Congrès du notariat : (...)

Congrès du notariat : La bataille contre la loi Macron n’est pas terminée

Réunis en congrès à Strasbourg, les notaires se racontent les multiples épisodes de leur combat contre la loi Macron. Même si la ministre de la Justice est absente, les instances de la profession veulent maintenir la pression sur les décideurs politiques.

« Le combat continue ».

En grosses lettres, le message s’affiche sur les écrans qui dominent la scène du palais des congrès de Strasbourg. Debout devant son pupitre, Pierre-Luc Vogel, président du Conseil supérieur du notariat (CSN) approuve. Et complète : « et nous le poursuivrons jusqu’au bout ! ».

Pour les notaires, réunis pour leur 111ème congrès, les douze mois qui se sont écoulés depuis leur dernier rendez-vous, en juin 2014 à Marseille, ont été éprouvants.

La « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », défendue par Arnaud Montebourg, puis Emmanuel Macron, qui programme notamment une réforme des professions du droit, a mobilisé toutes les énergies. Dans les journaux, sur les chaînes de télévision en continu, sur les réseaux sociaux, s’affichaient les mots qui fâchent : « profession réglementée », « rente », « de père en fils ». Régulièrement, le CSN s’adressait à ses ouailles, par mail, pour les tenir informés des négociations avec Bercy, la Chancellerie ou les divers parlementaires concernés. A plusieurs reprises, il a fallu prendre le train de Paris, pour arpenter le pavé avec les tee-shirts, écharpes et banderoles aimablement fournis par la profession. Tant de sollicitations finissent par fatiguer. Nul ne s’étonne, dans les couloirs du palais des congrès de Strasbourg, que les notaires ne soient cette année pas si nombreux à avoir fait le déplacement. « 3000 ! », s’exclame Pierre-Luc Vogel, sur scène. « Plutôt 1500 », modèrent, en coulisses, les habitués.

N’empêche. La mobilisation ne doit pas faiblir. Pas maintenant. Le projet de loi Macron a été adopté à l’Assemblée nationale, par la force des choses, ou plutôt de l’article 49-3 de la Constitution, le 19 février. Depuis, le Sénat s’est emparé du projet de loi, et en a systématiquement retiré les aspects qui froissaient le plus. Le texte modifié confie de nouveau au ministère de la Justice, et non plus à celui de l’Economie, la tutelle des notaires. C’est également la Chancellerie qui demeure seule habilitée à fixer le tarif de leurs prestations et qui établit la carte d’implantation des offices. Enfin, les professionnels ne sont plus contraints de financer l’aide juridictionnelle, ces compensations versées aux avocats défendant les justiciables insolvables. Mais l’Assemblée se prononce en deuxième lecture ce printemps, et c’est elle qui détient le dernier mot. Puis les décrets d’application seront adoptés, « une phase capitale », selon Pierre-Luc Vogel.

Métaphore guerrière

Pour mobiliser ses troupes, le président du CSN ne peut pas compter sur Christiane Taubira. La garde des Sceaux, qui accompagne le déplacement présidentiel aux Antilles, n’assiste pas au congrès. Une première depuis au moins vingt ans. L’agenda ministériel était prévu de longue date ; le notariat n’a pas voulu inviter un autre membre du gouvernement. Alors, pour compenser cette absence, Pierre-Luc Vogel retrace par le menu les « épisodes » de la bataille contre la loi Macron.

Maniant la métaphore guerrière, ou tauromachique, il raconte « les premières banderilles plantées par le quotidien Le Parisien », en mars 2014, rappelle la soudaine démission d’Arnaud Montebourg, à la fin de l’été, fait le compte des diverses manifestations, loue les « délais de grâce » demandés à Bercy par Christiane Taubira et dénonce au passage « l’incapacité du gouvernement à réduire le déficit budgétaire ». Dès lors, « c’est pour cela, et uniquement pour cela, que nous sommes sacrifiés et trahis par un Etat que les notaires ont toujours servi loyalement », lâche Pierre-Luc Vogel, applaudi par son auditoire.

