Dossier : Jeunes professi

Dossier : Jeunes professionnels du Droit et du Chiffre du 06 : quelles visions de l’interprofessionnalité ?

L’interprofessionnalité. Un grand mot qui soulève beaucoup de réactions, particulièrement en ce moment avec le Projet de Loi sur la Croissance et l’Activité, porté par le Ministre de l’Economie. Pour parler de ce sujet, nous avons échangé avec les représentants des jeunes professionnels des métiers du Droit et du Chiffre des Alpes-Maritimes : Me Julien Ceppodomo (Président de l’Union des Jeunes Avocats de Grasse), Me Ange-Aurore Hugon-Vives (ancienne Présidente de l’Union des Jeunes Avocats de Grasse et membre du bureau actuel), Alexandre Poletti (Président du Club des Jeunes Experts-Comptables et Commissaires aux Comptes pour la section Côte d’Azur-Corse), Me Jeanne Caspar (Jeune Notaire des Alpes-Maritimes) et Me Romain Ghiandai (Jeune Huissier du 06).
Résumé de nos rencontres…

« L’interprofessionnalité est indispensable »

Les jeunes professionnels s’entendent tous sur ce point. L’interprofessionnalité, c’est avant tout le fait de mettre différents moyens au service d’une fin commune. « Toutes les professions du droit et du chiffre ont besoin de travailler ensemble. […] Chaque professionnel permet d’apporter une spécificité qui répond à une question précise du citoyen », explique Me Julien Ceppodomo.

Tom Vagnoux, Président de l’association des experts-comptables stagiaires (à gauche) et Alexandre Poletti, Président du Club des Jeunes Experts-Comptables et Commissaires aux Comptes pour la section Côte d’Azur-Corse ©CM

Il ressort de ces rencontres que l’interprofessionnalité se met en place naturellement, par le relationnel et les recommandations que peuvent se faire les professionnels entre eux. Pour autant, il existe une Charte, datée du 15 juin 2006 et signée par le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables, le Conseil Supérieur du Notariat et le Conseil National des Barreaux : La Charte de collaboration interprofessionnelle sur les synergies entre les professions du droit et du chiffre au service de l’accompagnement des clients communs.

Hormis ce texte qui formalise les bonnes pratiques, c’est la déontologie de chaque profession qui trace les lignes. « Si on voulait structurer également l’interprofessionnalité et ses modalités, il faudrait une déontologie commune, qui laisserait existantes les déontologies de chaque profession individuelle, mais qui apporterait un traçage territorial des domaines de compétences de chacun. Ce serait en fait beaucoup d’interdictions et de recommandations d’exercice. Je pense que cela engendrerait une négociation très importante de toutes les professions », explique Me Ceppodomo avant d’ajouter : « de mon point de vue, il n’y a pas forcément besoin à la base de charte ou d’une organisation structurelle de l’interprofessionnalité. Ce qu’on ne sait pas faire, parce que ça ne relève pas de notre compétence, on sait le promouvoir chez d’autres professionnels. »

Encore faut-il avoir une pleine connaissance des compétences de chacun, parfois limitées à ce qu’il y a de plus visible. C’est aussi là-dessus qu’il faut travailler. Comme l’indique Alexandre Poletti, « organiser des réunions entre les professions du droit et du chiffre serait une opportunité pour pouvoir se connaître davantage et développer nos réseaux. C’est un manque qu’on va essayer de combler au niveau local. » Une remarque et même plus, un réel besoin, qui ressort unanimement des différentes rencontres réalisées pour ce dossier.

Quelques exemples de « maillage professionnel »

Les complémentarités évidentes…

- Experts-comptables / Avocats : aspect juridique autour des différents moments de la vie d’une entreprise (constitution, etc.)
- Notaires / Avocats : droit de la famille (divorces, etc.)
Experts-comptables / Notaires : vie des sociétés (cessions de fonds de commerce, etc.)

… Et celles plus ambigües

Avocats et ventes immobilières (parcelle de compétence des notaires)
Experts-comptables et droit des sociétés / licenciements (compétence qui devrait incomber aux Avocats)

« Un projet de loi qui n’arrange rien et floute les lignes de cette interprofessionnalité »

La Notaire Me Jeanne Caspar ©CM

Le Projet de Loi sur la Croissance et l’Activité porté par le Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron, et plus particulièrement le titre Ier visant à libérer l’activité en révisant les conditions d’exercice des professions réglementées et en aménageant leur cadre d’activité, engendre depuis plusieurs mois une forte mobilisation des professions du Chiffre et du Droit. Comme l’explique Me Jeanne Caspar, « aujourd’hui, cette nouvelle loi à l’étude floute les lignes de l’interprofessionnalité. On n’est pas opposé à travailler ensemble, bien au contraire et c’est ce que l’on fait depuis longtemps. Au lieu de cette complémentarité qui se fait en bonne intelligence, j’ai peur qu’on en arrive à un mélange des genres. […] On n’a pas envie de se retrouver en conflit avec des professionnels avec qui on travaillait très bien jusqu’à maintenant […] Nous envisageons des mobilisations interprofessionnelles et des actions plus marquantes pour les pouvoirs publics. »

