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Me Alain Jakubowicz : « Notre justice pénale est viciée »

Un cri du cœur. L’avocat du Barreau de Lyon a livré un témoignage fort à l’issue de la première table ronde « Le Tribunal médiatique : remède ou cancer de la justice du XXIe siècle ? ».

Pour lui, pas de doute : «  Oui c’est un cancer et les métastases sont terrifiantes  ». « Je ne parle pas de la presse, je parle du tribunal médiatique », a assuré Me Jakubowicz, qui a prêté serment en 1976.
«  Notre justice pénale est viciée, ab initio, lorsque nos clients comparaissent devant des juridictions correctionnelles ou criminelles et qu’ils ont été jugés par avance, a-t-il expliqué. Pourquoi est-ce que notre système est vicié ? Parce que normalement, d’après notre Code de procédure pénale, lorsque nous arrivons dans une cour d’Assises, les jurés doivent tout ignorer de la personne qu’ils ont à juger et des faits qui lui sont reprochés. Aujourd’hui, les jurés arrivent en ayant leur jugement par le biais de la presse ! Avec ce système, d’une hypocrisie totale, qui consiste à interdire d’évoquer un témoignage devant une cour d’Assises avant que le témoin ne soit venu, alors que la veille ce même témoin est allé déposer devant une chaîne de télévision, à quoi ressemble notre justice ? Pour moi, clairement, c’est un cancer. C’est un cancer qui confine au viol de notre institution judiciaire. Et quand je parle de viol, je parle de viol au sens premier, d’intromission. Cette presse pénètre notre justice, avec des conséquences qui sont dévastatrices. L’avocat confronté à cela est un homme ou une femme seule. Qui plus est confronté aux menaces, aux injures, notamment sur les réseaux sociaux », a poursuivi le célèbre avocat lyonnais, qui a participé en tant que partie civile aux trois grands procès pour crimes contre l’humanité d’après-guerre (Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon).

Me Jakubowicz ©S.G

Il a souhaité que ces Assises permettent de faire émerger « des choses concrètes au niveau de nos barreaux pour dire haut et fort que ce mal va finir par pourrir définitivement notre justice ». Auparavant, au cours de la première des quatre tables rondes de ces Assises organisées à Nice, le professeur de droit privé Gustavo Cerqueira, enseignant à l’Université Côte d’Azur, s’est posé la question de l’état de santé de la justice. La justice est pour le moins souffrante, selon lui. Un diagnostic confirmé par les états généraux de la justice et par le garde des Sceaux lui-même.

« Logique d’audience »

Gustavo Cerqueira a relevé que la justice ne pouvait pas remplacer la justice judiciaire, tout simplement parce qu’il n’y a «  pas de procès dans le tribunal médiatique, qui fonctionne selon une logique d’audience ». Or « c’est le droit qui permet de garantir la paix sociale. Le débat judiciaire se propose d’apaiser les passions », a poursuivi le professeur de droit. «  La démocratie est en danger quand, au nom de la morale, certains prétendent instruire des procès », a-t-il assuré. Au sujet du traitement possible pour soigner la justice, il a avancé que « le traitement de tout malade dépend de la prédisposition du patient  ». «  La justice doit se ressaisir », a-t-il affirmé, afin de ne pas laisser d’espace « à la vengeance privée ». Il a également estimé que l’État «  devrait aller au-delà de sa politique managériale pour redéfinir les missions de la justice, opérer un changement de paradigme et ne pas se contenter des éléments de gestion de la masse ».
L’ancien premier président de la Cour d’appel de Paris, Jean-Michel Hayat, a, lui, proposé de recourir plus systématiquement à l’article 9-1 du Code civil : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ». Jean-Michel Hayat souhaite également que soit mis fin à l’anonymat sur les réseaux sociaux : « Pourquoi s’obstine-t-on à maintenir l’anonymat alors que dans le droit de la presse le directeur de la publication sait à quoi il s’expose en cas d’attaques diffamatoires ? On m’oppose qu’on protège les lanceurs d’alerte. Mais on laisse faire ceux qui instillent la haine. Car c’est bien l’anonymat qui favorise tout type d’attaques : sexistes, racistes, antisémites, complotistes ».

Photo de Une ©S.G

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