Baux commerciaux : (...)

Baux commerciaux : la Cour de cassation applique la LME

Quand des ex-époux divorcés ont conservé le fonds de commerce commun et que l’un d’entre eux exploite seul ce fonds, quelles sont les exigences légales pour bénéficier du droit au renouvellement du bail ?

Le statut des baux commerciaux, organisé en son temps par le décret du 30 septembre 1953, est à présent régi par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce. Ce dispositif, protecteur du commerçant locataire comporte, pour élément principal, le droit au renouvellement du bail. La loi exige, pour que le locataire puisse en bénéficier, qu’il soit immatriculé au registre du commerce et des sociétés ou, s’il s’agit d’un artisan, au répertoire des métiers, et la Cour de cassation fait classiquement de cette exigence une application rigoureuse et tatillonne.

Ainsi a-t-elle jugé de multiples fois, qu’en cas de pluralité de locataires, il était nécessaire, pour que le droit au renouvellement soit préservé, que tous soient immatriculés, y compris ceux qui n’exploitent pas, et ce, sous réserve de deux exceptions seulement, profitant, l’une, aux époux mariés en régime de communauté de biens, et l’autre, aux héritiers en situation d’indivision successorale. Tant pis pour les copreneurs mariés en régime de séparation, ou pour les copreneurs concubins, dès lors qu’ils ne seraient pas l’un et l’autre immatriculés.

Le texte de loi en vigueur

La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (LME) a tenté de remédier à ces situations par des dispositions insérées dans l’article L. 145-1 III du Code de commerce : « si le bail est consenti à plusieurs preneurs ou indivisaires, l’exploitant du fonds de commerce ou du fonds artisanal bénéficie des dispositions du présent chapitre, même en l’absence d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers de ses copreneurs ou coindivisaires non exploitants du fonds ».

L’hypothèse concerne sans nul doute les copreneurs concubins ou époux séparés de biens, ainsi tirés d’embarras par la loi qui condamne la jurisprudence antérieure. Mais la formulation adoptée ne permet pas d’englober, à coup sûr, dans la bienveillance légale, toutes les situations que la rigueur de la Cour de cassation a rendues épineuses.

Une orientation libérale

Un arrêt du 1er juin 2011 apporte un indice sur l’impact que la Cour de cassation est disposée à reconnaître à la loi nouvelle. Il statue sur le cas d’une indivision post-communautaire. Des époux mariés en régime de communauté avaient pris à bail un local à usage commercial. Ultérieurement ils avaient divorcé, et l’ex-épouse avait continué à exploiter seule, en étant seule immatriculée. Le terme des neuf années du bail approchant, le bailleur avait tenter de profiter de cette situation en délivrant congé sans offre de renouvellement et sans indemnité d’éviction. L’exploitante avait alors assigné en paiement d’une indemnité d’éviction, et la Cour d’appel de Grenoble avait fait droit à cette demande. La Cour de cassation estime que les juges d’appel ont bien jugé : lorsque des copreneurs, qui avaient été mariés en régime de communauté, se trouvent en indivision post-communautaire, le bailleur ne peut se prévaloir du défaut d’immatriculation de celui qui n’exploite pas pour refuser le renouvellement du bail ; s’il le refuse, il doit payer l’indemnité d’éviction.

La solution s’impose au regard des dispositions issues de la LME : le bail a en effet été consenti, avant divorce, à plusieurs preneurs ou indivisaires (la communauté entre époux étant une indivision à régime spécial), et il reste tel après le divorce. L’arrêt pourrait ainsi ne constituer qu’un exemple, somme toute très prévisible, de l’application à une indivision post-communautaire des dispositions nouvelles résultant de la LME.

A y regarder de près, il faut aller plus loin, car les faits avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, et ils restaient donc régis par le régime antérieur. Or, dans la logique de son système antérieur, la Cour de cassation aurait dû refuser le droit au renouvellement. Aucune des deux exceptions reconnues n’était en effet susceptible de s’appliquer : il ne s’agissait plus d’époux et la communauté avait donc disparu, il ne s’agissait pas non plus d’une indivision successorale, nul décès n’étant intervenu.

Autrement dit, la Cour de cassation, à la lumière de la loi nouvelle, infléchit sensiblement sa jurisprudence pour des faits relevant de la loi ancienne, ou plus exactement de l’interprétation qu’elle en donnait. L’arrêt, en conséquence, apporte un éclairage intéressant sur la position que la Cour de cassation est disposée à adopter ; on peut conjecturer, qu’elle fera des dispositions légales nouvelles une interprétation à orientation libérale. Les arrêts à venir susceptibles de confirmer cette hypothèse sont attendus avec impatience…

Crédit photo : Photos Libres

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