Congrès Notaires à Cannes

Congrès Notaires à Cannes : Discours du Président du 114ème Congrès, Emmanuel CLERGET

Le Congrès des Notaires de France se déroule à Cannes du 27 au 30 mai 2018 sur le thème « Demain le territoire ». Durant ces journées les thématiques de l’agriculture, l’énergie, la ville et le financement. Ci-dessous le discours du Président du 114e Congrès des Notaires Emmanuel CLERGET à l’occasion de l’ouverture officielle ce matin du Congrès.

Discours du Président du 114e Congrès des Notaires Emmanuel CLERGET

Monsieur le Maire de Cannes,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les hautes personnalités,
Monsieur le Président de Conseil Supérieur du Notariat,
Mesdames et Messieurs, Chers confrères,

Deux ans déjà, mes chers amis du 114, que je vous ai invité à arpenter notre territoire pour en offrir un portrait, aussi fidèle que possible. A cette demande, déjà immense, s’ajoutait celle de penser le territoire de demain. Exercice, au combien redoutable, parce qu’il nécessitait de faire la part entre mythes et réalités d’un monde en devenir.
Une nouvelle fois, je vous exprime ma gratitude.

Depuis le 5 mai dernier, nous vivons à crédit.
Je n’évoque pas la dette de la France bien sur, mais un sujet plus grave encore, puisque cela fait déjà trois semaines que notre pays a épuisé les ressources de notre territoire, alors qu’il nous reste encore près de 8 mois à consommer pour terminer l’année civile.

Voilà posé l’enjeu de la thématique de ce congrès : Demain, le territoire.
Il s’agit bien de s’intéresser à notre territoire national, espace fini aux frontières bien établies, et sur lequel s’exerce la souveraineté de l’État français.

Un territoire national, donc, mais également un espace habité, partagé et transformé par l’homme dont la photographie, certes hâtive, permettra dans un premier temps de mesurer les actions de l’homme sur la nature. Cette étude de la France d’hier et d’aujourd’hui, poussera nécessairement notre ingéniosité à envisager dans un deuxième temps, les nouveaux rapports à établir entre cet espace et ses occupants pour que notre société et les générations futures vivent mieux. Il s’agit de proposer à la France de demain une meilleure répartition de l’espace, à des fins bien évidemment économiques, mais surtout de meilleure cohésion sociale.

Pour appréhender au mieux notre territoire, examinons le à travers sa géographie, son organisation politique, son économie et enfin sa sociologie.

Géographiquement d’abord.
La France est diverse. Des vallées verdoyantes aux vastes plaines, des littoraux ocres aux frontières montagneuses, des bourgs et villages aux métropoles en passant par les villes moyennes, la France est terre de contraste, façonnée en grande partie par l’homme. Car, si notre territoire des origines était essentiellement forestier, cette vision d’une nature sacralisée s’est effacée au profit d’une nature domptée, caractérisée par une densification plus forte de l’espace, l’accélération des défrichements, l’assèchement des zones humides.

La forêt n’a été déboisée intensivement que sous le Second Empire. Elle retrouve aujourd’hui une place prédominante en occupant 30 % de notre territoire et elle est avec la ville le type de milieu qui progresse le plus. Cette progression est à la hauteur des enjeux stratégiques qui pèsent sur la forêt : outre, ces vertus écologiques et sociales, l’exploitation et la transformation du bois sous toutes ses formes sera capitale.
Parallèlement, entre 1950 et aujourd’hui la surface agricole est passée de 35 millions d’hectares en 1950 à seulement 28 millions d’hectares en 2018. Si la promotion d’une agriculture productiviste au lendemain de la seconde guerre mondiale a permis à la France de conquérir son indépendance alimentaire, elle a eu pour conséquence le démantèlement du système de polyculture-élevage et la spécialisation des exploitations dans une ou deux productions principales. Ces choix ont conduit à une augmentation de la taille des parcelles et, en partie, à une homogénéisation des paysages.
La géographie d’un pays n’est pas uniquement affaire de lieux de production. C’est aussi, l’environnement dans lequel vivent les hommes. En moins de 40 ans celui-ci a été profondément bouleversé. D’un côté, un phénomène de métropolisation qui s’est accentué, de l’autre une dévitalisation des villes moyennes et des territoires ruraux. Entre 1975 et 2007, 20 % des aires urbaines ont perdu des habitants, essentiellement dans le quart nord-est du pays, l’Auvergne, la Lorraine et le Centre.

