Aide juridictionnelle :

Aide juridictionnelle : Taubira cède aux avocats

Comment financer la suppression du timbre de 35 euros exigé des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ? La garde des Sceaux, qui renonce à baisser le budget global consacré à ce soutien, doit racler les fonds de tiroir.

Quand la droite est aux affaires, on peut compter sur les avocats pour protester contre les lois répressives ou les réformes de la garde à vue. Lorsque la gauche est au pouvoir, le Barreau concentre ses réclamations sur le budget de la Justice, singulièrement sur le financement de l’aide juridictionnelle (AJ). L’assistance gratuite d’un défenseur, dont bénéficient les justiciables les plus pauvres, est reversée aux praticiens, en principe, quelques mois après le jugement. Son financement faisait déjà grincer des dents sous Jospin, quand Elisabeth Guigou puis Marylise Lebranchu étaient gardes des Sceaux. Aujourd’hui, c’est Christiane Taubira qui essuie la fureur des robes noires.

La ministre en a fait l’expérience le 5 octobre, dans l’auditorium du palais Brongniart, où se déroulait l’assemblée générale « extraordinaire », mais néanmoins annuelle, du Conseil national des barreaux (CNB). « Je savais que l’ambiance serait à la poudre », jauge la ministre, face à quelques centaines de représentants de la profession venus de toute la France. A l’origine de la fronde figure pourtant une promesse tenue. L’an dernier, au même endroit, Christiane Taubira avait, contre toute attente, assuré aux avocats que le timbre d’une valeur de 35 euros exigé des bénéficiaires de l’AJ, depuis 2011, serait supprimé. L’« AJ » n’était alors pas la préoccupation majeure des avocats, ce jour-là concentrés sur la « déclaration de soupçon » exigée par l’Etat et l’Union européenne, qui menaçait, selon eux, leur secret professionnel. Le ténor du barreau Christian Charrière-Bournazel, qui présidait encore le CNB, avait simplement proposé, au fil de son propos, que les recettes liées à la taxe soient reversées aux avocats. Mais Christiane Taubira avait supprimé la taxe. Et la suppression d’une recette, de nos jours, nécessite une compensation. La ministre estime le montant du manque à gagner à « 60 millions d’euros ».

La Chancellerie avait ensuite commencé une chasse à la trésorerie qui n’est pas encore terminée. Il y a quelques semaines, à la mi-septembre, la solution proposée par le ministère consistait en une « démodulation » de l’aide juridictionnelle. Cela mérite une explication. L’aide est en effet modulée, département par département, en fonction de critères géographiques et économiques. Un avocat commis d’office touche une somme plus élevée s’il exerce dans les barreaux de Bobigny ou Lille que s’il plaide à Paris. Démoduler, c’est aligner l’indemnisation sur celle perçue par les avocats parisiens. Les praticiens de la Capitale, les plus nombreux et les plus visibles, n’y voient que du feu et l’opération permet d’économiser 32 millions d’euros. Pour la profession, toutefois, c’est une déclaration de guerre. « Cette situation est totalement inadmissible, surtout venant d’un gouvernement de gauche ! », tonne Jean-Marie Burguburu, élu président du CNB suite à la démission tonitruante de son prédécesseur en juillet. « Vous avez touché au fonds de l’aide juridictionnelle. Que n’avez-vous fait là ? », demande-t-il à la ministre, assise au premier rang dans la salle du palais Brongniart.

Remplir les caisses

La fronde est d’autant plus éclatante que le président du CNB prend le soin, sur d’autres sujets, de caresser la ministre dans le sens du poil. Ainsi, sur la réforme pénale qui a animé un débat Taubira-Valls tout l’été, la profession prend le parti de la garde des Sceaux. « Le grand public est chauffé à blanc par les médias et les syndicats de policiers. Et d’ailleurs, au sein même du gouvernement… Mais cela ne vous arrête pas et nous non plus ! », s’exclame Jean-Marie Burguburu. Un soutien que la ministre saura apprécier à sa juste valeur. Même si cela ne remplit pas les caisses. Face aux praticiens, la garde des Sceaux doit renoncer à la « démodulation ». « Avec l’accord du Premier ministre, je présenterai un amendement au projet de loi de Finances pour faire annuler son application », lâche-t-elle.

Reste à compenser les pertes annoncées. Selon la Chancellerie, pas moins de « onze solutions » sont examinées. En pratique, toutefois, seules trois possibilités se présentent, qui comportent toutes « quelques inconvénients », comme le reconnaît la ministre elle-même. La première solution consisterait à taxer les gros cabinets des professionnels du droit, avocats, notaires ou huissiers. « 0,2% sur le chiffre d’affaires, à partir d’un seuil », précise Christiane Taubira qui baptise le montage « solidarité à l’intérieur d’une profession ». Les cabinets d’affaires parisiens, où personne n’a jamais vu de sa vie le moindre dossier de demande d’aide juridictionnelle, seraient ainsi mis à contribution pour contribuer au renflouement des jeunes praticiens, qui ne vivent que de comparutions immédiates. Les études de notaires, elles aussi, seraient concernées, affirme la ministre. Ce qu’elle n’avait pourtant pas dit devant les praticiens, réunis en congrès à Lyon, en juin dernier. Cafouillage. Face aux avocats, Christiane Taubira tente de se justifier : « je n’ai pas évoqué le sujet devant les notaires car, à ce moment-là, le projet était enterré », assure-t-elle, provoquant incompréhension, rires et huées dans la salle. En tous cas, la taxation des gros cabinets, le CNB n’en veut pas. Elle est « irrecevable, inadmissible », s’insurge Jean-Marie Burguburu, qui s’interroge : « Demande-t-on aux médecins de financer les hôpitaux publics ? Aux architectes de financer les HLM ? ».

Économies de gestion

Restent deux solutions. Tout d’abord, la taxation des contrats d’assurance, qui a déjà provoqué la réaction amère de la profession d’assureur : « nous ne sommes pas les pots de confiture de la République ». Et les économies dans la gestion de l’AJ. Cela semble minimaliste mais prometteur. « La moitié des dossiers sont incomplets », souligne la ministre. Cela entraîne des frais de timbres qui pourraient être facilement économisés. L’attribution automatique de l’aide lors des commissions d’office pourrait également être revue. Jean-Marie Burguburu évoque de son côté l’examen non seulement des ressources du demandeur, mais aussi de son patrimoine. Histoire de débusquer, parmi les bénéficiaires de l’AJ, un éventuel millionnaire aux faibles revenus.

Le dossier n’est pas clos. Près d’un million de justiciables avaient bénéficié de l’AJ en 2012. Compte tenu de « la situation économique de grand désordre », comme dit Christiane Taubira, leur nombre n’est pas près de baisser. Mais après avoir fini par applaudir la ministre, les avocats retrouvent le sourire. Au Vaudeville, la brasserie située en face du palais Brongniart, quelques congressistes se retrouvent autour d’un plateau de fruits de mer. Pour fêter ça, la tablée a commandé une bouteille de vin blanc. On trinque : « A l’AJ ! ».

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