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Avocats : l’examen de passage de Christiane Taubira

Face à 500 avocats, la ministre de la Justice a annoncé la fin du décret permettant aux responsables politiques d’accéder sans examen au Barreau. Malgré cette annonce, les praticiens sont restés sur leurs gardes.

L’Assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux (CNB), qui se déroule chaque automne à Paris, fournit à la profession une occasion de réclamer publiquement des doléances à la Chancellerie. Le 5 octobre, devant une salle pleine du palais Brongniart, plusieurs débats consacrés à la garde à vue, aux droits de l’homme ou aux nouveaux marchés du droit, se sont succédé à un rythme soutenu.
Plus de 500 praticiens étaient présents, juste avant le déjeuner, pour écouter Christiane Taubira qui s’exprimait pour la première fois, en tant que garde des Sceaux, devant un parterre d’avocats. La ministre, qui avait procédé, à Montpellier, la semaine précédente, au même exercice devant les notaires réunis en congrès, a pu apprécier les subtiles différences par lesquelles se démarquent les deux professions. Si le président du Conseil supérieur du notariat, Benoît Renaud, lui avait donné du « Madame le ministre », c’est à « Madame la ministre » que s’est adressé Christian Charrière-Bournazel, président du CNB. A la fin de son discours, à Montpellier, les notaires s’étaient levés et avaient longuement applaudi leur ministre. A Paris, les avocats sont restés assis, et les applaudissements n’ont pas dépassé la politesse réglementaire.
La ministre n’en a pas moins apprécié l’« éloquence » du représentant de la profession. Ecouter un discours de Christian Charrière-Bournazel, c’est, en effet, assister à une plaidoirie de choix. A 66 ans, l’ancien bâtonnier de Paris, vêtu ce jour-là d’un classique costume bleu, manie le verbe avec dextérité. Usant tour à tour de la séduction, de l’humour ou de la menace, il ponctue ses phrases d’un vocabulaire choisi, destiné à frapper les esprits. Inquiet des conséquences du « décret-passerelle » d’avril 2012 qui permet aux anciens ministres et aux parlementaires de devenir avocats, le président du CNB qualifie ces derniers, avec ironie, de « groupe, mal identifié, de sujets non formés à notre métier ». Certes, l’accès à la profession n’est soumis à aucun numerus clausus, rappelle-t-il. Ce qui, avec la faconde d’un avocat habitué des prétoires, donne : « Nous ne sommes pas un château-fort dont on abaisserait rarement le pont-levis ! »

« Supplétifs de la police financière »

A propos de l’aide juridictionnelle, la profession regrette que la taxe de 35 euros créée pour abonder les sommes reversées aux avocats ne revienne pas intégralement aux praticiens. Christian Charrière-Bournazel évoque la maigreur du budget de la Justice par rapport à celui du Royaume-Uni mais évite de parler directement de gros sous : « Vous n’êtes pas là pour que, vulgairement, je vous demande de l’argent, Madame la garde des Sceaux », lâche-t-il.
Le ton se fait en revanche plus virulent lorsqu’il s’agit de défendre le secret professionnel mis à mal, selon les avocats, par les directives européennes de prévention contre le blanchiment d’argent. Les robes noires ne coopèrent pas volontiers avec les fonctionnaires du ministère de l’Economie et des Finances chargés de traquer le blanchiment. La cellule Tracfin, à Bercy, n’a enregistré en 2011 qu’une seule « déclaration de soupçons » émanant d’un avocat, a-t-on pu lire dans l’hebdomadaire Le Point, le 20 septembre. En comparaison, la même année, les banques et les notaires en ont communiqué respectivement 15 000 et un millier. Pour le président du CNB, les bâtonniers doivent continuer à exercer un rôle de « filtre » entre l’avocat se préparant à une déclaration de soupçons et les fonctionnaires. Or, souligne-t-il, « les agents de Tracfin, ici et là, sollicitent les avocats pour leur dire qu’ils peuvent s’adresser directement à eux sans passer par le bâtonnier », proteste-t-il. Les avocats, poursuit-t-il, « n’accepteront jamais d’être les dénonciateurs anonymes de leurs contemporains ». Pour que les choses soient claires, Christian Charrière-Bournazel lève alors le doigt et affirme solennellement : « Nous ne sommes pas des supplétifs de la police financière. Nous ne serons jamais les miliciens de l’administration fiscale ».
Après cet effet de manche, cherchant peut-être à rassurer la ministre, le président du CNB rappelle que « les avocats sont volontiers frondeurs. C’est leur nature parce que c’est l’essence même de leur fonction ». D’ailleurs, « si nous frappons contre le mur, c’est dans l’espoir que les portes cèdent et qu’elles s’ouvrent sur la lumière », lâche le plaideur.

Une seule réelle annonce

Christiane Taubira, qui arbore la même tenue que la semaine précédente face aux notaires, pantalon noir et veste framboise, commence par louer le « travail exemplaire » de ses interlocuteurs en matière de garde à vue et « l’honneur de la profession ». En quelques phrases, alors que les anciens ministres socialistes Pierre Joxe et Robert Badinter se sont glissés dans les premiers rangs de la salle, elle indique partager « l’émoi » des avocats au sujet du « décret-passerelle ». « Autant il est bon que la profession s’enrichisse, autant je crois nécessaire que les parlementaires et anciens ministres devraient être soumis à un contrôle des connaissances » avant d’accéder au Barreau, précise-t-elle. Le fameux décret sera donc abrogé, annonce-t-elle à l’auditoire, qui applaudit mollement.
C’est, il est vrai, la seule réelle annonce de la ministre. Au sujet de Tracfin, Christiane Taubira réclame en souriant « la présomption d’innocence » pour les fonctionnaires de Bercy. La taxe de 35 euros destinée à renflouer l’aide juridictionnelle donne lieu à un certain cafouillage. Si l’Etat ne restitue pas l’intégralité de cette somme aux avocats, c’est qu’il faut « en reverser une partie aux buralistes », avance Christiane Taubira. Une clameur s’élève alors de la salle : « La taxe est payée par Internet ! », s’exclament plusieurs praticiens. La ministre tâche alors de se rattraper : « Même électroniques, il y a des frais, maître », lâche-t-elle en souriant. Les avocats, qui hésitent entre rires et grognements, écoutent alors avec une certaine indifférence la ministre évoquer longuement « la profession du verbe » et l’amour de « la liberté » dont les avocats font preuve, selon elle, devant les tribunaux. Parmi les centaines de praticiens présents, une bonne partie sont avocats d’affaires et n’ont jamais pris le chemin d’une salle d’audience.

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