Politiquement ensuite.
Comme le relevait Fernand Braudel, « La France aura vécu sans fin, elle vit encore, entre le pluriel et le singulier : son pluriel, sa diversité vivace comme le chiendent ; son singulier, sa tendance à l’unité. »
Cette unité, elle la tient du rôle fort tenu par l’État depuis la Révolution. L’Etat-Nation devait imposer l’égalité des territoires et par là même l’égalité des citoyens. Cette égalité s’est manifestée diversement. D’abord, par la déconcentration des services de l’État : fonction préfectorale, services départementaux de l’équipement, du travail et de l’agriculture. Ensuite, par la péréquation dont le principe est sanctuarisé par notre Constitution. Enfin, et peut-être essentiellement cette égalité a été assurée à travers les monopoles nationaux de service public que sont EDF, la SNCF et la Poste. Cette égalité des territoires est aujourd’hui menacée. Elle est menacée dans sa dimension économique et sociale par l’évidente disparité entre les territoires du fait de l’industrialisation, de l’urbanisation puis de la métropolisation qui se traduit par une concentration des facteurs de production et des richesses dans les grandes villes. Elle est menacée par l’effacement des monopoles publics : postal, ferroviaire et communication. Elle est enfin menacée par le risque de voir certaines régions contester cette idée même d’égalité des territoires au nom d’une économie libéralisée.
Économiquement, notre territoire porte les stigmates de notre modèle. Guy Debord dans « La société du spectacle », affirmait que la production capitaliste avait unifié l’espace dans un processus extensif et intensif de banalisation. Cela est vrai des paysages agricoles mais aussi des espaces commerciaux. Les commerces se sont déplacés du centre de la ville en périphérie. En 2012, 62 % du chiffre d’affaire du commerce se réalisait en périphérie. Le parc des surfaces commerciales a progressé de manière significative entre 1992 et 2007. Passant de 48 à 77 millions de m², il a remodelé le paysage urbain.

En terme énergétique notre modèle économique repose sur la préférence pour le nucléaire. La France dispose du plus important parc nucléaire du monde en proportion de sa population. Le nucléaire fournit près de 78 % de l’électricité en France contre 23 % en Allemagne.
Sociologiquement enfin, tous ces choix ont contribué à modifier le portrait de la France. En en retenant les principaux traits nous pouvons identifier les causes potentielles de l’instabilité sociale de notre pays.
Nous devons le paysage français aux paysans. Pierre Miquel disait d’eux qu’on leur devait « bocages et champs à lanières, routes sinueuses et ponts à dos d’âne sur les rivières, marécages asséchés et forêts aménagées, essartages patients dans les grands bois, emblavures sur les plateaux de loess, prés d’embouche sur les terres grasses, vignes en terrasses sur les coteaux. » Ils sont séculairement les gardiens de cette terre incomparable. Que reste-t-il de ce monde paysan et de son identité ?
Les 2 millions d’exploitations agricoles en 1960, sont passées à moins de 450.000 aujourd’hui. Le niveau d’endettement moyen des exploitations est très élevé, la moitié des agriculteurs a plus de 55 ans et près d’un agriculteur sur cinq ne trouve pas de repreneur. A cet effondrement du nombre d’agriculteurs s’ajoute la défiance des consommateurs qui voudraient une généralisation du passage à une agriculture biologique. Or, si effectivement aujourd’hui un agriculteur français nourrit 70 personnes contre 7 en 1955, il n’est pas certain que l’agriculture biologique parvienne à alimenter toute la population française.
Georges Pompidou en 1971 nous avertissait en affirmant qu’une nature abandonnée par le paysan, même si elle est entretenue, devient une nature artificielle, une nature funèbre.
Cette fin des paysans s’est faite au profit de l’urbanité mais une urbanité fracturée. Cette fracture a été notamment théorisée par le géographe Christophe Guilluy dans « La France périphérique ». Il en ressort que la véritable fracture n’oppose pas les urbains aux ruraux mais les territoires les plus dynamiques à la France des fragilités sociales. Cette dernière comprendrait les agglomérations les plus modestes, certaines banlieues, le réseau des villes petites et moyennes mais également l’ensemble des espaces ruraux.

