Faut-il motiver la (...)

Faut-il motiver la lettre de convocation à entretien préalable à licenciement ?

DROIT SOCIAL - Un arrêt récent de la Cour d’Appel de Paris (7 mai 2014 n° 12/02642) vient relancer un débat que l’on pensait clos.

Toute notification d’un licenciement, mais aussi toute notification d’une sanction disciplinaire susceptible d’avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence, la carrière, la fonction ou la rémunération du salarié, doit obligatoirement être précédée d’un entretien qualifié « d’entretien préalable ». Or, tant s’agissant de la procédure de licenciement que de la procédure disciplinaire, la lettre de convocation doit obligatoirement préciser « l’objet de la convocation ». Le débat porte donc sur la question de savoir si l’employeur doit motiver cette lettre de convocation à entretien. Autrement dit, l’employeur doit-il, dès la convocation à entretien préalable, exposer les griefs reprochés au salarié ?

1. L’état actuel de la jurisprudence de la Cour de Cassation

La Cour de Cassation juge avec constance que « l’employeur n’est tenu de préciser dans la lettre de convocation à l’entretien préalable que l’objet de la convocation et non les griefs allégués contre le salarié » (cf notamment Cass. soc. 14 novembre 2000 n° 99-44.117 ; Cass. Soc. 13 mai 2009 n° 08-40.103).

De même, rien n’impose à l’employeur de communiquer au salarié les pièces susceptibles de justifier la sanction au cours de cet entretien (Cass. soc. 18 février 2014 n°12-17.557). Si un dialogue doit s’instaurer au cours de celui-ci, il n’a pas pour objet de procéder à une enquête. « La décision que l’employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement » (...). Le respect des droits de la défense n’impose pas que le salarié ait accès au dossier avant l’entretien préalable ; [et] le principe du droit à un procès équitable ne s’applique pas au stade non juridictionnel de l’entretien préalable » (Cass. soc. QPC 27 février 2013 n° 12-23.213)

2. La récente position de la Cour d’Appel de Paris

Se fondant sur l’article 7 de la convention n°158 de l’OIT selon laquelle « un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité. », la CA de Paris affirme que l’entretien préalable constitue la seule étape de la procédure pendant laquelle le salarié a, légalement, le droit de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, avec l’aide d’un défenseur. Dès lors, le respect des droits de la défense implique que celle-ci puisse être préparée, dans la perspective de l’entretien préalable en connaissance de cause, c’est-à-dire en connaissant, non seulement la sanction que l’employeur envisage de prendre, mais surtout les reproches que l’employeur s’apprête à articuler à l’encontre de son salarié. Selon la Cour, s’agissant d’une garantie de fond, un manquement à cette obligation viole à la fois les dispositions de la Convention 158 de l’organisation internationale du travail, mais aussi un principe fondamental de respect des droits de la défense. Il entache, dès lors, de nullité ledit licenciement.

3. Analyse critique de cet arrêt

La Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de rejeter l’argument fondé sur la Convention 158 de l’OIT en affirmant que « l’énonciation de l’objet de l’entretien dans la lettre de convocation adressée au salarié par un employeur qui veut procéder à son licenciement et la tenue d’un entretien préalable au cours duquel le salarié qui a la faculté d’être assisté peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfont à l’exigence de loyauté et du respect des droits du salarié » (Cass. soc. 19 décembre 2007 n°06-44.592).

En outre, les conséquences tirées par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du manquement à la prétendue obligation sont elles-mêmes critiquables. La nullité du licenciement retenue par la Cour suppose soit un texte spécial la prévoyant, soit la violation d’une liberté fondamentale, qui n’était pas invoquée et pas en cause (l’arrêt ne fait d’ailleurs référence qu’au non-respect d’un « principe fondamental »). Qui plus est, l’absence d’entretien préalable elle-même ne constitue qu’une irrégularité de procédure et ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 11 septembre 2012 n° 11-20.371 ; Cass. soc. 14 mai 2014 n°13-11.125).

En conclusion, l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris ayant fait l’objet d’un pourvoi, la Cour de Cassation aura à se prononcer et à choisir entre la confirmation de sa jurisprudence antérieure ou un revirement dont elle a parfois le secret …. avec toutes les conséquences en découlant pour les dossiers traités jusqu’alors sur la base de sa position actuelle !

Par André CHARBIN
Cabinet Capstan
Avocat au Barreau de Grasse

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