L'arbitrage du XXI°siècle

L’arbitrage du XXI°siècle par Dominique Vidal, Avocat Honoraire, Professeur Emérite

  • le 20 juin 2016

L’allusion est quelque peu facile au projet de loi de modernisation de la justice du XXIe ?me sie ?cle, dont le texte modifie ? vient d’e ?tre adopte ? en premie ?re lecture, le 24 mai, par l’Assemble ?e Nationale. Elle est pourtant juste, dans la mesure ou ? l’article 7 re ?e ?crit l’article 2061 du code civil, dans un sens qui manifeste la volonte ? le ?gislative de favoriser les modes alternatifs de re ?glement des diffe ?rends (intitule ? du titre II ou ? figure ledit article 7, aux co ?te ?s de la proce ?dure participative et du de ?veloppement de la me ?diation a ? l’initiative des parties et a ? l’initiative du juge).

Le code civil compte trois articles relatifs a ? l’arbitrage (le surplus – et l’essentiel – figurant au livre IV du code de proce ?dure civile), regroupe ?s en un titre seizie ?me du livre III dont l’intitule ?, « du
compromis », deviendrait (art. 7-2°) « de la convention d’arbitrage ». Quant au faux arbitrage de l’article 1592, il deviendrait (art. 7-1°), avec justesse, l’estimation d’un tiers.

Ces modifications re ?ve ?lent de ?ja ? que le le ?gislateur a (enfin ?)
cherche ? a ? comprendre ce qu’est re ?ellement l’arbitrage, pour pouvoir en de ?velopper la pratique. Il est vrai que la re ?vision ge ?ne ?rale des politiques publiques et autres e ?conomies de moyens publics de- vient une dominante : comment faire des e ?conomies sur les
budgets du ministe ?re de la Justice ?

Dans cette logique, l’essentiel est dans la refonte de l’article 2061.

L’article 2061 du code civil pose les bases du re ?gime de la clause compromissoire, celle par la- quelle les parties a ? un contrat conviennent que si une difficulte ? apparait, elle sera soumise a ?
arbitrage. L’article 2061, tel qu’il a e ?te ? modifie ? en 2001, dispose que « sous re ?serve des dispositions le ?gislatives particulie ?res, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus a ? raison d’une activite ? professionnelle ». C’e ?tait de ?ja ? un net progre ?s sur la re ?daction ante ?rieure (la clause compromissoire est nulle s’il n’est dispose ? autrement par la loi), lequel accueille en effet la clause, outre le traditionnel domaine commercial, dans des professions non commerciales telles que les professions libe ?rales ou le domaine de la construction. Mais c’e ?tait tout.

Dans l’e ?tat actuel du projet de loi (art. 7-3°), l’article 2061
deviendrait : « la clause compromissoire doit avoir e ?te ? accepte ?e par la partie a ? laquelle on l’oppose, a ? moins que celle-ci n’ait succe ?de ? aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement accepte ?e (al. ler). Lorsque l’une des parties n’a pas contracte ? dans le cadre de son activite ? professionnelle, la clause ne peut lui e ?tre oppose ?e (al.2) ».

Il faut conside ?rer d’abord l’aline ?a 2, qui de ?termine le domaine de ?la clause compromissoire, et ensuite l’aline ?a ler qui pre ?cise dans ce domaine les conditions de sa formation.

Le contractant agissant dans le domaine de son activite ? profes- sionnelle sera tenu au respect de la clause compromissoire ; c’est la solution apporte ?e en 2001 (a ? la nuance pre ?s que « dans le cadre » remplace « a ? raison de », soit une approche descriptive plus large que l’approche logique et plus facile a ? prouver).

Celui qui a conclu une clause compromissoire hors du cadre de son activite ? professionnelle, c’est-a ?-dire le consommateur, pourra invoquer l’application de la clause. Il peut en effet y trouver un inte ?re ?t selon les circonstances, a ? l’instar de la solution identique adopte ?e par la jurisprudence en droit international du travail. Mais il ne pourra pas se voir imposer de l’appliquer. Cette solution asyme ?trique est celle de la jurisprudence actuelle, ou ? le consommateur a donc le choix. La loi consacrerait cette solution contractuelle a ? ge ?ome ?trie variable.

Dans le domaine ainsi de ?fini, les conditions de formation reposent sur deux principes.

Le premier est que la clause doit avoir e ?te ? accepte ?e. La solution est e ?vidente et renvoie a ? la structure contractuelle de ce mode de
re ?glement. Un certain flou anime cependant les travaux
pre ?paratoires qui semblent he ?siter entre deux formulations : accepte ?e, ou bien expresse ?ment accepte ?e.

La diffe ?rence serait tre ?s importante pour la raison suivante. Il existe en arbitrage international une importante se ?rie de situations ou ? la clause compromissoire est re ?pute ?e accepte ?e sans qu’elle l’ait e ?te ? expresse ?ment, et l’on he ?site se ?rieusement sur l’e ?ventualite ? de la transposition de telles solutions a ? l’arbitrage interne (D.Vidal, « Droit franc ?ais de l’arbitrage interne et international », Lextenso 2012, n° 57, p.42).

L’adoption ou le rejet de la mention « expresse ?ment » pourrait
influencer la question, dans le sens e ?ventuel d’une extension
conside ?rable des hypothe ?ses ou ? une partie (agissant dans le cadre de sa profession) serait tenue d’une clause compromissoire qu’elle n’a pas expresse ?ment accepte ?e ; tel serait le cas d’une clause
compromissoire par re ?fe ?rence a ? des conditions ge ?ne ?rales de vente ou me ?me a ? des re ?gles professionnelles. Ne faisons aucun pronostic ; mais la question me ?rite assure ?ment d’e ?tre suivie attentivement.

Le second principe de formation inscrit dans le nouvel article 2061 est que « la clause compromissoire est re ?pute ?e avoir e ?te ? accepte ?e par une partie qui succe ?de aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement accepte ?e ».

Ici, l’e ?largissement est de ?nue ? d’ambigu ?ite ? et il est conside ?rable. Si l’on se re ?fe ?re en effet a ? la jurisprudence connue en arbitrage international (et qui serait ainsi transpose ?e en arbitrage interne), cela peut concerner la substitution de parties, la novation, la de ?le ?gation, la transmission ou la cession de droits contractuels, la cession de cre ?ance, le sous- contrat (sous-traitance, etc...), la chai ?ne de contrats, si ce n’est le groupe de contrats, sans oublier la cession de contrats (art. 1216 et s. du code civil), ni peut-e ?tre la cession de dette (art. 1327 du code civil) qu’apportera, a ? compter du ler octobre 2016, l’application de l’ordonnance n°2016- 131 du 10 fe ?vrier 2016 portant re ?forme du droit des obligations.

Un peu, beaucoup, a ? la folie ? On ne sait donc pas encore dans quelle mesure, mais il est certain que l’arbitrage « du XXIe ?me sie ?cle » occupera en droit interne une place notoirement plus large, inspire ?e par celle qu’il occupe dans le domaine international.

Dominique Vidal
Avocat honoraire,
Professeur émérite, arbitre

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