Enfance : le tribunal au

Enfance : le tribunal au milieu d’enjeux complexes

Le tribunal pour enfants de Nice est un service du tribunal judiciaire confié à Chloé Sallée depuis septembre 2019. Il est composé de quatre juges des enfants, d’une directrice et de huit agents du greffe amenés à travailler avec de nombreux partenaires, tous réunis au service de la Protection de l’enfance. Lors de l’audience de rentrée du nouveau tribunal judiciaire de Nice, le président Jean-Talon a donné la parole à Mme Sallée pour qu’elle présente les actions - les difficultés et les limites aussi - du tribunal pour enfants. Ci-dessous, de larges extraits de son discours.

>> Soutien éducatif, placement

Pour se représenter l’activité du juge des enfants en assistance éducative on pense souvent aux enfants battus, maltraités par leurs parents. La réalité est souvent plus nuancée, nous sommes loin de la famille Thénardier des Misérables, pour nous trouver régulièrement dans le champ de la négligence, des carences de parents qui ne peuvent pas offrir ce qu’ils n’ont eux-mêmes pas reçus. Dans ce cadre, le juge des enfants ordonne des mesures de soutien éducatif à la maison, et quand on ne peut pas faire autrement, des mesures de placement. L’exécution de toutes ces mesures est confiée à l’aide sociale à l’enfance des Alpes-Maritimes avec laquelle nous devons par définition articuler nos actions dans l’intérêt des enfants concernés.

>> Migration, enjeux politiques

Le visage du contentieux de la protection de l’enfance a évolué ces dernières années et reflète des problématiques plus globales, je dirais même mondiales. L’extrême violence des
conditions de vie dans diverses parties du monde amène les individus à se déplacer, ce qui concerne également les enfants, parfois de jeunes enfants ou de jeunes adolescents qui se présentent seuls en demandant protection, le juge des enfants étant compétent pour tout mineur présent sur le territoire national.
Cette évolution crée des tensions car la prise en charge de ces mineurs qu’on dit “non accompagnés” représente une charge et un coût particulièrement lourds pour les départements qui se sentent parfois abandonnés par l’état dans cette mission.
Le juge des enfants se retrouve au cœur d’enjeux politiques qui parfois le dépassent et doit se rappeler sans cesse à sa mission de protection de l’enfance, garant des mêmes droits et des mêmes libertés pour tous les enfants et adolescents. Étant précisé que nous n’avons pas d’outil permettant d’évaluer avec précision l’âge d’un grand adolescent qui plus est issu d’un parcours personnel et migratoire multi-traumatique.
Ceci nous place parfois en difficulté et peut créer des tensions entre les différents acteurs, en fonction de leur place institutionnelle. Nous avons toutefois engagé des débats riches et animés avec l’aide sociale à l’enfance des Alpes-Maritimes sur ces questions.

>> Pénal, mais primauté de l’éducatif

Le juge des enfants intervient également dans un autre cadre que celui de l’assistance éducative, il s’agit de la matière pénale lorsqu’un adolescent commet une infraction. (...) Il s’agit de la double compétence du juge des enfants qui trouve son fondement dans les textes qui encadrent notre mission. La matière pénale constitue un nouveau cadre de travail offert au juge des enfants pour poursuivre sa mission de protection de l’enfance, cette fois dans un cadre contraint. Notre pratique quotidienne nous enseigne que les adolescents suivis en délinquance et qui s’ancrent dans des problématiques anti-sociales sont tous des enfants dont les adultes qui les avaient en charge lorsqu’ils étaient petits, ne sont pas parvenus à leur faire entendre la légitimité de la loi en tant que norme protectrice. L’enjeu de notre travail réside alors dans le fait de leur apporter une protection, ce qui suppose de leur fixer des limites permettant de protéger la société tout entière.
À ce titre, le Conseil constitutionnel en 2002 a érigé en principe fondamental reconnu par les lois de la république le principe de la primauté des mesures éducatives ordonnées par le juge des enfants (suivis éducatif, placements) et à titre d’exception le recours à des mesures répressives et des peines (contrôle judiciaire, travail d’intérêt général, emprisonnement).
Ces mesures répressives doivent toujours s’inscrire dans une action éducative globale dont la continuité est garantie par le regard d’un même juge en charge de tous les suivis d’un mineur. L’exécution de ces mesures pénales est confiée à la Protection judiciaire de la jeunesse quasi exclusivement, qui est un service de l’état. Le travail éducatif demande du temps car il s’agit d’adolescents qui du fait de leurs parcours n’ont pas confiance dans les adultes en charge d’assurer leur protection tant ils ont été déçus par le passé.
L’ordonnance du 2 février 1945 qui régit notre cadre de travail actuel nous permet de disposer d’un cadre procédural souple, qui laisse le temps au travail éducatif de se mettre en œuvre et aux enfants d’en profiter progressivement et qui donne une place centrale au juge des enfants compte tenu de la connaissance particulière que nous détenons des mineurs dont nous assurons le suivi et la protection.

Le temps judiciaire et le temps éducatif...

"Le projet voté par voie d’ordonnance suivant la procédure de l’article 38 de la Constitution prévoit l’entrée en vigueur d’un code de la justice des mineurs le 1er octobre 2020 qui réformera en profondeur la procédure pénale spécialisée applicable aux enfants. Ces nouvelles règles imposeront notamment aux juges des enfants des délais de jugement contraints dans une organisation totalement nouvelle qui reste à penser et à mettre en œuvre, afin notamment de répondre aux attentes des victimes en leur permettant d’obtenir des jugements plus rapides.
Nous craignons que le temps judiciaire ainsi écourté ne soit plus en adéquation avec le temps éducatif indispensable à la prise en charge d’enfants et d’adolescents vulnérables en cours de construction sur le plan physiologique et psycho-affectif, alors que par ailleurs la fermeture annoncée par l’Agence régionale de santé de la structure intersectorielle pour adolescents difficiles (SIPAD) risque de compromettre gravement la prise en charge de la santé mentale de ces jeunes. Nous nous questionnons par ailleurs sur la possibilité matérielle pour notre juridiction de faire face aux délais tels que prévus par les textes sans aucun moyen supplémentaire concret annoncé à ce jour pour y faire face.
Nous notons toutefois qu’au mois de septembre dernier, la demande de création de poste formulée depuis plusieurs années du fait de l’augmentation constante et toujours actuelle du contentieux de l’assistance éducative a été entendue par le ministère de la justice, puisque le tribunal pour enfants de Nice compte désormais un magistrat en surnombre, l’effectif étant porté à quatre juges. Cette affectation n’a malheureusement pas été suivie d’attribution de moyens de greffe. En effet, le tribunal pour enfants ne saurait se réduire à ses juges, il comporte également une directrice de greffe qui détient sous sa responsabilité des agents dont je tiens à saluer l’engagement et l’implication malgré des conditions de travail de plus en plus difficiles".

Photo de Une : Mme Sallée lors de l’audience de rentrée du TJ de Nice fin janvier 2020 (DR JMC)

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