L'arbitrage pour tous

L’arbitrage pour tous (ou presque) : article 11 de la loi n°2016 du 18/11/2016

La loi n°2016 du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la justice du XXIème siècle suscitera beaucoup de commentaires dans le monde de la pratique du droit, à la mesure du poids de ses 115 articles, dont cette Revue rendra compte par ailleurs.

Arrêtons-nous quelques instants sur son article 11-3°, en ce qu’il modifie l’article 2061 du Code civil, dans un sens qui élargit le domaine de l’arbitrage. Déjà en 2001, la validité de la clause compromissoire avait été étendue au domaine des contrats conclus "à raison d’une activité professionnelle". L’article 2061 accueillait alors la clause compromissoire dans les domaines tels que les professions libérales, la construction, l’immobilier, certaines sociétés civiles ou les services en général.
Rappelons au passage que le domaine de l’arbitrage est cependant plus large : il concerne tous les droits dont les personnes ont la libre disposition ce qui peut inclure, en dehors du domaine professionnel, des situations telles que le règlement d’une succession, d’un patrimoine matrimonial, d’une indivision conventionnelle, etc. Mais dans ce dernier cas, la seule convention d’arbitrage qui soit recevable est celle du compromis, lequel ne peut intervenir qu’après l’apparition du différend que l’arbitrage a pour objet de régler. L’intérêt pratique en est moindre que celui de la clause compromissoire, laquelle engage les parties avant même l’apparition d’un éventuel litige, dès la conclusion du contrat, ce qui empêche toute partie d’échapper à la procédure d’arbitrage alors que la conclusion d’un compromis après apparition du contentieux demande un minimum de sagesse partagée, vertu dont on sait qu’elle ne domine pas spécialement l’ambiance des prétoires.

D’où l’intérêt d’élargir le domaine de la clause compromissoire. L’article 2061 du Code civil est désormais ainsi rédigé :
- Art. 2061, al.ler : La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée.
- Art. 2061, al.2 : Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée.
Première observation, la question de la validité de la clause compromissoire ne se pose plus, dans le sens où elle disparait du Code civil. La clause rejoint la catégorie très générale des contrats librement consentis auxquels autrefois l’article 1134 ou désormais l’article 1103 du Code civil donne force de loi à ceux qui sont légalement formés. Parmi ces conditions, on retrouve l’exigence générale que les parties aient la libre disposition des droits qu’elles soumettent à l’arbitrage. On trouve aussi, dans le domaine ainsi défini, un régime original de l’acceptation de la clause.

Pour faire simple, disons que le régime de l’acceptation de la clause compromissoire présente désormais trois aspects :
- l’acceptation effective, l’acceptation transmise, l’acceptation maintenue.

L’acceptation effective (art.2061, al.ler, principe initial) est la plus ordinaire ; elle renvoie à l’article 1443 du Code de procédure civile, lequel dispose que la convention d’arbitrage est écrite et qu’elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale. Ce à quoi s’ajoutent des extensions jurisprudentielles, assez limitées en arbitrage interne (D.Vidal, "Droit français de l’arbitrage interne et international", Gualino-Lextenso, n°56 s., p.41) mais considérables en arbitrage international, (D.Vidal, "Droit français de l’arbitrage interne et international", Gualino-Lextenso, n°494 s., p.208) où elle couvre par exemple la substitution de parties, la cession de créance, le sous-contrat, la suite ou la chaîne de contrats.

- L’acceptation transmise (art. 2061, al.ler, in fine), est la situation où une partie n’a pas accepté la clause de manière effective ; pourtant elle sera supposée l’avoir acceptée dès lors qu’elle a succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée.
Le texte procède ici à une validation des extensions jurisprudentielles évoquées ci-dessus. Bien plus, il applique au domaine de l’arbitrage interne des paramètres (substitution de parties, la cession de créance, le sous-contrat, la suite ou la chaîne de contrats) que l’on ne reconnaissait pleinement jusqu’alors que dans le domaine de l’arbitrage international. Une belle jurisprudence est à suivre ; espérons qu’elle soit rapidement assez nette pour ne pas créer trop d’incertitudes. Là réside peut-être la petite révolution du nouvel article 2061.

- Ce qui n’est pas le cas de l’acceptation "maintenue" de l’article 2061 al.2. La jurisprudence avait en effet déjà décidé, même en arbitrage interne et spécialement à propos du contrat de travail, que la clause compromissoire peut recevoir application dès lors que le salarié n’y fait pas opposition. La pratique a en effet compris qu’il est des circonstances où l’intérêt dudit salarié peut supplanter la compétence pourtant exclusive de la juridiction prud’homale.

C’est ce système qui est ici adopté : lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée. Le contractant à une clause compromissoire non professionnelle disposera ainsi d’une option de compétences.
Cette réforme suggère quelques premières observations générales.
Sur un plan de politique législative, elle révèle une faveur de principe pour l’arbitrage, qui se retrouve ailleurs dans la loi et après quelques autres assez récentes, pour les autres modes alternatifs de règlement des litiges (médiation, conciliation, convention de procédure participative).

Sur un plan juridique, l’arbitrage est libéré de toute contrainte en matière professionnelle, et procède à une avancée remarquée dans le domaine non professionnel.

Sur un plan pratique, restera cependant la question du choix des arbitres, de leur formation, de leur compétence, du cout de leur intervention. A cet égard, il est heureux qu’un arrêté du 17 octobre 2016 ajoute une mention "modes alternatifs de règlement des différends" à l’épreuve de procédure civile de l’examen d’entrée aux CRFPA.

Quant à leur coût, il faudra bien reposer sereinement la question de l’arbitrage à juge unique.

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