Accidents et maladies

Accidents et maladies professionnels : une nouvelle épée de Damoclès pour les employeurs

Faute pour le législateur d’avoir pris ses responsabilités, la jurisprudence n’hésite pas à s’attaquer à la notion d’accident du travail et de maladie professionnelle. Avec des conséquences importantes pour les entreprises. La liste des préjudices à réparer, en cas de faute inexcusable de l’employeur, s’allonge. Explication.

Une définition légale

L’article L 411-1 du Code de la sécurité sociale définit comme accident du travail, « quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu, par le fait ou à l’occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette définition très large a laissé à la Cour de cassation une importante latitude d’interprétation. Un seul argument suffit à étayer cette affirmation : alors qu’auparavant la Chambre sociale faisait la différence entre les accidents survenus pendant la mission et ceux y étant étrangers, dans un arrêt du 19 juillet 2001, elle a décidé que tout accident, qui trouvait sa source dans la mission, devait être considéré comme un accident du travail ; peu importe qu’il survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante.

Quant à la maladie professionnelle, la situation paraît plus simple. En effet, toute maladie désignée dans un tableau de maladies inscrites et définies par le Code de la sécurité sociale est présumée d’origine professionnelle (CSS, art L 462-1). Toutefois, le législateur a étendu cette possibilité de reconnaissance par la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 pour les maladies ne figurant pas sur un tableau ou celles inscrites sur un tableau mais pour lesquelles une ou plusieurs conditions ne sont pas réunies ; et ce, après avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CSS, art L 461).

Un système favorable aux employeurs basé sur la réparation forfaitaire

Le système prévu par la loi de 1898 relative aux « responsabilités des accidents dont les assurés sont victimes dans leur travail », repose sur la réparation forfaitaire. Un régime favorable aux employeurs, mais en revanche moins faste pour les salariés, ces derniers ne bénéficiant pas d’une réparation intégrale. Or, certains systèmes de responsabilité accordent une réparation intégrale (pour les accidents de la circulation, par exemple). Et, même au sein des accidents du travail et des maladies professionnelles, se sont développées des « niches » de réparation intégrale : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a ainsi créé un fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante et posé le principe de la réparation intégrale.

On comprend alors mieux que les salariés, dans le but d’obtenir une majoration de leur rente - pouvant aller jusqu’au dernier salaire (CSS, art L 452-2) - n’hésitent pas à demander la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, en cas d’accident ou de maladie professionnels. Et il est clair que la Cour de cassation a facilité ce recours en décidant qu’ « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu, envers celui-ci, d’une obligation de sécurité de résultat, notamment, en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits utilisés par l’entreprise [1] »

La portée des arrêts du 4 avril 2012

Suivant l’article L 452-3 du Code de la sécurité sociale, « indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit (...), la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ». Or, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC du 18 juin 2010), le Conseil constitutionnel a décidé, qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de cet article ne sauraient, « sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ». En résumé, le Conseil reconnaît à la victime le droit de ne pas se contenter de l’énumération de l’article L.452-3 mais de demander la réparation intégrale du préjudice subi.

La Cour de cassation a fait une application directe de ce principe dans ses arrêts du 4 avril dernier [2]. Elle admet ainsi l’indemnisation de préjudices complémentaires, le préjudice sexuel et le déficit fonctionnel temporaire qui, « inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique », et valide les frais de réaménagement du domicile ou du véhicule, en cas de handicap. En revanche, elle a refusé l’indemnisation complémentaire au titre des pertes de gains professionnels, déficit fonctionnel permanent, ou des frais médicaux et autre frais transport (ces indemnisations étant prises en compte au travers de la rente, notamment).

Enfin, il incombe désormais à la caisse primaire d’assurance maladie de faire l’avance à la victime de l’ensemble des réparations qui lui sont allouées, sans distinction, selon qu’elles correspondent à des chefs de préjudice énumérés à l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, ou se rapportent à d’autres, tels le préjudice sexuel ou le déficit fonctionnel temporaire.

Ces décisions ne sont pas sans conséquences pour l’entreprise. Si la caisse de sécurité sociale paiera, elle se retournera ensuite contre l’employeur. Il ne faut pas oublier, en effet, que suivant l’article L 452-4 du Code de la sécurité sociale « l’auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci », sachant que « l’employeur peut s’assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable ou de la faute de ceux qu’il s’est substitué dans la direction de l’entreprise ou de l’établissement ». Il n’est donc pas inutile de jeter un coup d’œil sur les contrats d’assurance car, il y a fort à parier que les nouveaux postes d’indemnisation ne sont pas assurés, surtout si la rédaction des contrats fait référence aux articles L452-1 à L452-4 du Code de la sécurité sociale, comme condition d’application de la garantie… !

[1Cass. soc. 28 février 2002. pourvoi n° 99-17201 - Voir pour une position identique en matière d’accident du travail : Cass. soc. 11 avril 2002. pourvoi n° 00-16535

[2Pourvois 11-18.014, 11-12.299, 11-14.311, 11-15.393

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