AvoTech : précurseur (...)

AvoTech : précurseur et fédérateur

Maître Mathieu Davy, du barreau de Paris, a créé AvoTech qui fédère aujourd’hui une cinquantaine de legaltechs en France. Son avis d’expert sur les solutions numériques et leurs conséquences inévitables sur l’exercice du métier d’avocat.

Qu’est-ce qu’AvoTech ?

C’est la première association française regroupant des avocats créateurs de legaltech. C’est un mouvement récent puisque ces dernières n’existent que depuis 2010. Nous, avocats, n’avions pas jusqu’à un passé récent la possibilité de créer des sociétés commerciales en plus de notre cabinet. Mais le décret Macron de 2016 a fait évoluer la situation pour les métiers du droit notamment, en levant des incompatibilités d’exercice. Cela nous permet maintenant d’être aussi administrateurs, ou président d’une société commerciale dès lors que son objet est connexe et accessoire à la profession. Cela englobe naturellement les legaltechs.

Pourquoi les avocats doivent-ils s’intéresser aux legaltechs ?

Ce grand mouvement est pour le moment trusté par des entrepreneurs du privé, qui ne sont pas des praticiens, alors que lorsqu’il s’agit de consultations juridiques, il est logique que les avocats soient associés, intégrés et pilotes de ce type de solutions. Grâce au décret Macron, des confrères ont pu lancer un service innovant. Pour ma part, à titre d’exemple, j’ai créé l’application mobile Call A Lawyer qui est une plateforme de mise en relation avocats-clients. Elle permet d’avoir rapidement un avocat au téléphone parmi les 1 200 professionnels inscrits dans toute la France selon les critères du client (région, spécialité, taux horaires, etc.). Il dispose de vingt minutes de consultation pour un prix d’environ 30 euros.

D’autres exemples significatifs ?

D’autres legaltechs créées par des avocats connaissent un bon succès : comme Fast Arbitre qui règle des litiges en ligne par conciliation et arbitrage, ou Votre bien dévoué imaginée par des consœurs pour des vacations et des postulations. Cette dernière référence deux mille avocats, ce qui permet de trouver facilement des postulants dans tous les barreaux.

Comment la sauce a t-elle pris aussi vite ?

AvoTech a commencé avec huit legaltechs et vient de fêter son 3ème anniversaire. Nous sommes une cinquantaine - maintenant sur Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Rennes, Nantes etc. Nous avons créé un groupe de travail solidaire d’avocats intéressés par l’innovation. L’idée a fait son chemin. Depuis, nous avons créé notre site internet, fait une conférence sur la blockchain, sommes intervenus dans plusieurs écoles d’avocats. Nous avons aussi donné des conférences dans des barreaux. Il y a eu rapidement un effet boule de neige. Maintenant, AvoTech représente 25% du marché des legaltechs.

Comment réagissent les instances ?
Nous avons créé un groupe d’action, d’influence même, ce qui permet de discuter avec les
Bâtonniers, les institutions de la profession, mais aussi avec les autres métiers du droit, huissiers, notaires, et les experts-comptables. Ce travail a porté ses fruits : nos représentants comme le CNB et la Conférence des Bâtonniers vont dans le sens de la prise en main des
legaltechs par nos professions. De plus en plus d’avocats réfléchissent maintenant activement à l’évolution numérique de la profession. Le champ d’action est vaste sur la procédure, le contentieux, les petits litiges, la médiation qui s’adapte bien aux nouvelles technologies. Chacun peut se sentir concerné.

Les jeunes avocats poussent-ils à la roue ?

La nouvelle génération qui arrive, ceux que l’on appelle les "digital natives" car nés avec les nouveaux outils informatiques, voient les legaltechs comme une évidence et ont envie d’en faire partie. Ils ont créé à nos côtés leur propre association, Young AvoTech, qui regroupe les étudiants en droit, des écoles de commerce et les jeunes avocats ayant un ou deux ans de barreau. Young AvoTech travaille dans les universités pour présenter et faire comprendre cette nouvelle économie. Des écoles d’avocats ont prévu dans leur programme des cours de numérique et même de code pour que les futurs confrères puissent créer eux-mêmes leurs sites.

Et la remise à jour pour les "anciens" ?

Pour que les avocats apprennent à utiliser ces outils numériques, des barreaux ont déjà mis en place leur incubateur (comme Grasse et Nice, ce dernier ayant été retardé par la crise du coronavirus, ndlr). C’est donc un mouvement de fond, inéluctable. À la rentrée, AvoTech va organiser avec l’incubateur du Barreau de Paris une journée du "Droit connecté" à l’intention de tous les avocats. Ils pourront y apprendre des choses très basiques : comment s’équiper en informatique, créer un cloud, pourquoi un serveur, pourquoi prendre OVH plutôt qu’Amazon, etc. Mais aussi découvrir des choses plus pointues, comme l’intérêt d’utiliser un logiciel de justice prédictive, pourquoi ils sont performants et utiles pour un cabinet, etc.
Nous avons des confrères qui sont déjà experts dans le numérique. Nous nous ouvrons aussi à l’international puisque des collègues sont
espagnols, belges, québécois et même un Tokyoïte. Cela nous permet de rencontrer des avocats qui, comme nous, ont créé des legaltechs dans leur pays.
Nous avons l’ambition d’organiser au sein d’AvoTech une grande communauté pour échanger. Car on peut trouver des sources d’inspiration très intéressantes, étant précisé que la France est plutôt en avance puisque nous sommes le deuxième pays de legaltechs après les US. Nous discutons ainsi avec Bruxelles, nous allons rencontrer le garde des Sceaux. Les projets ne manquent pas !

Propos recueillis par
Jean-Michel CHEVALIER

Photo de Une DR et courtesy Mathieu Davy

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