Cette vision partielle, voire partiale, de notre territoire, permet cependant d’identifier les principaux défis à relever pour construire le territoire de demain.

Ce territoire, que voulons-nous en faire ? Comment le voulons-nous ?
Nous le voulons, adapté aux nouveaux modèles économiques, sans pour autant renier les valeurs qui sont les nôtres.
Ainsi, la construction du territoire de demain doit-elle se faire en réussissant l’alliance entre :
- la France des territoires adaptés aux nouveaux modèles économiques,
- Et la France d’un territoire fidèle aux valeurs universelles
Parce que les français sont devenus plus mobiles, plus tertiaires et plus citadins, il nous faut répondre à ces deux questions : quelle économie pour accompagner l’essor de nos villes de demain et quelle économie pour préserver les autres espaces ?

Penser le modèle économique de la ville de 2050 c’est avoir en tête que 80 % de la population y vivra et qu’en 2017 les villes sont déjà la cause de 75 % de l’effet de serre total et qu’elles consomment 75 % de l’énergie produite. La ville d’aujourd’hui n’est donc pas compatible dans son fonctionnement avec les ressources de la terre ; cela nous oblige à concevoir des villes économes en énergie mais également elles-mêmes productrices d’énergie.
La quête d’une sobriété énergétique passe par les progrès réalisés dans le domaine des isolants et notamment l’utilisation du bois. C’est également limiter les déplacements du logement vers le travail et les commerces. Nous vivrons dans des espaces urbains, non plus monofonctionnels comme aujourd’hui, mais multifonctionnels. Déjà, le travail à distance se développe mais également le coworking. L’immobilier doit s’adapter en multipliant ses usages. Proximité et mixité caractériseront la ville de demain. Quant au modèle des zones commerciales, il pourrait connaître sous les effets conjugués d’un désamour des consommateurs et d’un réveil des collectivités une fin, à tout le moins un arrêt.
Actuellement la ville est dépendante à 100 % de l’énergie qui arrive par des réseaux. Mais cette situation devrait changer avec le développement des énergies renouvelables et notamment, pour la ville, l’énergie photovoltaïque et le biogaz issu de la méthanisation des déchets, modèle parfait d’économie circulaire.
Rapprocher le travail et les commerces du logement, produire de l’énergie sur place, et enfin, ce qui relevait encore d’un idéal « bobo » voici quelques années, produire en ville ou en périphérie une quantité significative de denrées alimentaires. Nombreuses sont les métropoles qui redécouvrent les zones maraîchères et les jardins ouvriers. L’agriculture gagne l’intérieur des villes et toutes sortes d’espaces sont conquis : terrasses, rez-de-jardin, parking… et plus massivement le modèle des fermes verticales développé aujourd’hui par les géants de l’industrie asiatique inspirent nos édiles, à PARIS, avec Cultivate, la plus grande ferme urbaine d’Europe, à LYON, avec la ferme Refarmers.

Quant à l’industrie, toujours localisée à la périphérie des grandes métropoles, elle pourrait s’orienter vers le modèle de l’économie de la fonctionnalité. Il s’agit, pour l’industriel, de vendre, non pas l’objet, mais l’usage. C’est notamment le cas de Michelin qui est passé pour ses pneus poids lourds de haute technologie, de la vente de l’objet pneu à celle des kilomètres parcourus.

