Faculté de droit : Éric

Faculté de droit : Éric Fottorino, invité d’une rentrée insolite

Le doyen Xavier Latour aurait pu qualifier la rentrée solennelle de la Faculté de droit et de science politique d’insolite. Le 8 octobre, il a préféré employer le mot "spécial" au moment de célébrer l’événement. "Malgré la douleur", quelques jours après les ravages de la tempête Alex, "malgré le Covid", la grande tradition universitaire a pu être maintenue, en présence des autres professeurs, d’étudiants, d’élus et de représentants régionaux des métiers du droit, tous venus prendre part à des retrouvailles d’autant plus enthousiastes que, pour cause de crise sanitaire, le dernier semestre de l’année précédente avait été synonyme d’éloignement.

"Cette rentrée 2020 marque, plus que d’autres, une convergence entre la tradition et l’innovation", a souligné, derrière son masque, Xavier Latour.
"Pour nous, juristes et politistes, la refondation consiste, depuis plusieurs mois, à mieux structurer notre recherche et nos enseignements, particulièrement de master, dans le cadre de l’école universitaire de recherche Lex@société. Il ne s’agit pas d’une énième réforme. Au contraire, celle-ci doit valoriser nos missions, les inscrire dans une approche plus conforme aux enjeux de société", a-t-il ajouté, en faisant référence à la dynamique en cours au sein de l’Université Côte d’Azur, qui bénéficie d’un Idex (une reconnaissance de son excellence lui permettant notamment de prétendre à de nouveaux financements pour des projets innovants).
Récupérant le micro, le président de cette dernière a pu compléter le discours : "Un des objectifs de ce label, c’est de construire cette nouvelle université qui soit plus agile, réactive, ambitieuse, exigeante, engagée et humaniste". Et Jeanick Brisswalter d’évoquer des "chances" locales : "Dans tous les domaines, nous avons des pépites, des chercheurs, des thématiques qui sont nationalement et internationalement reconnus".

Éric Fottorino en conférencier

Les participants à cette soirée de rentrée ont eu la leur : Éric Fottorino. Installé au centre de la tribune, l’écrivain et journaliste, ex-patron du Monde, était en effet l’invité d’honneur du campus Trotabas, mais aussi le conférencier du jour, appelé à faire cogiter l’auditoire. "Peut-on encore débattre ?". Tel a été le thème d’un numéro récent du Un, l’hebdomadaire dont il est l’un des fondateurs, mais aussi le sujet de son intervention niçoise. Une offrande culturelle, entre histoire et philosophie.
"Aujourd’hui, débattre, c’est souvent combattre, pour ne pas dire abattre l’autre, non pas pour ses idées, mais pour ce qu’il est". Le lieu de l’affrontement ? Les réseaux sociaux bien sûr. "On inflige des morts symboliques et le débat d’idées devient un combat d’idées". Éric Fottorino a alors cité le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, auteur d’un texte dans Le Un : "Si je tente un classement "au doigt mouillé" des querelles qui divisent, arrivent en tête les relations homme-femme ("pour ou contre Polanski"), le salut de la planète ("pour ou contre Greta Thunberg"), le rapport à l’islam ("pour ou contre l’islamophobie"), le rapport à l’antisémitisme ("pour ou contre « quand même, ils sont partout »"), le racisme systémique, les violences policières etc. Ce sont les sujets sur lesquels on ne peut plus parler sans déchaîner la tempête ni prendre des risques pour sa réputation, sa tranquillité, voire son intégrité physique. Sur ces sujets, les fusils sont prêts à tirer, la cavalerie prête à charger. Dès le premier mot, l’argumentation cédera à l’indignation".

Pour le goût du désaccord

Cette propension à attaquer l’autre plus que ses arguments est très ancienne. Et Éric Fottorino de s’appuyer sur des écrits d’un autre philosophe, l’illustre Arthur Shopenhauer, et de l’historien Pascal Ory pour démontrer d’abord que la culture du débat est largement dominée par celle de la guerre dans notre histoire, puis que l’origine de la censure a changé au fil des époques. Désormais, "elle vient bien moins des institutions publiques que de groupes voire de groupuscules sociétaux. On le voit dans l’univers des réseaux sociaux", étudiés par le chercheur en sciences de l’information Romain Badouard, qui estime que le numérique permet cependant aux exclus du débat public traditionnel de faire entendre leur voix.

Une note positive, à l’image du propos final du conférencier : "Je ne désespère pas qu’on puisse réinventer des règles. On est dans une faculté de droit et je ne vois pas pourquoi le droit ne reprendrait pas ses prérogatives pour que le débat puisse se réaliser, que la querelle puisse vivre, s’épanouir". Comme au temps de la disputatio prônée par la Sorbonne médiévale, ce goût du désaccord qui convient pourtant si bien à notre esprit critique. "C’est parce que nous intégrons la pensée de l’autre que nous devenons nous-mêmes", a d’ailleurs conclu Éric Fottorino, avant que les enseignants et leur doyen ne récompensent les étudiants majors du campus. Des jeunes qui incarnent l’excellence. Les meilleurs de leur promotion. Sur ce point, il n’y a pas de débat !

La rentrée solennelle a été l’occasion de présenter les nouveaux enseignants de la faculté et de récompenser ses meilleurs étudiants. DR J.P

Photo de Une : Jeanick Brisswalter, président de l’Université Nice Côte d’Azur, Eric Fottorino, écrivain et journaliste, et Xavier Latour, doyen de la faculté de droit et de science politique. DR J.P

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