 1982, Jean-Pierre Chevènement en 1999 allait dans le même sens, par la loi éponyme qui se heurtera aux résistances des communes.
Le rapport du comité Balladur en mars 2009 se traduit par la fameuse phrase :
"Maintenant, il faut aboutir, il est temps de décider."…
Mais le temps … prend son temps et le moins que l’on puisse dire, est que cette réforme continue de progresser à un magnifique train de sénateur, sachant que l’on ne peut faire l’économie d’une révision de la constitution à prévoir : les juristes ont encore du pain sur la planche. D’ailleurs la "rapportite", fameuse maladie administrative française qui permet surtout d’attendre, a conduit également au … rapport Attali, Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, rendu en janvier 2008, qui prévoyait notamment de faire disparaître en dix ans l’échelon départemental… il fut d’ailleurs suivi d’un second rapport intitulé "Une ambition pour dix ans" en 2010.

Un nouveau Code des Marchés ?

Mais le comble de l’étrange est atteint dans le domaine de la commande publique : le vieux code des marchés publics de 1964 s’est vu succéder le Code de 2001. Toutefois, un décret de 2004 établissait un nouveau Code qui a été suivi par un décret du 1er août 2006 instituant … un nouveau Code des marchés publics…
Ce dernier a été finalement abrogé par l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et qui … n’a pas recréé de Code des marchés publics.
Enfin, et l’on pourra sourire, la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016 prévoit l’adoption d’un Code de la commande publique dont la partie législative devra être adoptée dans les … deux ans ! D’ici là, les élections présidentielle, législatives, sénatoriales de 2017 auront le temps de rajouter quelques ingrédients à la déconstruction - construction législative qui met en forme la soumission du droit français aux règles européennes.
D’ailleurs, s’agissant des collectivités locales, on rappellera que les seuils des procédures formalisées (appels d’offres etc…) permettent une certaine latitude puisque s’agissant des travaux le seuil est à 5 225 00 € étant à
209 000 € pour les fournitures et services : ces seuils sont européens. En deçà la procédure demeure très souple, c’est à dire adaptée ou voire même, dans certains cas, négociée sans publicité, ni mise en concurrence préalable.

Incertitudes juridiques

Pendant ce temps, les tribunaux n’ont pas chômé. Ainsi on citera le cas d’un établissement public de coopération intercommunale particulièrement important qui a fait l’objet d’une condamnation par la CAA de Marseille, car il avait refusé de prendre acte d’une renonciation à une cession de marché…. portant sur l’acquisition d’un logiciel de gestion des marchés publics (15MA02425).

Parfois ce sont des collectivités publiques qui s’affrontent entre elles devant le juge du contrat. Ainsi, dans le cadre d’une DSP, un syndicat intercommunal a pu demander la condamnation d’une communauté urbaine à une somme de 9 millions d’euros devant le juge d’appel, ce qui a conduit ce dernier, en 2015, à constater une situation d’enrichissement sans cause et une expertise (CAA 13MA03493).

Les débats peuvent évidemment porter sur les soldes de marchés au vu de quantités et de travaux supplémentaires. Ainsi à Nice, s’agissant d’un solde de marchés, l’aménagement des places Garibaldi et Toja a conduit à la mise en jeu de la responsabilité du contractant public et à une condamnation significative (CAA 13MA03006).
Enfin le Tribunal administratif de Nice a rappelé que le Juge du référé précontractuel est le juge de l’égalité des chances et n’a pas hésité à annuler une procédure formalisée, alors même que l’acheteur public ne pouvait avoir connaissance de l’irrégularité de l’offre (27/06/2016)

Pour conclure, la spécificité du droit français de la commande publique s’efface. Paradoxalement, à l’heure de la clause "Molière", contestée par l’intelligentsia européenne, le droit de la commande publique reste assez souvent du "volapük intégré". L’intercommunalité s’est traduit par un échec qui conduit à des centralisations de type régionale ou métropolitaine et les communes, à terme, deviendront dans leur majorité des vestiges d’un ordre hérité du XVIIIe siècle.
L’incertitude juridique est encore devant nous.


Maître François Wagner Avocat