L'arbitrage dans le (...)

L’arbitrage dans le contrat administratif international

L’intérêt pratique de cette question pour les collectivités locales et leurs partenaires dans le contexte d’une internationalité croissante des affaires économiques publiques justifient un aperçu de la question.

Par Dominique VIDAL, Arbitre, Professeur émérite

Le principe de validité de la convention d’arbitrage

L’arbitrabilité des litiges liés à un contrat administratif international est admise de façon générale depuis 1966 (arrêt Galakis). Elle s’inscrit dans un droit comparé et un doit international conformes, elle s’appuie sur le principe général de validité de la convention d’arbitrage, sur le principe de bonne foi, sur les besoins des personnes publiques autant que ceux du commerce international et sur le principe général pacta sunt servanda. La solution est constante ; on y voit même parfois un principe d’ordre public international.
Rappelons que la notion d’arbitrage international est assez largement définie, en droit et plus encore en jurisprudence. La mise en cause des intérêts du commerce international déborde ainsi très largement l’idée a priori de "grands chantiers" internationaux. Il suffit que l’opération ne se dénoue pas entièrement dans un ordre juridique national pour que l’arbitrage soit international. À une époque où les appels publics d’offres sont largement ouverts au-delà des frontières, le contrat administratif international ne cesse d’occuper le terrain et avec lui, la faculté de convenir d’une clause d’arbitrage.

La compétence du contrôle des sentences arbitrales

Le principe de validité ne dit pas tout. Le praticien s’intéresse à la globalité de la procédure, y inclus l’exécution de la sentence. La question a ainsi fini par se poser, s’agissant de l’exécution en France d’une sentence rendue sur un contrat administratif international, de savoir qui, du juge judiciaire ou du juge administratif, est compétent pour exercer le contrôle de la sentence.

Dans un arrêt INSERM du 17 mai 2010, le Tribunal des conflits donne deux solutions complémentaires, en la forme d’un principe et d’une exception.
- Le principe est que dès lors que le contrat est international, fût-il administratif selon les critères du droit interne français, l’ordre judiciaire est compétent, spécialement la cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue.
- L’exception est que les juridictions administratives sont compétentes lorsque le recours implique le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public.

Cette exception est considérable. Comment la jurisprudence
va-t-elle l’interpréter ?

Les critères du contrôle des sentences arbitrales

Une première réponse est apportée en 2016. Dans cette décision rendue en assemblée de la section du contentieux (C.E. Ass., 9 novembre 2016, Rev.arb., 2017.179, note Jean Billemont) le Conseil d’État apprécie d’une manière assez large l’étendue du contrôle qu’il entend exercer.
Il se réserve d’abord de s’assurer, le cas échéant d‘office, de la licéité de la convention d’arbitrage.
Il vérifie ensuite que la sentence n’a pas été rendue dans des conditions irrégulières, en reprenant ici les critères généralement admis en droit de l’arbitrage international, plus un, la motivation de la décision ce qui est une bonne chose, aussi bien à l’égard de la protection des intérêts publics en cause que du point de vue de l’arbitrage en général.
Il vérifie également l’absence de violation de l’ordre public, au sens de la réserve de l’arrêt INSERM dont il esquisse ici les contours.

Le Conseil d’État considère qu’une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif
notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne.
Observons que le Conseil d’État interprète largement l’exception posée par le Tribunal des conflits en s’accordant le droit de vérifier les conditions de l’exécution du contrat.

À propos de l’arbitrabilité du litige, le Conseil d’État prend le contre-pied de la jurisprudence Galakis pour énoncer en substance un principe général
d’inarbitrabilité des litiges en matière administrative, sous la réserve des exceptions énoncées par des dispositions législatives expresses ou des conventions internationales.
Le contenu de la solution n’est pas faux, mais le schéma normatif est inverse de celui auquel le droit de l’arbitrage est habitué avec son principe général de validité de la convention d’arbitrage. Certains auteurs craignent que ce schéma soit prêt pour accueillir d’éventuelles restrictions à venir.
On observe ainsi auprès du Conseil d’État un mouvement d’inversion des priorités, entre la liberté contractuelle arbitrale et un respect jaloux des spécificités du droit administratif. Chassez le naturel … Le contrôle
accentué ainsi défini révèle que le Conseil d’État est déterminé à renouer avec son rôle de gardien attentif du droit administratif des contrats.

Le juriste de droit des affaires peut le regretter. Mais le citoyen qui participe à l’intérêt général pourrait y trouver son compte.
En proposant cette petite contribution à une régulation de la mondialisation économique et normative, une fois de plus, le droit français n’est-il pas à la pointe de la réflexion ?

Photo de Une (illustration) DR

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