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Du travail détaché au travail dissimulé, le « dumping social » dans le collimateur du gouvernement

Libre circulation des travailleurs en Europe pour les uns, « dumping social » pour les autres, l’actualité du travail détaché fut particulièrement marquante en 2014. Plusieurs condamnations retentissantes de sociétés pour travail dissimulé ont fait l’objet d’une large couverture médiatique, inhabituelle pour ce type de délit, ajoutant un peu plus d’appréhension chez les dirigeants. Etat des lieux.

Le 25 octobre dernier, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence rendait un arrêt très attendu dans l’affaire « Ryanair », et confirmait le jugement de première instance ayant condamné la compagnie aérienne irlandaise pour « travail dissimulé », sur l’aéroport de Marseille-Provence, à une amende de 200 000 euros ainsi qu’à 8,1 millions d’euros de dommages-intérêts aux organismes sociaux, aux syndicats professionnels et à quatre anciens pilotes qui s’étaient constitués parties civiles contre la compagnie.
Il était reproché à la société Ryanair de ne pas appliquer le droit social français, en violation du droit communautaire, au profit du droit irlandais, à ses 127 salariés, qui assurait pourtant, selon l’accusation, « une activité constante, avec un personnel résidant à proximité » et avait des « locaux permanents » situés à Marignane.

En mars 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait confirmé la condamnation pénale de deux autres compagnies étrangères low-cost pour les mêmes faits de travail dissimulé . Cityjet, filiale d’Air France, avait également été condamnée en octobre 2013 en appel .

Le secteur du transport aérien n’est pas le seul concerné, loin s’en faut.

En mars 2015 s’ouvrira devant le tribunal correctionnel de Cherbourg le procès des sociétés Bouygues T.P, Atlanco et Elco pour travail dissimulé, concernant 460 ouvriers polonais et roumains opérant sur le chantier du réacteur « EPR » de Flamanville. En cause : le détachement illégal de travailleurs de l’Union Européenne, opérant sur le territoire français et, plus généralement, les actions visant à importer de la main d’œuvre en France, non soumise au droit social français.

En réalité ces « maxi-procès » révèlent la volonté de l’Etat de faire de la lutte contre le travail illégal, au même titre que la lutte contre la fraude fiscale, l’une de ses priorités. Il était donc prévisible de voir le Parlement se saisir du phénomène.
Dans son rapport d’information d’avril 2014 , le sénateur du Nord, Eric Bocquet (PCF) dénonçait fermement le « dumping social » dans les transports. Prenant pour exemple, outre les condamnations du secteur aérien, plusieurs sociétés de transports routiers, impliquées dans des affaires de travail dissimulé.

Vigilance renforcée

Ce rapport a donné lieu à la loi la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 « visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale » et qui vient renforcer l’arsenal juridique de lutte contre les fraudes au détachement transnational, et plus généralement, contre le travail illégal.

Dans le viseur du législateur, les « fraudes consistant à recourir massivement à l’emploi de salariés à bas coût comme un outil de concurrence déloyale […] ».

En réalité, les apports de ce texte sont à relativiser, puisqu’il est surtout question de renforcer les obligations de vigilance des entreprises donneuses d’ordres, lesquelles devront obligatoirement procéder à diverses vérifications, auprès de leur sous-traitant. Le décret précisant le contour de ces obligations devrait sortir en février 2015.

Par ailleurs, ont été renforcées les obligations des employeurs étrangers qui procèdent à des détachements de salariés avec, entre autre, l’obligation nouvelle de désigner un représentant de l’entreprise sur le territoire national, chargé d’assurer la liaison avec les inspecteurs et les contrôleurs du travail , pendant la durée de la prestation.

L’état du droit sur le détachement, lui, n’a pas changé : selon le Code du travail, est un travailleur détaché le salarié d’un employeur établi à l’étranger qui travaille pendant une période temporaire sur le territoire national. Il s’en déduit que, pour qu’un travailleur étranger bénéficie du statut de détaché, plusieurs conditions cumulatives doivent être remplies :
- le lien de subordination doit perdurer avec l’employeur étranger ;
- le travailleur étranger ne peut pas avoir été embauché juste pour son détachement en France ;
- l’entreprise qui détache doit être habituellement installée dans le pays étranger.
Aux fins de garantir les droits du travailleur répondant à cette définition, les dispositions en vigueur imposent aux entreprises étrangères de se conformer au droit français. Durant sa présence sur le territoire national, le travailleur détaché doit ainsi bénéficier des principaux droits accordés aux salariés des entreprises françaises.
Des cas aussi variés que des manquements au droit du travail français, la fictivité de l’entreprise étrangère ou l’artificialité de la relation de sous-traitance entre la société française donneuse d’ordre et la société étrangère, sont susceptibles de donner lieu à des poursuites pour travail illégal.

En pratique, le danger pour l’entreprise de se voir imputer ces infractions n’est pas neutre. Les grands procès de 2014, et ceux planifiés pour l’année 2015, doivent rappeler aux entreprises l’effectivité de ce risque et ses nombreuses conséquences sur le plan pénal, social mais aussi médiatique.

Par Thibaud Lemaitre, département règlement des contentieux

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