Innovation collaborative

Innovation collaborative : un enjeu fort pour la propriété intellectuelle

  • le 29 août 2014

L’innovation collaborative est un des grands enjeux des processus créatifs et innovants : elle démultiplie les capacités d’innovation des entreprises et des organismes de recherche et permet de mieux maîtriser les coûts. En revanche, elle se heurte encore aux difficultés qui naissent de telles démarches communes, en particulier celles liées à la maîtrise, toujours complexe, de la propriété intellectuelle. La propriété intellectuelle y est souvent un sujet de tension entre les
acteurs et source de débats délicats lorsqu’il s’agit de garantir, de manière équilibrée, le respect du travail de chacun, l’implication dans le projet et un juste retour sur investissement.

Me François HERPE
Avocat associé
Département Propriété Intellectuelle
Nouvelles technologies de l’information et
de la communication (NTIC)
Cabinet CORNET VINCENT SEGUREL

Lors du lancement, fin 2013, du « Plan national pour l’innovation1  », le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault insistait lui-même sur le fait que l’innovation passe par le renforcement des partenariats entre la recherche fondamentale et technologique publique, et les entreprises. Une démarche collaborative efficace est en effet un
fort levier de croissance. A titre d’exemple, outre-Atlantique, 20% du PIB correspond à des activités qui n’existaient pas il y a 40 ans et qui sont largement issues de la recherche publique : il existe là-bas une culture forte d’étudiants entrepreneurs (on pense par exemple à Mark Zuckerberg, pour Facebook, ou encore Serguei Brin et Larry Page pour Google) ou de recherche collaborative mature entre les grandes universités américaines ou les centres de recherche (MIT ou autres), et les entreprises. En France, de grandes innovations naissent souvent au sein des laboratoires d’universités ou de grands organismes comme le CNRS, le CEA ou l’INSERM, les deux premiers faisant d’ailleurs partie du top 5 des déposants de brevets en 20122.

Pourtant la culture de l’innovation collaborative, en particulier avec les acteurs publics, reste, de l’avis de tous, en retrait par rapport aux enjeux, faute d’un décloisonnement des projets innovants entre les différents acteurs, et d’une gestion efficace de la propriété intellectuelle.

C’est une question culturelle, mais c’est aussi également une question d’ordre juridique.
L’expérience des partenariats privés, le volontarisme de l’Etat à valoriser économiquement et socialement sa recherche publique, comme l’émergence de nouveaux modes d’innovation collaborative de type « rowdsourcing »3, mettent en lumière l’enjeu majeur de la gestion de la propriété intellectuelle dans ces projets partagés.

Des bonnes pratiques, mais une gestion complexe des droits de propriété intellectuelle

Les expériences réussies des partenariats privés ont démontré la nécessité de définir des modèles efficaces de gestion de la propriété intellectuelle favorisant la souplesse et la flexibilité en fonction de la nature des acteurs et des projets, et l’implication en amont des équipes de propriété intellectuelle aux côtés des porteurs de projet.
Des bonnes pratiques ont émergé, au travers notamment des accords de type « in-licensing », connus dans le secteur pharmaceutique, qui permettent de s’appuyer sur un partenaire pour mutualiser les expertises et les coûts de développement, voire les problématiques de mise sur le marché.
La gestion efficace de la propriété intellectuelle des projets collaboratifs passent aujourd’hui par la négociation d’accords prenant en compte la répartition de l’effort réel des parties, une gestion rigoureuse de ce qu’on appelle les background, foreground et sideground4 du projet et des partenaires, l’évolution de l’accord,
par exemple en utilisant des techniques modernes d’évaluation du degré de maturité atteint par une technologie (ex : échelle Technology Readiness Level) ou du moment de mise sur le marché (Time to Market, TTM).

Il faut éviter les accords trop rigides, en particulier lorsqu’ils sont négociés alors que les paramètres de maturité de l’invention ou de mise sur le marché ne sont pas connus ou difficilement. Il faut également éviter de se laisser imposer le régime légal supplétif de copropriété en matière de brevets (articles L 613-29 à 32 du Code de la propriété intellectuelle), qui est un régime assez difficile à mettre en oeuvre.
Ces accords demeurent toutefois complexes à négocier car la répartition des droits n’est pas toujours aisée, notamment lorsque les apports de parties sont mal définis ou lorsqu’il n’est pas possible d’identifier des domaines d’application ou d’exploitation
distincts ou d’évaluer la valeur de l’invention commune.

