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Assises Barreaux de la Méditerranée : « Le procès médiatisé a conduit à l’émergence d’une justice médiatique »

Réunis à Nice dans le cadre des Assises des Barreaux de la Méditerranée, de nombreux avocats ont échangé sur les dangers, pour la justice, du tribunal médiatique.

«  L’avocat face au tribunal médiatique ». Le Barreau de Nice, retenu par la Fédération européenne des barreaux (FBE) pour organiser cet événement de premier plan, avait choisi un thème d’actualité, mais pas récent, et d’une extrême complexité. « Le thème que vous avez retenu est tellement d’actualité », a confié vendredi 17 mars, en ouverture de l’événement, Christian Estrosi. «  Comment concilier la justice, la liberté des médias, le droit des victimes et les libertés fondamentales dans le monde que nous connaissons actuellement ?  », s’est interrogé le maire de Nice. La ville était partenaire de l’événement, qui avait lieu à l’Hôtel Negresco les 17 et 18 mars, au même titre que la Région Sud, le CRT Côte d’Azur, le Conseil national des barreaux (CNB) et la Conférence des Bâtonniers.

Adrien Verrier Bâtonnier de Nice ©V.B

En introduction, le Bâtonnier du Barreau de Nice Adrien Verrier a fait référence à deux sujets d’actualité pour mettre en lumière deux facettes des médias. Il a d’abord mentionné un article du journal Le Parisien/Aujourd’hui en France paru le jeudi 16 mars à l’occasion des 10 ans de l’émission Cash Investigation. Le titre de l’article : « Référence ou Tribunal médiatique ? ». « Personnellement, mon choix est fait, quant à savoir de quel côté on se place  », a confié Me Verrier. « Quand on voit les investigations qui sont menées, la façon dont elles sont menées, l’orientation qui est prise où on a l’impression que la présentatrice vient s’ériger en procureure, ou en juge, pour expliquer que les personnes qu’elle a en face d’elle ont droit à la parole en dernier, pour leur défense, alors que nous sommes totalement hors le cadre judiciaire... À l’inverse, nous, avocats, utilisons parfois la presse pour servir de relais dans le cadre de différents problèmes que nous pouvons relever », a-t-il poursuivi, prenant l’exemple de sa récente visite à la Caserne Auvare de Nice afin de dénoncer les conditions indignes des gardés à vue au service des Écrous du commissariat central.

Basculement

Le Bâtonnier a également eu quelques mots élogieux à l’attention de Céline Lasek, avocate de Pierre Palmade : « Pendant que certains avocats ou autres experts en tous genres se pavanaient sur les plateaux de télévision pour expliquer pourquoi il fallait incarcérer Pierre Palmade ou le remettre en liberté, ou l’envoyer en prison pour la perpétuité, elle négociait âprement avec le juge d’instruction pour essayer de trouver une solution pour éviter l’incarcération de son client. Elle ne s’est jamais exprimée dans les médias parce qu’elle considérait qu’il était dans l’intérêt absolu de son client qu’elle se taise et la suite a bien démontré qu’elle avait raison ».

Cécile Schwal Vice-Bâtonnière de Nice ©S.G

Dans son discours introductif, la Vice-Bâtonnière du Barreau de Nice Cécile Schwal s’est, elle, intéressée au basculement de la médiatisation du procès vers le procès médiatique. « Le procès médiatisé permet une bonne justice et révèle les abus et les injustices au public. Néanmoins, le procès médiatisé a conduit à l’émergence d’une justice médiatique qui s’est peu à peu détachée du procès judiciaire », a-t-elle expliqué avant de détailler le processus : « Le développement des chaînes d’information en continu, nouveauté du siècle, a créé un besoin d’information immédiate et rapide. Cette information devient une source de divertissement du grand public. C’est ainsi qu’à chaque arrestation d’un suspect lors d’un fait divers médiatique, certains médias semblent organiser un véritable jeu d’enquête à destination des téléspectateurs. Au fil des heures, des éléments d’enquête pourtant confidentiels sont révélés au grand public. Des propos tenus lors d’une garde à vue fuitent dans la presse. Le suspect, sans le savoir, se retrouve à la Une des journaux télé alors que l’enquête vient à peine de débuter  ».

Apogée

Pour Maître Schwal, «  le tribunal médiatique connaît son apogée avec des affaires à connotation sexuelle », prenant en exemple l’affaire Julien Bayou, dont «  l’accusation était 100 % médiatique », sans la moindre enquête policière.

Jérôme Gavaudan président du CNB ©CNB

Invité également à s’exprimer dans le cadre de ces Assises, le président du CNB, Jérôme Gavaudan, a mis en avant la crise de confiance dans l’institution judiciaire : « Si les médias prennent la place de l’institution judiciaire c’est parce que l’institution judiciaire n’arrive pas, avec l’accélération du temps ou avec les moyens qu’elle n’a pas, à remplir son office. C’est le constat : la justice médiatique prend sa place parce que la justice n’arrive plus à tenir la sienne. On se tourne vers l’instantané, les réseaux sociaux, les médias ». Il a avancé des solutions possibles comme celle à l’étude de la constitution d’un « pool d’avocats référents, prêts à répondre techniquement et précisément aux questions des journalistes, qui passeront par le CNB pour être orientés vers le bon conseil ».
Enfin, Bruno Blanquer, président de la Conférence des Bâtonniers, a rappelé que si le tribunal médiatique était bien un sujet d’actualité, il s’agissait sans doute d’un sujet existant «  depuis la nuit des temps ». Il a cité le « J’accuse  » d’Emile Zola, le traité sur la tolérance de Voltaire à l’occasion de l’affaire Calas et plus récemment l’affaire Patrick Henry, «  condamné par le tribunal médiatique et sauvé par un avocat », Robert Badinter, de la peine de mort.

Visuel de Une : L’événement a été organisé au Negresco DR

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