Conseil Constitutionnel

Conseil Constitutionnel : Une nouvelle décision veillant au respect des droits fondamentaux en matière fiscale

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 28 novembre 2014 (Décision n° 2014-431 QPC - Sociétés ING Direct et ING Bank) dans le prolongement de sa saisine en date du 19 septembre 2014 par le Conseil d’État (décision n° 376800 du 19 septembre 2014).

Le haut Conseil avait été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par les sociétés ING Direct NV et ING Bank NV, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, des dispositions du paragraphe II de l’article 209 du code général des impôts (dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002, étant précisé que cette ancienne rédaction prévoyait un agrément discrétionnaire du ministre).

Les sociétés requérantes dénonçaient à cet égard :

-  Le caractère discrétionnaire de l’agrément que devait donner le ministre (afin de bénéficier, en particulier, au niveau de la société absorbante, de la reprise des déficits fiscaux reportables de la société absorbée), tel que prévu par le texte législatif applicable à l’époque, et

-  L’absence de précision prévue par la loi s’agissant des conditions d’octroi de cet agrément.

Elles demandaient de ce fait la vérification de ces dispositions aux droits et libertés que la Constitution garantit et notamment au regard du principe d’égalité devant les charges publiques (article 13 de la Déclaration de 1789).

On rappellera, pour mémoire, que le régime fiscal des fusions prévoit désormais un agrément de droit et non plus à caractère discrétionnaire.

Le Conseil Constitutionnel a jugé néanmoins ces anciennes dispositions légales conformes à la Constitution tout en formulant, toutefois, une réserve d’interprétation.
Il précise certes que les dispositions contestées ne sauraient priver de garanties légales les exigences qui résultent de l’article 13 de la Déclaration de 1789. Pour autant, le Conseil ajoute que des dispositions ne pourraient être interprétées comme permettant à l’administration de refuser cet agrément pour un autre motif que celui tiré de ce que l’opération de restructuration en cause ne satisfait pas aux conditions fixées par la loi.

Il est intéressant de relever le contenu de certains considérants du Conseil Constitutionnel dans cette décision :

« Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu’en particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose  ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ;

9. Considérant que le pouvoir donné par la loi à l’administration de fixer, contribuable par contribuable, les modalités de détermination de l’assiette d’une imposition méconnaît la compétence du législateur dans des conditions qui affectent, par elles-mêmes, le principe d’égalité devant les charges publiques ;

10. Considérant que les dispositions contestées sont relatives aux modalités de détermination de l’assiette de l’imposition des bénéfices des sociétés dans le cadre d’opérations de restructuration ; qu’elles permettent, sous réserve de l’obtention d’un agrément délivré par le ministre de l’économie et des finances, de reporter les déficits antérieurs non encore déduits soit par les sociétés apporteuses, soit par les sociétés bénéficiaires des apports sur les bénéfices ultérieurs de ces dernières ;

11. Considérant que les dispositions contestées ne sauraient, sans priver de garanties légales les exigences qui résultent de l’article 13 de la Déclaration de 1789, être interprétées comme permettant à l’administration de refuser cet agrément pour un autre motif que celui tiré de ce que l’opération de restructuration en cause ne satisfait pas aux conditions fixées par la loi  ; que, sous cette réserve, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence en adoptant les dispositions contestées. »

Cette décision fait suite à d’autres décisions rendues, notamment en matière fiscale, par le Conseil Constitutionnel dans un sens comparable.

a) S’agissant de l’atteinte au principe d’égalité des personnes devant la loi :

Le Conseil Constitutionnel a souvent rappelé dans de précédentes décisions qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse  ». Il résulte du principe d’égalité précité que la loi doit toujours traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation. Bien entendu, il a été jugé et admis que la loi puisse traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

b) S’agissant de l’atteinte au principe de sécurité juridique :

Le Conseil constitutionnel a parfois sanctionné des dispositifs législatifs jugés contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité à la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et qui « impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques  » (Notamment, les décisions du Conseil Constitutionnel n°2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010).

Comme on le sait, le Conseil Constitutionnel joue de plus en plus, le rôle de gardien des libertés publiques garanties par la Constitution.

Il est en particulier devenu au cours de ces dernières années, et encore plus depuis la réforme constitutionnelle de 2008 (avec la création de la procédure dite de « question prioritaire de constitutionnalité » ou « QPC »), un rempart contre les excès récurrents du pouvoir en matière législative et, notamment, dans le domaine fiscal.

Il est toujours intéressant de le souligner une fois de plus !

Par Jean-Michel Nogueroles
LEXWELL – Avocat associé, également inscrit aux Barreaux de Barcelone (Abogado) et de Londres (Solicitor)
Enseignant à Sciences Po (Paris)

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