Clap de fin pour l'ubérisa

Clap de fin pour l’ubérisation ? Reconnaissance du statut de salariés pour les chauffeurs Uber

A la question, est-ce qu’un chauffeur UBER, enregistré au Registre des Commerces et des Sociétés, peut être considéré comme un salarié de la plateforme, la Cour de Cassation vient d’affirmer sans aucune ambiguïté et interprétation possible que OUI par un arrêt en date du 4 mars 2020 (RG n°19/13316).

Par Florence MASSA Avocat Associé Cabinet GHM, Présidente AAPDS 06

La pierre angulaire de cette affaire était de déterminer si un chauffeur UBER exerçait son activité en qualité de travailleur indépendant ou de salarié.

La Haute Cour répond que ce statut d’indépendant n’est « que fictif » en raison du lien de subordination qui unit le chauffeur à la plateforme.
Cet arrêt s’inscrit dans la mouvance de la Cour de cassation qui tend à mettre fin au modèle américain des plateformes web visant à mettre à relation des auto-entrepreneurs avec des clients (restaurateurs partenaires ou transports de particuliers).
En effet, il sera rappelé que dans sa décision du 28 novembre 2018 (Arrêt n°1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079) - Cour de cassation - Chambre sociale - ECLI:FR:CCASS:2018:SO01737) , la Cour de Cassation avait cassé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de PARIS qui ne reconnaissait pas l’existence d’un contrat de travail entre un coursier et une société utilisant une plateforme web (Take Eat Easy ).

La Cour avait retenu que la géolocalisation faite par le donneur d’ordre démontrait un lien de subordination.

Par ce nouvel arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation est venue entériner avec force la définition de lien de subordination permettant de requalifier une relation contractuelle en contrat de travail  ; « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». (Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13.187).
- Les faits débutent le 12 octobre 2016, date à laquelle, M. X..., contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat, a exercé une activité de chauffeur en recourant à la plateforme numérique Uber, après avoir loué un véhicule auprès d’un partenaire de cette société, et s’être enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité de transport de voyageurs par taxis.
- A la suite de la désactivation définitive de son compte sur la plateforme à partir du mois d’avril 2017, M. X... a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de travail, et formé des demandes de rappels de salaires et d’indemnités de rupture.
- Par jugement en date du 28 juin 2018 le conseil de prud’hommes de Paris a jugé que le contrat liant les parties était de nature commerciale.
- La Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 10 janvier 2019, n° RG 18/08357) a infirmé le jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris en toutes ses dispositions et requalifié en contrat de travail la relation entre le chauffeur et la plateforme URBER.
- En ce sens, la Cour estimait qu’un « faisceau suffisant d’indices » était réuni, permettant de caractériser l’existence d’un lien de subordination entre le chauffeur et la plateforme UBER et par conséquent l’existence d’un contrat de travail. La Cour de Cassation a repris l’ensemble des éléments retenus par la Cour d’Appel, savoir :

-  L’appartenance à un service organisé
Dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service de prestation de transport organisé par la société Uber BV.
Ainsi, le chauffeur ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport,

- Une tarification  
Les tarifs sont contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix.

- Des conditions d’exercice de la prestation de transport :
La société UBER exerce un contrôle en matière d’acceptation des courses et se réserve également le droit de désactiver ou de restreindre l’utilisation de l’Application.

Ce contrôle entraine une mise à disposition constante du chauffeur durant sans connexion sans pouvoir choisir réellement les courses à réaliser.
L’absence de liberté du choix de la course est accentuée par le fait que le chauffeur peut parfois être informé du choix de la course uniquement au moment de la prise en charge du client (article 2.2 du contrat).
Enfin, la Cour retient que le chauffeur dispose d’un temps très limité pour accepter une course qui lui est proposé (8 secondes).
(La Cour d’Appel avait également retenu le contrôle de l’activité des chauffeurs était caractérisée par le fait que la plateforme UBER utile un système de géolocalisation. Ce point n’a pas été repris par la Cour de Cassation.).

- Un pouvoir de sanction  :
Ce pouvoir de sanction de la société UBER est caractérisé par sa possibilité de :
- Déconnecter temporairement les chauffeurs à partir de trois refus de courses,
- Modifier les tarifs unilatéralement (choix d’un « itinéraires inefficace » par le chauffeur),
- Clôturer définitivement l’accès du chauffeur en cas de signalement de "comportements problématiques" par les utilisateurs ou d’un taux d’annulation de commandes trop important.

Cette décision va fortement bouleverser le modèle de l’uberisation qui s’est fortement accentué dans de nombreux domaines ces dernières années.

En effet, la requalification en contrat de travail ouvre droit au chauffeur la possibilité de revendiquer les droits reconnus par le Code du travail, savoir notamment :
- Paiement des congés payés,
- Rappel de salaire (minimas conventionnels ou sur la base du SMIC),
- Respect des durées maximales de travail / du repos quotidien

En cas de désactivation du compte sur la plateforme, cette rupture du contrat pourra entrainer la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le chauffeur pouvant alors prétendre notamment à :
- Indemnité de licenciement
- Indemnité de préavis et de congés payés
- Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Cette décision particulièrement attendue par les professionnels du droit ainsi que pléthores de chauffeurs UBER ouvre la voie à un fort contentieux devant le Conseil de Prud’hommes.

Visuel de Une Illustration (DR )

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