Crowdfunding : ça y (...)

Crowdfunding : ça y est !

Il aura fallu un peu plus de deux ans pour que la France se dote d’un arsenal législatif et réglementaire propice au développement du « crowdfunding ». Depuis le 1er octobre, les dispositions légales et réglementaires permettent d’offrir aux investisseurs, aux porteurs de projets ainsi qu’aux gestionnaires de sites Internet, un cadre légal assoupli pour l’accomplissement de leur activité.

Rappelons que le « crowdfunding » ou « financement participatif » permet, via un site Internet, de récolter des fonds auprès d’un large public en vue de financer un projet artistique, humanitaire ou entrepreneurial. La pratique en distingue trois formes : le don, le prêt (avec ou sans intérêt) ainsi que le financement en titres financiers.

Dans la mesure où le crowdfunding concerne un secteur financier, potentiellement porteur de risques et donc de crises, il se développait, jusqu’à présent, dans un contexte législatif très contraignant.

Les mesures prises par l’ordonnance du 30 mai 2014 et par le décret du 16 septembre 2014, entrées en vigueur depuis le 1er octobre dernier, ont pour objectif de faciliter la création de plateforme de financement participatif ; simplifier le recours à ce mode de financement et protéger l’investisseur.

Les opportunités pour le porteur de projet

Le porteur de projet peut désormais, via une plateforme de crowdfunding, financer son projet en sollicitant la communauté des internautes, dans le cadre d’un don, d’un prêt ou encore dans le cadre d’un investissement en titres financiers (actions ordinaires ou obligations).

Si les personnes morales peuvent bénéficier de prêts ou de dons, aucune condition quant au prêteur n’étant posée à leur égard, il n’en est pas de même pour les personnes physiques.

Les personnes physiques agissant à des fins professionnelles ou finançant une formation, peuvent bénéficier de prêts et de dons. S’agissant de prêts avec ou sans intérêts pour le financement d’une formation, ils doivent être consentis par des personnes « agissant à des fins non professionnelles ».

Les particuliers n’agissant pas pour des besoins professionnels peuvent bénéficier de prêts sans intérêt, sous réserve que les prêteurs n’agissent pas dans un cadre professionnel.

Les nouvelles dispositions ne fixent aucun plafond pour le financement du projet par le don. En revanche, pour le prêt ou l’investissement en titres financiers, le montant maximum pouvant être financé, via le crowdfunding, est d’1 million d’euros. Concernant l’investissement en titres financiers, ce plafond permet plus précisément, pour le porteur de projet, d’être dispensé de l’important formalisme applicable au régime de l’« offre au public » et à la nécessité de la publication d’un prospectus, visé par l’AMF (Autorité des marchés financiers). En dessous de ce seuil, le porteur de projet n’est pas obligé d’établir un tel prospectus et donne simplement aux investisseurs, une information minimale leur permettant d’éclairer leur consentement.

La réforme a, en outre, autorisé les porteurs de projet, constitués sous la forme d’une SAS, à recourir au financement participatif, sous réserve toutefois de respecter certaines exigences légales applicables aux sociétés anonymes (SA), en matière de droits de vote, de répartition des compétences, de quorum et d’organisation des assemblées générales.

Les opportunités pour les plateformes de financement participatif

Deux nouveaux statuts sont créés par l’ordonnance du 30 mai 2014 : celui de Conseiller en investissement participatif (CIP) et celui d’Intermédiaire en financement participatif (IFP).

Les CIP ont pour activité quasi-exclusive, par le biais d’un site Internet, de faire du conseil en investissement et donc des recommandations concernant les titres financiers émis dans le cadre d’un financement participatif.

Les IFP ont pour activité de mettre en relation, au moyen d’un site Internet, des porteurs de projet et les personnes qui sont autorisées à les financer sous forme de prêts.

L’accès à ces statuts est subordonné à une immatriculation sur le registre tenu par l’ORIAS et, concernant les CIP, à l’adhésion à une association chargée du suivi de ses membres.

Les CIP et les IFP doivent, par ailleurs, justifier d’une assurance professionnelle couvrant les conséquences de leur responsabilité civile. L’entrée en vigueur de cette obligation est reportée au 1er juillet 2016.

Même si les statuts génèrent, pour les CIP et les IFP, un certain nombre d’obligations, ainsi que des règles de bonne conduite et d’organisation (notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent), l’ordonnance a considérablement allégé les obligations qui leur étaient applicables avant la réforme. S’agissant des CIP d’abord, ils n’ont pas, comme les Prestataires de services d’investissement, de contraintes capitalistiques à respecter. De plus, ils peuvent se constituer sans demander d’agrément auprès de l’ACPR, ni même soumettre, à la validation de l’AMF, leur programme d’activité.

Quant aux IFP, ils peuvent encaisser des fonds pour le compte de tiers dans le cadre d’un régime prudentiel allégé : ils sont soumis à un capital social minimum réduit (40 000 euros) et dispensés des règles applicables aux Prestataires de services de paiement, en matière de fonds propres et de contrôle interne.

Par ailleurs, le site géré par le CIP ou le IFP doit répondre à un certain nombre de caractéristiques offrant des garanties de fonctionnement qui permet à l’investisseur de connaître les conditions de sélection des projets ainsi que des informations sur les risques de son investissement et les frais exigés.

Les CIP ou les IFP peuvent, enfin, dans des conditions restant à déterminer, demander à bénéficier d’un label « Plateforme de financement participatif régulée par les autorités françaises » censé rassurer les investisseurs.

Les opportunités pour les investisseurs

Les investisseurs intervenant dans le cadre du crowdfunding ont des sensibilités différentes selon leur mode d’intervention : alors que l’investissement en titres financiers intéressera un investisseur animé par l’esprit spéculatif, le financement sous forme de prêt peu rémunéré ou de don s’inscrira plutôt dans un mouvement de solidarité.

Dans le cas du financement d’un projet via un prêt, l’investisseur ne pourra intervenir que dans la limite d’un plafond de 1 000 euros par projet, si le prêt est avec intérêt, et de 4 000 euros, s’il est sans intérêt. Le taux du prêt, inférieur au taux de l’usure, est obligatoirement fixe et la durée du prêt ne peut excéder sept ans.

Aucun plafond maximum personnel n’est imposé pour un investisseur qui souhaiterait financer un projet par un don ou par des titres financiers.

Il est dommage que la réforme n’est prévu aucun régime fiscal incitatif propre au financement participatif qui aurait permis d’accroître ce mode de financement. L’investisseur qui souhaiterait bénéficier d’avantages fiscaux devra, en conséquence, se reporter aux régimes fiscaux applicables en la matière (par exemple : investissement au capital de PME s’agissant des titres financiers ou encore, régime du mécénat, dans le cadre d’un don à une association).

Seule la pratique permettra de dire si la réforme est suffisamment équilibrée entre d’une part, la protection des investisseurs et d’autre part, la souplesse et l’efficacité demandés par les acteurs du secteur. Quoiqu’il en soit, cette réforme, relativement bien accueillie, a permis de placer la France comme un des premiers pays offrant un cadre juridique sécurisé pour les opérations de crowdfunding.

Par Jean-François BLARET, avocat, droit des sociétés

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