Partenariat public/privé : la valorisation de la propriété intellectuelle au coeur de la politique publique

S’agissant de l’innovation collaborative avec des acteurs publics, les questions de stratégie de gestion de la propriété intellectuelle des établissements publics sont au coeur de la loi relative à l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013, et
notamment la question du transfert des droits. Si ce texte législatif n’est pas révolutionnaire, la loi du 22 juillet 2013 devrait toutefois conduire les acteurs publics à renouveler leurs stratégies de gestion collaborative des innovations.

D’abord parce que la valorisation des résultats est réaffirmée comme une mission essentielle des opérateurs publics de recherche, au même titre que la production et la diffusion des savoirs, la loi nouvelle recentrant la notion de valorisation autour
de la notion de « transfert », c’est-à-dire de licence ou de cession à un tiers, pour une meilleure exploitation collaborative : « La recherche publique a pour objectifs : […] la valorisation des résultats de la recherche au service de la société, qui s’appuie sur l’innovation et le transfert de technologie » (art. L 112-1 du Code de la recherche). La loi du 22 juillet 2013 consacre plus généralement une véritable obligation générale de valoriser les résultats : l’article L 329-7 du Code de la recherche étend ainsi l’obligation d’exploiter les résultats de recherches financées, pour simplifier, par l’Etat, les collectivités ou les organismes publics.
L’accent mis sur le transfert de technologies ressort aussi de l’obligation faite aux chercheurs publics de déclarer à la personne publique employeur les inventions réalisées et financées sur fonds publics, mais aussi aux organismes de breveter les inventions déclarées : « ces inventions donnent lieu à un dépôt en vue de l’acquisition
d’un droit de propriété intellectuelle » si elles sont « susceptibles d’un développement économique » (article L 329-7 précité).
L’obligation de désigner, en cas d’invention en copropriété entre plusieurs personnes publiques, un mandataire unique chargé de « la gestion, de l’exploitation, et de la négociation du titre » est aussi un point sensible d’amélioration destiné à gommer les lourdeurs de gestion des copropriétés publiques, qui freinent les projets
collaboratifs. L’innovation législative la plus notable est sans doute à chercher dans le VI de l’article L 329-7 du Code de la recherche qui introduit une obligation d’exploitation à charge du cessionnaire, à peine de nullité, plaçant les différents partenaires devant la nécessité d’organiser ensemble les conditions d’une exploitation raisonnable des fruits de la recherche publique.
La loi s’intéresse enfin à l’économie du contrat de valorisation en indiquant que la finalité est de « contribuer au bien-être économique et social » et non simplement aux finances de l’établissement public cédant ou donneur de licence : l’intérêt général prime sur le seul intérêt patrimonial de l’établissement. Cet accent mis sur les finalités de la valorisation se retrouve également dans les nouvelles contraintes faites au choix des cocontractants bénéficiaires du transfert, en particulier le fait de privilégier des entreprises qui « localiseront leur production sur le territoire de l’Union Européenne ».
Ces différents critères et la loi devraient conduire les établissements à rénover leurs pratiques collaboratives et à privilégier des transferts et collaborations avec des PME qui exercent leur activité sur le territoire de l’UE.

Les nouveaux défis du crowdsourcing

Les processus d’innovation sortent aussi du cadre classique des partenariats privés ou public/privé, pour se placer dans un champ contributif beaucoup plus vaste pouvant faire intervenir ensemble des acteurs privés, des internautes, des fans d’une marque, des clients ou des influenceurs : le crowdsourcing, qui est un processus
d’innovation collaborative dans lequel une communauté hétérogène met son savoir-faire et ses idées au service d’un travail créatif, est en plein essor, grâce notamment à l’utilisation des nouvelles technologies et le développement des plateformes collaboratives.
Mais crowdsourcing et foisonnement collaboratif ne signifient pas absence de règles. Au contraire, en l’absence d’un régime juridique propre, les règles classiques du droit de la propriété intellectuelle s’appliquent au crowdsourcing et aux contributions des internautes ou des clients, de manière distributive, selon le type
de création concerné. Il convient donc d’être vigilant lors de la rédaction des conditions générales de participation au processus de création et, plus généralement, d’être attentif aux enjeux forts de propriété intellectuelle associés à ce type de méthode d’innovation collaborative.

1/ Source : portail gouvernemental (http://www.gouvernement.fr/premier-...)

2/ Source : INPI (http://www.inpi.fr/fr/l-inpi/actual...)

3/ http://fr.wikipedia.org/wiki/Crowds...

4/ Pour reprendre l’expression de Mc Kerney, 2009, c’est-à-dire une gestion de l’existant chez les parties, des résultats communs du projet de R&D et des résultats du projet, mais dans ou pour des secteurs non visés par les travaux

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