Clélia Cassé, présidente

Clélia Cassé, présidente du CPH de Nice : « Tribunal du travail, cela aurait plus de sens »

La présidente du Conseil des prud’hommes de Nice espère que l’institution gagnera en visibilité avec les dernières annonces du garde des Sceaux tout en conservant ses spécificités, comme celle d’être composée de juges non professionnels mais fins connaisseurs du monde de l’entreprise.

Comment fonctionne un Conseil des prud’hommes (CPH) ?

- Nous sommes une juridiction de premier degré qui gère les litiges individuels nés de la relation de travail, du contrat de travail entre le salarié et l’employeur. La particularité du Conseil c’est que les conseillers prud’hommes sont issus de la société civile. C’est une institution originale. Nous sommes des juges mais pas des magistrats professionnels et nous sommes une institution paritaire, ce qui est un point vraiment important. La moitié, ce sont des salariés et l’autre moitié, des chefs d’entreprise ou des cadres dirigeants. Avant nous étions élus, maintenant nous sommes présentés par nos syndicats et nommés conjointement par le garde des Sceaux et par le ministère du Travail. Le CPH est constitué de conseillers. Ici, nous sommes 150, avec également une directrice de greffe et son équipe. Nous sommes un gros Conseil, avec plus de 1 000 affaires par an. On peut recevoir les parties seules ou représentées par leurs avocats. Il y a cinq sections, qui dépendent de l’activité de l’entreprise : industrie, agriculture, commerce, activités diverses et encadrement. Le procès se décline en deux grandes parties : le bureau de conciliation et d’orientation (BCO) et le bureau de jugement (BJ). En BCO nous sommes deux, un employeur et un salarié, et en BJ, nous jugeons à quatre, deux employeurs et deux salariés. Une autre spécificité, c’est que notre procédure est orale. Enfin, si nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord à quatre alors nous faisons appel à un juge départiteur, qui vient du Tribunal judiciaire.

Quel est votre rôle en tant que présidente ?

Clélia est la deuxième femme présidente employeur du CPH Nice, les conseillers jusque très récemment étaient majoritairement des hommes comme sur cette photo qui trône dans son bureau ! ©S.G


- Le premier rôle, le plus important, c’est de représenter l’institution, d’abord auprès du monde judiciaire. Il s’agit des relations avec le TJ, le procureur, la présidente, le barreau. Nous avons une relation avec le Bâtonnier (Adrien Verrier) mais surtout avec le Vice-Bâtonnier. Nous avons la chance de pouvoir compter sur Me Cécile Schwal, qui est spécialiste en droit social. Nous travaillons bien ensemble. Il y a également un travail de représentation auprès de la société civile : les syndicats, les entreprises et les salariés. Le deuxième grand rôle, c’est de veiller au bon fonctionnement de la juridiction. Cela passe par des réunions hebdomadaires avec la directrice de greffe et le vice-président. Cela passe aussi par un bureau administratif qui a lieu une fois par trimestre et qui permet de gérer le Conseil de façon concertée. Nous décidons en bonne intelligence. Le troisième rôle est d’assurer la discipline à l’intérieur auprès des conseillers. Cela se passe bien. Nous avons un tiers de renouvellement donc beaucoup de nouveaux. Ils ont commencé la formation avec l’ENM mais il faut du temps pour apprendre le rôle. Le monde judiciaire est très normé, hiérarchisé avec une posture de magistrat, que des conseillers n’ont pas forcément. C’est aussi ce qui rend le Conseil intéressant. Mais parfois cela coince un peu, quand des conseillers sont un peu trop familiers avec les greffes, comme le fait de tutoyer ou de faire la bise. Il faut également respecter la neutralité : ne pas lever les yeux au ciel, ne pas poser de questions orientées… Enfin, il y a une partie organisationnelle et une dernière partie purement administrative.

Gardez-vous un rôle de conseillère ?

- J’interviens aussi en tant que juge, oui. Je siège mais par contre je ne prends pas de présidence cette année. Le président de l’audience rédige le jugement, ce qui prend du temps.

Vous êtes présidente pour combien de temps ?

- Pour un an. Comme c’est paritaire, une année le président est employeur et le vice-président salarié. L’année d’après, c’est l’inverse. À Nice, souvent, le président employeur reste, alternant entre présidence et vice-présidence, au moins pour une mandature. Cela permet d’assurer une certaine continuité. Du côté des salariés, ils se sont organisés pour que ce soit un syndicat par année.

Comment faites-vous pour concilier cette activité avec votre activité professionnelle ?

- Le premier point est d’être super organisée. Je suis maman de trois enfants et chez Interima je suis directrice des opérations, qui est un poste important. Le deuxième point, c’est d’être bien entourée. C’est le cas ici et chez Interima. La directrice de greffe, Brigitte Vandenbroucke, est là depuis très longtemps et elle connaît bien son travail. Elle est un très bon appui. Le vice-président, Jean-Marc Ricci, prend son poste à cœur et est très investi. J’ai aussi le luxe d’avoir deux anciens présidents avec moi, qui sont toujours conseillers. Je fais trois demi-journées par semaine au CPH.

Pendant combien de temps avez-vous été conseillère ?

