Arrêt sur images : le (...)

Arrêt sur images : le droit pénal français et le "revenge porn"

Crim. 16 mars 2016, n° 15-82676, à paraître au bull.

« Il ne faut jamais se séparer !  » me confiait récemment un notaire grassois. Il faut croire du moins que, si séparation il y a, faire table rase du passé peut s’avérer difficile lorsque le partenaire éconduit exprime quelque désir de vengeance. L’amour qui a lié intimement les personnes laisse souvent place aux coups bas ; certains souvenirs d’intimité en deviennent une arme redoutable. C’est ce qu’illustre le cas du « revenge porn » porté à l’attention la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 16 mars dernier. Le sujet est d’autant plus d’actualité que le 21 janvier 2016 l’Assemblée nationale a adopté, contre l’avis du Gouvernement, un amendement au projet de loi pour une République numérique, dans le but que soit incriminée la diffusion sur internet de contenus sexuellement explicites sans le consentement de la personne exposée. L’amendement prévoit une peine de 2 ans d’emprisonnement et 60000 euros d’amende.

Le « revenge porn » se traduit littéralement par «  vengeance pornographique », constituée par le fait de diffuser sur internet ou un réseau de communication des images sexuellement explicites de son ancien partenaire. Il s’agit donc de cyberdélinquance trouvant son fondement dans les délits d’atteinte à la vie privée prévus aux art. 226-1 et suivant du Code pén.

I. Une délimitation stricte des infractions d’atteinte à la vie privée
Dans un arrêt de principe 1, la Chambre criminelle est venue rappeler les contours de cette infraction à partir du critère du consentement de la personne dont l’image a été captée. En l’espèce, un homme diffuse sur internet une photographie prise par ses soins, durant leur vie commune, de son ex-compagne. Cette dernière y est représentée nue et enceinte.

La constitution du délit est reconnue en première instance comme en appel. Les juges du fond énoncent ainsi que le fait pour la partie civile d’avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère in- time de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée. Cette appré- ciation s’avère qualitative en dis- sociant les consentements : pour la Cour d’appel de Nîmes, l’ac- cord recueilli pour la captation de l’image ne vaut pas pour sa diffusion.

Toutefois, telle n’est pas l’interprétation de la Chambre criminelle qui casse et annule l’arrêt en toutes ses dispositions. La Haute juridiction se montre attachée à une interprétation stricte de l’infraction, ce que souligne le visa de l’art. 111-4 du Code pénal. Elle affirme ainsi le principe selon lequel n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement. La Cour touche ici aux limites de l’incrimination dont le défaut de consentement est un élément essentiel exclusivement apprécié au stade de la captation de l’image.

En effet, l’accord pour la fixation de l’image fait échec à la constitution du délit de divulgation, qui n’est pour sa part qu’un délit de conséquence. C’est ce qu’impose la lecture stricte des art. 226-1 et 226-2 du Code pén.

Le premier texte incrimine no- tamment le fait de volontairement porter atteinte à la vie privée en fixant, enregistrant ou trans- mettant, sans son consentement, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. En l’espèce, l’image a été fixée avec le consentement de la personne exposée.

Le second texte prévoit l’infraction de divulgation, c’est-à-dire qu’il incrimine le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’art. 226-1. Ainsi, l’infraction de divulgation n’est pas conditionnée par un consen- tement propre à la diffusion des images. Elle n’est véritablement qu’une infraction de conséquence dont le prérequis est l’absence de consentement à la fixation, l’enregistrement, ou la transmission. En tant que telle, l’infraction de divulgation ne peut être consti- tuée que si le délit de captation l’est. Or, dans les faits de l’espèce, le consentement à la fixation de l’image fait obstacle à l’infraction de captation. En conséquence, l’infraction de divulgation ne peut être constituée.

II. Une construction lacunaire de la protection pénale de la vie privée
La construction de la protection pénale de la vie privée souffre ainsi de lacunes intrinsèques. Le champ pénal ainsi jalonné laisse présumer que le consentement donné à la captation d’une image vaut également pour la divulgation de celle-ci. Manifestement, le jeu de l’interprétation stricte du texte fait donc obstacle à son efficience. Il est regrettable de constater que la protection pénale de la vie privée est déjouée par la lettre du texte, au détriment de son esprit. La conception restrictive du consentement par le droit pénal français est effectivement prise au piège dans la structure même de la loi. La cristallisation de cette carence est particulièrement patente en matière d’infractions cybernétiques. Les victimes du phénomène de vengeance pornographique qui auraient donné leur accord pour la captation de l’image doivent donc pour l’instant se contenter d’actions civiles, l’arsenal pénal étant en l’état insuffisant.

On notera néanmoins qu’outre la problématique du consentement, l’interdépendance entre l’infraction de captation et celle de divulgation n’est pas absolue. En effet, les auteurs de la captation et de la divulgation ne doivent pas nécessairement être les mêmes personnes. De plus, pour que la divulgation tombe sous le coup de la loi pénale, il n’est pas utile que l’auteur de la captation ait préalablement été poursuivi ou condamné pour le délit prévu à l’art. 226-1.

Un dernier mot s’impose sur la preuve de l’infraction cybernétique. Lorsque les images sont captées à l’insu de la personne exposée, puis divulguées, l’objectif sera bien entendu de faire disparaître le contenu attentatoire à la vie privée. Mais il convient de souligner l’importance de la preuve de la diffusion 2. Cette preuve peut poser difficulté à la victime, tentée de faire disparaître le plus rapidement et discrètement possible le contenu. Il faut donc veiller avant tout à sauvegarder et faire constater les images sur leur support de diffusion. Si le contenu a disparu du réseau de diffusion, la Cour d’ap- pel de Paris a par exemple rejeté le recours aux sites privés d’archivage 3. Le constat d’huissier sur Internet pourra utiliser le procédé, validé par la jurisprudence 4, du recours aux fonctionnalités cache des services de moteurs de recherche (ex : Google 5).

1. Crim. 16 mars 2016, n° 15-82676.
2. Pour un exposé technique des modes de preuve par un huissier de justice : DOROL S., « La preuve du revenge porn en matière civile : réflexe et réflexion », GP 1/03/2016, n° 9, p. 26.
3. Paris 2 juill. 2010, n° 09/12757. 4. Lyon 28 nov. 2013, n° 12/01964. 5. Cf. DOROL S., idem.

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