Au-delà des villes, le salut des autres espaces reposera, pour les littoraux sur la pérennité des phénomènes d’héliotropisme et d’haliotropisme qui nécessitent uniquement que les eaux ne se retirent pas et que le soleil continue à briller...et pour l’espace rural sur un nouveau modèle agricole tant les deux sont intimement liés.
Alors quelle agriculture pour demain ? Le dernier salon international de l’agriculture a permis à la société de prendre la mesure de l’inquiétude du monde agricole, sommé de se réinventer. Cette métamorphose s’accomplira autour de trois axes : le numérique, le commerce et l’écologie. Les deux derniers impacteront inévitablement le territoire vu comme lieu de production. En privilégiant la qualité des produits, une agriculture labellisée et en s’orientant vers des circuits courts, l’identification de l’agriculteur à un territoire, un terroir, est renforcée. Mais cela nécessite que le consommateur paie le juste prix. La révolution est aussi du côté du consommateur.
Parce que plus personne n’accepte aujourd’hui que l’agriculture ait des effets néfastes sur les sols et les eaux, les agriculteurs doivent adopter de nouvelles pratiques. Nous en voyons déjà les effets : plus de 700 000 kilomètres de haies ont été replantées. La bioéconomie, qui regroupe des domaines aussi vastes que l’agriculture, la forêt, la valorisation des déchets organiques, la production d’énergie ou de biomatériaux, offre également des opportunités aux exploitations agricoles et forestières. Ces nouvelles méthodes ont pour effet de recréer des paysages variés et de favoriser le tourisme vert, autre source de revenus pour les agriculteurs. Tous les services rendus aux paysages et à la collectivité posent la question de la reconnaissance de leur rémunération. Dans leur ouvrage « Au bonheur des campagnes », Bertrand Hervieu et Jean Viard démontrent ainsi que la campagne devient paysage, que le spectacle, c’est à dire le droit de la contempler, prime sur la production et qu’il revient aux agriculteurs eux-mêmes d’entrer dans le paysage pour rester paysans. Il est à cet égard révélateur de voir ressurgir avec force ce terme de « paysan » si dévalorisant hier encore.

Ces mutations ne doivent pas faire oublier l’objectif premier de l’agriculture : nourrir les hommes. Dès lors, l’agriculture dite « conventionnelle » ne doit pas être stigmatisée. Il s’agit au contraire de concilier et mobiliser toutes les agricultures.

Ces défis locaux que nous venons d’évoquer, pour essentiels qu’ils soient, ne doivent pas nous faire oublier que la France s’est conçue et se conçoit toujours comme une et indivisible.
Elle s’est, de plus, toujours attachée à défendre des valeurs fondamentales. Ces valeurs, vous les connaissez : Liberté égalité fraternité.

Alors, en ce début de siècle, quelles valeurs la France entend-elle défendre ?
Deux enjeux majeurs s’imposent à nos sociétés : les migrations et le réchauffement climatique.

Francs, Wisigoths ou Alamans durent quitter leurs terres dans l’espoir d’un avenir meilleur. Il en est de même de tous les persécutés d’Europe qui s’embarquèrent pour le nouveau Monde. L’histoire du monde ne peut être comprise sans l’histoire des migrations. Pour autant le phénomène migratoire prend aujourd’hui une ampleur considérable. Les causes en sont connues : économiques, guerres, et demain climatiques.
Ces migrations nous interrogent :
Doit-on rester fidèle à notre idéal républicain bâti sur la fraternité et demeurer une terre d’accueil ou au contraire fermer nos frontières pour conserver notre culture ? L’enjeu est de taille, notre territoire, est-il en mesure d’accueillir ces hommes et ces femmes en quête de paix et prospérité ? Une certitude, l’ampleur du phénomène migratoire dépasse la compétence du seul Etat-Nation et de notre territoire. Il oblige un règlement à un échelon supérieur, européen ou mondial.
Quant au réchauffement climatique, il redonne à la France depuis quelques années l’occasion de prendre la tête d’une lutte mondiale et de porter une nouvelle valeur universelle : l’environnement.

De « la maison brûle et nous regardons ailleurs » de Jacques Chirac, à « make our planet great again » d’Emmanuel Macron, en passant par la COP 21de 2015, la France milite nettement pour un changement de paradigme. Nos civilisations ont été fondées sur la domination de la nature par l’homme. La conférence de Paris sur le climat, la volonté d’inscrire dans l’article 34 de la Constitution la lutte contre le changement climatique témoignent du désir de passer d’une vision de domination à celle d’un cheminement main dans la main de l’homme et de la nature. Constitutionnaliser la qualité de l’environnement, c’est renforcer la base juridique pour mettre en place sa gestion globale et efficace, transcendant les limites administratives et celles de la propriété publique ou privée.
C’est tout simplement concevoir notre territoire comme un bien commun.

Photo de Une : Emmanuel CLERGET, Président du 114ème Congrès national des Notaires qui se tient à Cannes du 27 au 30 mai 2018 (DR et courtesy Congrès des Notaires)

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