L'exclusion d'un associé

L’exclusion d’un associé : une possibilité sous conditions

  • le 19 août 2015

« En toute entreprise, il n’y a rien de plus funeste que de mauvais associés (1) ». Trouver le bon associé n’est pas toujours chose aisée, et être sûr que celui choisi restera toujours un allié est encore plus difficile. Bien renseigné et conseillé, l’entrepreneur avisé prévoira, dès la constitution de sa société, une clause spécifique dans les statuts, permettant l’exclusion d’un associé contre son gré, non sans garanties et contreparties.

Cependant, la création d’une société est parfois un moment euphorisant, où l’on se dit que tout se passera bien, et si un associé décide de ne pas se retirer volontairement de la société, dès lors qu’un blocage surgit suite à des différences de vues, l’exclure est quasiment impossible, avec le risque d’une dissolution anticipée de la société suite à cette mésentente entre les associés qui paralyse entièrement son fonctionnement.

L’exclusion de l’associé statutairement prévue

L’article L. 227-16 du Code de commerce dispose, dans son premier alinéa, pour les sociétés par actions simplifiées (SAS), que « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé est tenu de céder ses actions ».

Une clause statutaire d’exclusion s’avère nécessaire, et ce dès la constitution de la société. En principe, sans une telle clause, l’exclusion d’un associé est impossible. La situation dans laquelle se retrouve la société est d’autant plus délicate que l’insertion dans les statuts de la clause d’exclusion ne peut être votée qu’à l’unanimité des associés (art. L. 227-19 du Code de commerce pour les SAS).

En outre, si l’exclusion n’est pas automatique, mais est subordonnée à une décision collective, l’associé futur exclu a droit de vote sur la proposition. Une clause statutaire prévoyant l’exclusion du vote de l’associé futur exclu est réputée non-écrite.

Pour éviter tout blocage, trois solutions sont possibles :

- soit l’exclusion est soumise à une règle de majorité simple, avec un quorum restreint ;

- soit elle n’est pas subordonnée à une décision collective des associés, mais à une décision d’un autre organe de la société (le président, un comité, etc.) ou d’un tiers approuvé ;

- soit l’exclusion reste subordonnée à une décision collective des associés, mais les droits de vote, pour cette décision d’exclusion, ne sont plus corrélés au quantum d’actions possédé par chacun, mais au principe « un homme, une voix » : cela permet d’éviter toute tentative d’obstacle par un majoritaire.

Dans tous les cas, la clause statutaire d’exclusion doit être suffisamment précise, sur la base de critères objectifs. En outre, l’associé futur exclu doit pouvoir se défendre, au nom du principe du contradictoire : d’où la nécessité de critères objectifs, fondant les griefs articulés contre cet associé.

Les motifs justifiant l’exclusion d’un associé doivent être suffisamment graves, compte tenu des conséquences sévères de la mesure. La principale conséquence tient au droit de propriété, consacré à l’article 544 du Code civil, auquel le juge reste sensible. Ainsi, les règles de rachat des titres détenus par l’associé exclu devront être statutairement prévues, de manière à ce que la condition d’une indemnité juste et préalable, exigée par l’article 545 du Code civil, soit respectée, l’associé exclu étant privé de sa propriété.

Enfin, la clause statutaire d’exclusion ne peut aucunement stipuler que l’associé concerné par la procédure d’exclusion renoncera à ester en justice pour garantir ses droits, notamment par rapport à la possibilité qui lui est offerte d’intenter une action en dissolution de la société. En effet, l’article 1844-7, 5°, du Code civil, prévoit le cas de la dissolution anticipée de la société, prononcée judiciairement, en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société. Cependant, si la clause d’exclusion est rédigée de manière précise, équitable pour tous les associés, et non-arbitraire, les associés se défendant à l’égard de l’exclu peuvent demander au juge saisi d’appliquer cette clause d’exclusion, lui conférant in fine une autorité supra legem.

L’impossible exclusion judiciaire de l’associé

Par principe, l’exclusion judiciaire d’un associé, non prévue par les textes, est refusée par le juge (2) . Ainsi, une cour d’appel avait prononcé l’exclusion judiciaire d’un associé (3) , en se basant sur la « thèse institutionnelle », selon laquelle une société ne constitue pas un simple contrat abandonné à la volonté des associés, mais plutôt une institution, un corps social dépassant les volontés de chacun ; dès lors, l’intérêt social doit être pris en compte et « les associés n’ont pas un droit intangible à faire partie de la société ».

Critiquée par la doctrine (4) , alors même que la thèse institutionnelle était développée classiquement par la Cour de cassation (5) , cette position a été abandonnée au profit de la « théorie contractuelle », que le juge du Quai de l’Horloge a rappelée dans un arrêt de principe : lorsque l’associé exclu, en dehors de toute clause expresse dans les statuts, demande la dissolution anticipée de la société sur la base du 5° de l’article 1844-7 du Code civil, le juge ne peut forcer l’associé exclu à céder ses parts à la société ou aux autres associés. Ainsi, en cas de paralysie de la société pour mésentente entre les associés, seule la dissolution anticipée est possible.

La nomination, par un juge, d’un administrateur provisoire (encore appelé administrateur judiciaire) est possible. Il s’agit en principe d’une mesure exceptionnelle, destinée à remédier à une situation de crise mettant à mal le fonctionnement de la société, la menaçant d’un péril imminent. Mais les tribunaux estiment souvent que la demande de nomination d’un tel administrateur apparaît injustifiée lorsque le conflit opposant les associés résulte d’une grave mésentente entre eux (6), dès lors que les associés majoritaires sont en accord, et ainsi en mesure de diriger la société.

Il ne saurait, dès lors, être vivement conseillé que de prévoir une clause statutaire d’exclusion suffisamment claire, précise et objective, de manière à éviter toute situation de blocage pouvant aboutir à une dissolution judiciaire anticipée de la société.

Par Charles DELAVENNE, avocat associé et Maxence DUBREUCQ

1/ Eschyle, Les Sept Contre Thèbes

2/ Par ex. Cass. com., 08/03/2005, n°02-17.692.

3/ CA Reims, 1e ch., 24/04/1989, Blan et a. c/ Cts Gasparini.

4/ Par ex. JCP 1990, II, 15677, obs. Viandier et Caussain.

5/ Cass. com., 25/02/1964 : Bull. civ. III, n°99.

6/ Par ex. Cass. com., 06/02/2007, n°05-19.008.

Photo de Une : Dr Photos Libres de droit

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