Du petit ou du gros (...)

Du petit ou du gros bout de l’œuf : Vitesse nouvelle et sans frontière

Le Comité interministériel de la sécurité routière se réunira en janvier pour statuer enfin sur l’épineuse question de la rénovation de la limitation de vitesse sur route. L’abaissement de 90 km/h à 80 km/h est une idée contestée par les uns, soutenue par d’autres, qui, en tout état de cause, risque de provoquer une surcharge de verbalisations tant il est vrai que l’habitude de rouler à 90 est ancrée.

Par Maître Xavier MORIN, Docteur en Droit, Avocat au Barreau de Paris.

80 km/h semble, pour une grande partie du réseau routier français, au vu de son état, une vitesse encore excessive pour les malheureux conducteurs qui doivent composer avec des pièges que la sécurité routière ne paraît pas soupçonner. Faut-il abaisser la vitesse en raison de la route ou faut-il aménager la route pour augmenter ou maintenir la vitesse de déplacement ? Cette diminution est souvent mal interprétée, considérée comme une punition du conducteur, éternel incapable, cause exclusive de l’insécurité, dont il faudrait limiter le droit, en l’occurrence le droit à la vitesse, pour que soit garantie l’intégrité de tous.

80, 90, 100... des limitations très variables

En Europe, les limitations de vitesse imposées assez variables, sont manifestement indépendantes de la question du conducteur, et l’on croit y déceler le fait qu’une limite à 80, 70, 90, 96 ou 100 ne change pas grand-chose, qu’elle est indexée sur des causes qui restent à analyser, et enfin, hormis que, en tendant vers 0 km/h, le risque d’accidents et la gravité de ceux-ci diminuent, le choix s’annonce arbitraire. Mais sans doute est-ce parce que l’on ne comprend rien aux finesses des règles…
Depuis la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui transpose, en son article 37, la directive européenne n°2015/413/UE du 11 mars 2015 facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière, la France a mis en place l’échange avec la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, l’Italie, le Luxembourg, l’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque et avec la Suisse par le truchement d’un accord bilatéral spécifique.
Depuis le 1er décembre 2017, le Portugal vient grossir les rangs des pays dont les ressortissants conducteurs flashés par les radars français pourront recevoir un avis de contravention et réciproquement pour les français qui verraient des infractions relevées contre eux dans ces pays.

Quid des recours des justiciables en Europe ?

Cette cohérence paraît rationnelle, a pour effet de mettre fin à la relative
impunité dont le titulaire d’un permis étranger pouvait bénéficier. Ce mouvement pourrait justifier que l’administration des divers pays tentent de rendre homogènes les règles applicables et que, poursuivis en tout lieu, le contrevenant bénéficie au moins d’un corpus de règles à respecter qui nsoit pas si divers que toutes soient finalement discréditées dans leur pertinence. Quid enfin des accords qui permettront aux conducteurs d’organiser efficacement les recours juridictionnels afin de pouvoir contester les verbalisations transfrontières ?
Aucune mesure n’a d’efficacité si elle n’admet pas des procédures de contestation efficaces. Seul l’exercice de la dialectique permet d’assurer l’acceptation, par la compréhension, des règles imposées et nous souhaitons bien du courage à la sécurité routière en France pour expliquer la raison pour laquelle le conducteur sera puni pour avoir roulé à 90 km/h sur notre territoire, au lieu de 80 km/h quand il sera possible de rouler à 96 km/h ici, à 100 km/h là.

Chacun sait, grâce au merveilleux Swift, la cause de la terrible guerre que se livraient Blefuscu et Lilliput* ; la question reste d’actualité : un œuf s’ouvre-t-il par le petit bout ou bien le gros bout ?

* NDLR "Les voyages de Gulliver" de Jonathan Swift

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