Effectivement, interprofessionnalité et concurrence ne font pas bon ménage…

Une limite d’autant plus exacerbée par le Projet de Loi Macron. « Les réformes en cours qui tentent d’être imposées aux différentes professions réglementées par le Ministère de l’Economie, en ouvrant notamment les capitaux des cabinets, fait qu’on va en arriver à une interprofessionnalité capitalistique. […] Le fait d’imposer les choses sans laisser le temps nécessaire aux professions pour se concerter et trouver un accord entre elle, c’est dommageable », argumente Me Hugon-Vives. « Le problème avec ces projets de réformes gouvernementales, c’est qu’on veut placer de la concurrence à plus forte dose dans un domaine qui l’est déjà. A mon sens, on va augmenter le risque de déliquescence de toutes ces professions », complète Me Ceppodomo.

Me Romain Ghiandai, huissier ©DR

Pourquoi changer un modèle juridique qui fonctionne et qui s’exporte ? C’est aussi la question que pose Me Romain Ghiandai. Au regard de l’Union internationale des huissiers de justice, « c’est un modèle qui nous est demandé dans d’autres pays et on est en train d’essayer de le saccager alors qu’il s’exporte. » Il est rejoint par Me Caspar qui assure que le modèle notarial français est notamment exporté vers la Chine.
Les professionnels du Chiffre et du Droit restent unis et seront mobilisés le 10 décembre prochain dans toute la France pour continuer à se faire entendre sur ce projet de loi.

« Garder le cap et nouer des relations sur le terrain »

En marge de l’actualité, il faut garder le cap, être positif et se montrer créatif, car de ce qu’il se passe actuellement peut naître de nouvelles idées et formes de partenariats. « Je pense que les enjeux économiques que nous vivons depuis quelques années et qui frappent de plein fouet les jeunes qui entrent dans la profession, peuvent aussi pousser à une concentration des moyens et des compétences. Un phénomène d’attraction en quelque sorte : on va se rapprocher dans le cadre des réseaux, chercher de la prescription pour se développer et pouvoir travailler ensemble », ambitionne Me Hugon-Vives. Il faut aussi compter sur le fait que spontanément, le respect entre prescripteurs est de mise, comme l’illustre Alexandre Poletti sur le cas concret des missions juridiques : « nous pouvons faire des missions juridiques si elles sont annexes à une mission comptable. Sur ce point-là, on peut prendre un peu de part de marché des avocats. Cependant, comme ce sont des prescripteurs, on fait attention à ne pas trop empiéter sur leur terrain, car il est préférable de travailler ensemble d’un commun accord. Sur ce point-là, il y a une limite à ne pas franchir. »

Les avocats Me Julien Ceppodomo (Président de l’Union des Jeunes Avocats de Grasse) et Me Ange-Aurore Hugon-Vives (ancienne Présidente de l’UJA de Grasse) ©CM

Les jeunes professionnels retroussent leurs manches : quelques exemples d’actions de terrain.

Dans les actions menées au plan local et national, l’Union des Jeunes Avocats adopte une vision prospective très large de l’interprofessionnalité. L’Union des Jeunes Avocats de Grasse travaille au sein de la Fédération Nationale des UJA au développement de ces interprofessionnalités :
. Mise en place d’une « caravane de la médiation », couplée à la « caravane de l’installation » pour informer les avocats sur le sujet et présenter les interlocuteurs de ce mode alternatif de résolution des conflits.
. Création d’un partenariat avec les Jeunes Experts-Comptables pour permettre le dialogue, pouvoir se retrouver, créer du lien et du liant.
. Rapprochement au plan local entre les jeunes avocats et les jeunes chefs d’entreprises, dans le cadre d’un partage de connaissances, expériences, puis de formations. « Ils nous forment sur certains points qu’on ne maitrise pas et dont notre profession avait besoin dans notre exercice individuel et on les forme également sur des points particuliers dont ils ont besoin pour la construction et le développement de leur entreprise. On a eu cet échange au niveau local, qui a permis de mieux connaitre les jeunes chefs d’entreprises du 06 », explique Me Ceppodomo.

Du côté du Club des Jeunes Experts-Comptables, chaque région compte développer des actions autour l’interprofessionnalité. « Aujourd’hui, c’est notre axe de développement, on va tout faire pour pouvoir rencontrer les avocats, les notaires et les huissiers afin de permettre à nos membres adhérents de connaître de nouveaux professionnels et travailler avec eux », ajoute Alexandre Poletti.

Ces rencontres informelles sont également sollicitées par les jeunes notaires et huissiers, pour perpétuer l’aspect à la base naturel, de l’interprofessionnalité. Alors, à quand la première grande réunion interprofessionnelle ?

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