Baux commerciaux : (...)

Baux commerciaux : la modification des facteurs locaux de commercialité

Le « statut » des baux commerciaux prévoit un plafonnement du loyer lors du renouvellement du bail. La Cour de cassation vient de préciser l’exception que la loi apporte à cette règle en cas de modification – notable – des facteurs locaux de commercialité (importance de la ville, du quartier, moyens de transport...).

Le plafonnement du loyer a été institué plus tardivement que le droit au renouvellement ; celui-ci date de 1926, alors que le plafonnement n’a été introduit qu’en 1972. Objet de l’irritation des bailleurs, le plafonnement créé une inégalité entre commerçants locataires : ceux qui sont titulaires d’un bail renouvelé, surtout s’il l’a été plusieurs fois, bénéficient d’un loyer déconnecté du marché. Cette circonstance génère pour eux un avantage concurrentiel et valorise leur fonds de commerce.

Pour autant, les travaux de la commission Pelletier, en 2004, n’ont pas préconisé la suppression pure et simple du plafonnement. Bien au contraire, l’institution récente de deux nouveau indices (ILC et ILAT), pour servir de support au mécanisme du plafonnement en option avec l’indice du coût de la construction, souligne l’importance que le législateur
attache au mécanisme.

Un cas de déplafonnement parmi d’autres

Posée par l’article L. 145-34 du Code de commerce, la règle du plafonnement est assortie d’exceptions permettant la fixation du loyer à la valeur locative ; la plus connue de ces exceptions concerne le cas de modification notable des facteurs locaux de commercialité, lesquels sont définis par l’article R. 145-6. Selon cet article, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée, et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.

La Cour de cassation vient de formuler, dans un arrêt du 14 septembre 2011, le sens qu’elle entend donner à ces dispositions, et ce, sur trois points dont deux ne constituent qu’une confirmation de l’interprétation antérieure, alors que, sur le troisième, l’arrêt apporte une précision nouvelle.

L’interprétation de la Cour de cassation

Le premier point se rapporte à l’expression : « le commerce considéré ». La modification doit être appréciée au regard de l’intérêt qu’elle présente « pour le commerce considéré ». Faut-il prendre en compte toutes les activités autorisées par le bail (qui peut être un bail « tous commerces ») ou seulement celle qu’exerce effectivement le locataire ? Depuis 1997, la Cour de cassation refuse de prendre en compte les potentialités résultant du bail pour ne retenir que le seul commerce concrètement exploité. L’arrêt du 14 septembre 2011 confirme une fois encore cette approche : il y a lieu de prendre en compte « l’activité commerciale exercée par le preneur ».

La seconde question est de savoir si l’intérêt de la modification doit être apprécié de manière objective, indépendamment des avantages que le commerçant a su ou n’a pas su en tirer, ou s’il faut au contraire examiner les performances particulières du fonds de commerce en
cause. Le bailleur n’étant pas l’associé du locataire, c’est une appréciation objective qui s’impose ; tant pis pour le locataire qui n’a pas su tirer parti des atouts à sa disposition. La récente décision de la Cour de cassation confirme cette approche : il suffit que la modification soit « de nature à avoir » une incidence favorable.

La troisième question tranchée est nouvelle. Cultivant le paradoxe, le demandeur au pourvoi soutenait qu’une modification notable des facteurs locaux de commercialité qui serait défavorable au commerce considéré devrait également être prise en compte, car l’article L. 145-34 ne formule aucune exigence sur le sens de la modification notable ; il suffirait qu’elle ait un impact, favorable ou défavorable. Or, au cas d’espèce, le locataire reconnaissait l’existence d’une modification, qu’il tenait pour notablement défavorable. En présence d’un loyer considérablement sous-évalué par l’effet des plafonnements successifs, la fixation à la valeur locative pourrait, même dans un tel contexte, être bénéfique pour le bailleur. L’arrêt écarte cette approche en exigeant une « incidence favorable ». C’est une solution de bon sens, mais elle n’allait pas de soi, car bon sens et règle de droit ne vont pas toujours de pair !

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