Dans son récit circonstancié, notarial, oserait-on, de cette année mouvementée, le président du CSN oublie toutefois un épisode, celui de l’« union sacrée » des professions du droit, avocats, huissiers de justice ou greffiers des tribunaux de commerce, en décembre 2014, dans un grand hôtel parisien. Les représentants de six professions juridiques avaient pris la pose, les mains jointes, au nom de leur commun combat. Mais, face aux notaires, à Strasbourg, la confraternité n’est plus de mise. C’est aux seuls notaires que s’adresse Pierre-Luc Vogel. C’est eux qu’il entend mobiliser contre la multitude des ennemis du notariat.

Les ennemis du notariat

La liste est longue et le président du CSN n’hésite pas à forcer le trait. En ligne de mire figurent en bonne place ces « technocrates de Bercy déconnectés de la vraie vie », ces « fins limiers de l’inspection des Finances », énarques auquel « un statut merveilleux assure le clos, le couvert et tout le superflu de la première minute de leur arrivée dans cette école jusqu’à leur trépas ». Emmanuel Macron se reconnaîtra peut-être dans ce portrait de haut-fonctionnaire pouvant « à tout loisir quitter les corridors sans fin de la rue de Bercy pour rejoindre les munificences des banques privées où l’on respire les parfums de la fortune ». Pour Pierre-Luc Vogel, « nos gouvernants sont sous influence, l’influence d’outre-Atlantique qui prospère si bien à Bruxelles comme à Strasbourg ». Car la réforme des professions réglementées constitue « la porte ouverte à l’envahissement par la common law », le droit anglo-saxon. « Nos seigneuries sont atlantistes et promptes à servir le roi d’Amérique », poursuit le président du CSN, moquant « ces élégances qui échangent par conf’call mais sont incapables de demander leur chemin dans les rues de Londres ». Et tout ceci coïncident avec une « vaste campagne de presse » lancée contre les intérêts des notaires. Les responsables politiques sont prévenus : « il n’y aura aucune impunité pour ceux qui veulent notre fin ».

Lobby tous azimuts

Pour contrer la loi Macron, comme ils l’avaient fait en 2007 lorsque Nicolas Sarkozy voulait unifier les professions du droit, les notaires ont su mobiliser leurs alliés, même s’ils sont parfois de circonstances. Le lobby s’est déployé tous azimuts. Outre les manifestations, le notariat a multiplié « les placards dans la presse quotidienne régionale et les colonnes des journaux nationaux », détaille Pierre-Luc Vogel. Des sites Internet éphémères ont été créés, tels que « Notaires furibards » ou « Résistances notaires ». Last but not least, « les notaires investissent de plus en plus les réseaux sociaux ».

Le député socialiste « frondeur » Pascal Cherki, l’éditeur Antoine Gallimard, l’anthropologue Françoise Héritier ou le médecin généticien Axel Kahn disent, dans des interviews filmées, leur soutien à la « cause ». Le CSN rappelle comment il a contacté les maires « afin de leur proposer de prendre une délibération du conseil municipal en faveur du notariat ». Les parlementaires de tous bords ont été approchés. Le lobby a fini par payer : le « corridor tarifaire », qui devait encadrer les tarifs de la profession, a été supprimé , en février, par une conjonction de députés UMP, UDI et EELV. Le CSN se targue, enfin, d’une autre avancée qui réjouit les congressistes de Strasbourg : les notaires d’Alsace-Moselle ont été exclus du dispositif Macron, ce qui permet à Pierre-Luc Vogel de lâcher quelques mots en alsacien devant un auditoire ravi.

Dans le combat qui s’annonce encore tendu, le soutien des notaires alsaciens ne sera pas superflu.

Par Olivier RAZEMON, de Strasbourg

http://www.congresdesnotaires.fr/fr/

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