Google : Street View confronté au droit des personnes

  • le 16 janvier 2009

Le service « Street View » de Google qui permet de se déplacer virtuellement dans les plus grandes villes de France pose de nombreuses questions juridiques, notamment en matière de propriété intellectuelle et de protection de la vie privée et des données personnelles.

- Google a intégré à son service Google Maps France « Street View », qui permet de se promener virtuellement dans les plus grandes villes de France ( Paris, Lyon, Marseille et Toulouse), à partir d’images de rue prises à 360°, de zoomer sur les lieux nous intéressant, et qui peut être utilisé sur un mobile . Des partenaires peuvent y adjoindre d’autres services, comme « Cityvox » pour trouver des restaurants à Paris, « Drimki » des annonces immobilières, ou « Telerama » qui propose un parcours culturel, etc.

- Dans une vidéo sur Youtube intitulée « Street View et le respect de la vie privée », Google explique sa politique en la matière. Les images ne sont pas prises en temps réel. Les personnes qui le désirent peuvent demander le floutage de certaines images.

- Depuis la création de ce service, la problématique a enflé aux Etats Unis, le floutage n’étant proposé qu’a posteriori. Si l’on peut louer l’initiative de Google en ce sens, certaines problèmes juridiques persistent.

Droits sur les photos

- Tout d’abord, des problématiques liées à la propriété intellectuelle. L’article L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit ainsi que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. A ce titre, l’ensemble des photographies proposées avec Street View est susceptible d’être protégé par le droit d’auteur. Ce droit appartient, par principe, au photographe lui-même, considéré comme l’auteur de l’œuvre réalisée, même s’il est salarié. Toutefois, un contrat de cession de ses droits peut être conclu au bénéfice d’un tiers, qui pourra dès lors l’exploiter dans les conditions fixées contractuellement.

Google rappelle ainsi, dans ses conditions d’utilisation de Google Maps, qu’il conserve les droits de propriété concernant les photographies, celles-ci étant protégées par copyright et ne pouvant être copiées, modifiées ou fusionnées avec d’autres données, ou logiciels.

- Dès lors, toute exploitation d’une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur est soumise à l’autorisation de son auteur. En l’espèce, la licence consentie par Google aux visiteurs sur les photos présentées dans Street View est une licence non exclusive et non transférable. De plus, l’utilisation des photos dans un environnement commercial ou professionnel, ou à des fins commerciales ou professionnelles pour le compte de l’utilisateur ou celui de tiers est interdit. Toute modification des photographies est également prohibée. Ainsi, même le propriétaire d’un logement photographiée ne peut réutiliser le cliché de sa maison présentée sur Street View sans l’autorisation de Google.

- Droits des architectes et sculpteurs

Au-delà du droit de propriété intellectuelle protégeant les photographies elles-mêmes, on peut aussi s’interroger sur les droits détenus par les auteurs des œuvres elles-mêmes représentées sur les photographies. Il peut s’agir, par exemple, d’immeubles réalisés par un architecte et non tombés dans le domaine public, d’œuvres d’art intégrées dans le paysage urbain (sculptures, par exemple). Ces éléments bénéficient également d’une protection par le droit d’auteur ; dès lors leur reproduction ou leur représentation est soumise à l’autorisation de l’auteur. Dans ce contexte, il convient de savoir si Google a demandé les autorisations aux auteurs dont les œuvres sont susceptibles d’être représentées sur les photos proposées par Street View .

- Droits à la vie privée

Ce nouveau service pose deux autres problématiques juridiques, liées, au droit à la vie privée visé à l’article 9 du Code Civil ( toute personne a droit à la protection de sa vie privée, même s’il s’agit d’une personne connue), et au droit des données personnelles, objet d’un cadre juridique précis et commun à l’ensemble de l’Union Européenne, et protégé par des autorités administratives indépendantes, comme la Cnil en France, ou le G29, qui regroupe les Cnil européennes.

Aux Etats-Unis, Street View se heurte à nombreux opposants, sur le fondement du droit à la vie privée, alors même que le droit des données personnelles bénéficie d’une moindre protection.

Suite à ces difficultés, Google a décidé de lancer en Europe une version du logiciel prévoyant un floutage automatique des visages et des plaques d’immatriculation avant mise en ligne. Il s’agit d’un processus entièrement automatisé. Toutefois, en visionnant le logiciel, on s’aperçoit de quelques dysfonctionnements ou imperfections.

Pour parer à ces critiques, le groupe a aussi mis en place une procédure de dénonciation sur deux fondements principaux : les problèmes liés au respect de la vie privée, ainsi que les contenus inappropriés, soit essentiellement les contenus de nature choquante. Le droit au respect de la vie privée est entendu comme la possibilité de demander le floutage d’un visage ou que soit retiré un domicile, une voiture, ou une plaque d’immatriculation.

Là encore, on peut s’interroger sur la légitimité de ces procédures, qui prévoient la diffusion a priori et le retrait a posteriori sur demande manifeste. En d’autres termes, c’est à partir du moment où l’utilisateur s’aperçoit d’un problème qu’il peut demander le retrait, s’il en a connaissance. A ce stade, on peut s’imaginer que le plaignant a potentiellement déjà subi les conséquences de la diffusion de son image, de son véhicule ou domicile.

L’article 9 du Code Civil prévoit en effet que chacun a droit au respect de sa vie privée. L’image est un attribut de cette vie privée, protégée contre toutes les fixations et diffusions non autorisées.

En outre, si les visages sont floutées, néanmoins les personnes représentées peuvent rester reconnaissables, du fait notamment de leur habillement ou attributs (vélo, poussette, etc.). De même, la plupart des plaques d’immatriculation représentées sont floutées mais le contexte permet aisément d’identifier les véhicules.

Si des précautions semblent avoir été prises pour assurer la confidentialité des éléments représentés, des actions ne sont pas à exclure à l’encontre de Google, dès lors que des images prises serviront de support à des contentieux contre les tiers. Et la procédure de dénonciation mise en place par Google vise certainement aussi à éviter les litiges auxquels le groupe pourrait faire face. En effet, toute faute engage son auteur. La diffusion d’un contenu portant atteinte au droit à la vie privée d’une personne est susceptible d’engager la responsabilité de l’éditeur de l’outil à l’origine de la diffusion.

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