- Pendant cinq ans. La réforme Macron a imposé la parité et je suis arrivée avec cette première mandature de femmes en 2018. Normalement nous avons des mandats de quatre ans. Mais comme la précédente a duré cinq ans, celle-là va durer trois ans et ensuite, en principe, nous repartirons sur un rythme de quatre ans.

Êtes-vous la première femme présidente du CPH de Nice ?

- Non, il y a déjà eu une femme présidente employeur dans les années 80, qui a fait une année. Depuis, il n’y avait que des hommes. Du côté des salariés, il n’y a eu qu’une femme présidente.

Les bâtiments du CPH de Nice. ©S.G

Majoritairement, qui saisit le CPH et pour quelle raison ?

- Dans 95 % des affaires, ce sont les salariés qui saisissent. Et dans 95 % des cas c’est pour contestation du licenciement.

Est-ce que vous constatez moins de litiges du fait d’un taux de chômage moins élevé ?

- Je ne pense pas qu’il y ait de corrélation entre les deux. Par contre nous avons constaté un changement avec la démocratisation de la rupture conventionnelle. Elle date de 2008 mais elle s’est surtout développée quatre ou cinq ans après. C’est une façon de se mettre d’accord et de pouvoir négocier des montants. Avant, il n’y avait que le licenciement ou la démission. La rupture conventionnelle a permis de régler des litiges en amont. Plus les ruptures ont augmenté, plus le nombre des saisines du Conseil a baissé. Le deuxième point qui a fait baisser le nombre de saisines, c’est la réforme de 2017. Avec le « barème Macron  », il y a un plafond et un plancher d’indemnisations, en fonction de l’ancienneté. Cela limite énormément ce que l’on peut espérer toucher en allant aux Prud’hommes par rapport à avant.

Quels sont les délais au CPH de Nice ?

- Entre la saisine et le jugement rendu, on est à moins de 12 mois, donc c’est plutôt pas mal. Mais nous ne sommes pas maîtres du calendrier des avocats, des échanges de pièces, des mises en état. A partir du moment où l’affaire a été plaidée, nous rendons en trois mois maximum au fond et en un mois maximum en référé. Dans les délais on est quand même bons. Ce qui fait que cela peut être très long, c’est de partir en appel. En moyenne c’est trois ans et cela peut aller jusqu’à cinq ans. Le pourcentage d’appel est à peu près de 50 %. Souvent ceux qui font appel sont les parties qui ont obtenu gain de cause mais qui ne sont pas satisfaites des montants. Elles partent en appel pour obtenir plus.

Qu’est-ce qui pourrait changer avec le plan annoncé il y a quelques mois par le ministre de la Justice ?

- Le nom pourrait changer. C’est vrai que le Conseil des prud’hommes porte mal son nom. Nous sommes des conseillers prud’hommes mais nous ne conseillons pas du tout, nous sommes juges, même si nous ne sommes pas professionnels, et nous sommes là pour trancher des litiges. Dans les pistes envisagées, il y a la possibilité de donner le nom de Tribunal du travail, comme à Monaco. Je pense que c’est plus logique que CPH, que cela aurait plus de sens. Il semblerait que l’idée de l’échevinage, c’est-à-dire d’avoir des juges professionnels et donc d’arrêter cette particularité, soit tombée à l’eau. Cela me paraît aller vraiment dans le bon sens parce que même si les juges départiteurs connaissent parfaitement les codes, certains n’ont jamais mis les pieds en entreprise. Qui mieux que des salariés et des employeurs pour juger des relations du contrat de travail  ? Le troisième point, mais qui n’est pas propre au CPH, c’est le développement des conciliations. C’est vraiment un gros point sur lequel le ministre pousse. Nous n’avons que 2 % des affaires en BCO. Le problème c’est que les parties ne sont pas là et que le BCO ne sert qu’à donner un calendrier. Nous allons demander la présence obligatoire des parties mais nous ne pouvons pas l’imposer. Notre objectif est d’atteindre 8% de conciliations. Nous allons commencer en juin et nous renverrons en BCO si les avocats ne viennent pas avec les parties.

Estimez-vous avoir les moyens nécessaires pour bien faire votre travail ?

- On a de beaux locaux, on a de la place, il ne faut pas voir que le verre à moitié vide. Pour les conseillers, nous avons des formations de qualité. Mais il existe un manque de moyens humains et financiers. Comme dans tout le monde judiciaire, nous manquons de greffiers. Nous avons la chance de ne pas manquer de magistrats car comme nous ne sommes pas des magistrats professionnels, il n’y a pas cette difficulté de recrutements. Mais par exemple ici, nous n’avons pas de wifi. Nous avons un poste internet par section, c’est tout. Quand on vient du privé... Le budget ne dépend plus de nous, il est géré par le Tribunal judiciaire. Et tous les dossiers sont papier, nous n’avons rien dématérialisé.

Les chiffres du CPH de Nice
- 150 conseillers
- 1 141 affaires nouvelles en 2022 (22 % en référé, 32 % en commerce, 18 % en activités diverses, 13 % en encadrement, 9 % en industrie, moins de 1 % en agriculture et 6 % de départage)
- 1 013 affaires terminées en 2022
- 2 % d’affaires qui s’arrêtent en Bureau de consultation et d’orientation

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