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L’interdiction des baux commerciaux à durée ferme par la loi Pinel

La loi « Pinel » du 18 juin 2014 consacre son titre premier à une « adaptation » ( mot employé par le législateur) du régime des baux commerciaux. Adaptation à quoi ? A l’évidence, il s’agit d’adapter ce régime aux intérêts du locataire. Parmi les mesures phares de la loi, figure notamment l’interdiction des baux fermes de six ou de neuf ans destinés à sécuriser l’investissement du bailleur, mais manquant de souplesse pour le locataire.

Par cette interdiction, la loi renoue avec la règle antérieure à 1985. Jusqu’à cette date en effet, la faculté de résiliation triennale du locataire était d’ordre public : le contrat de bail ne pouvait pas l’écarter. C’est une loi du 30 décembre 1985 qui avait supprimé le caractère d’ordre public de cette disposition, et ce en précisant que la faculté de résiliation triennale du locataire existait « à défaut de convention contraire ». Ces cinq mots introduits par la loi précitée avaient fait basculer la faculté de résiliation triennale de la catégorie des règles d’ordre public à la catégorie des règles supplétives, c’est-à-dire susceptibles d’être écartées par la volonté des parties.

On en avait déduit une liberté contractuelle susceptible de jouer dans les deux sens. Dans le sens du durcissement, en prévoyant une durée ferme de six ans, voire de neuf ans. Dans le sens de l’assouplissement, en prévoyant une faculté de résiliation annuelle, voire une faculté de résiliation à tout moment. Bien que la loi Pinel ne prévoie rien à propos de cette possibilité d’assouplissement, elle devrait subsister. Il est en effet admis que l’ordre public en matière de baux commerciaux est un ordre public « à sens unique », destiné à protéger le locataire. En conséquence, si le bail protège le locataire mieux encore que la loi ne le fait, il n’y a nul grief à formuler à l’encontre de cette protection renforcée. L’élargissement de la faculté de résiliation du locataire devrait donc rester possible.

Les baux fermes de six ou neuf ans sont en revanche désormais interdits, la loi Pinel ayant supprimé les cinq mots magiques : « à défaut de convention contraire ».
La règle nouvelle n’est assortie d’aucune précision en ce qui concerne son application dans le temps. Elle est donc entrée en vigueur le 19 juin dernier, lendemain de la date de publication de la loi, conformément au principe posé par l’article 1er du Code civil. La règle nouvelle s’applique ainsi aux baux conclus ou renouvelés à compter du 19 juin 2014. Il n’est dès lors pas question de signer à la hâte des baux fermes dans l’attente d’une entrée en vigueur différée de la loi ; le différé d’entrée en vigueur prévu jusque septembre, voire décembre 2014 ne concerne pas l’interdiction des baux fermes. Cette interdiction ne devrait en revanche pas remettre en cause les durées fermes prévues dans les baux antérieurs, et ce en vertu du principe de survie de la loi ancienne pour les contrats en cours.

Des exceptions

La règle nouvelle est assortie d’exceptions que la loi a insérées dans l’article L. 145-4 du Code de commerce : elle ne s’applique pas aux baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, des locaux à usage exclusif de bureaux, des locaux de stockage, ni enfin aux baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans. On constate déjà une tendance des bailleurs à interpréter largement ces exceptions pour prétendre en bénéficier. Il est donc nécessaire de cerner chacune d’elles de manière précise.

Les deux premières font appel à des notions déjà définies en jurisprudence, car elles sont utilisées dans les problématiques liées au plafonnement du loyer. La notion de locaux construits en vue d’une seule utilisation, communément appelés « locaux monovalents », est utilisée à l’article R. 145-10 du Code de commerce. Les locaux monovalents sont des locaux construits ou transformés en vue d’un usage unique et, donc, spécialement aménagés en vue de cet usage (critère matériel) ; il n’est pas possible d’en changer l’usage sans engager des travaux importants ou des transformations coûteuses (critère économique). La monovalence est habituellement reconnue pour les locaux à usage de clinique, de cinéma, de salle de spectacles, d’hôtel. Pour d’autres, l’appréciation se fait au cas par cas, dans le respect des deux critères matériel et économique. La clause du bail qui prévoit une destination spécifique ne suffit en revanche nullement à rendre les locaux monovalents.

La notion de locaux à usage exclusif de bureaux est utilisée à l’article R. 145-11. La Cour de cassation l’a largement interprétée. La réception de la clientèle est compatible avec l’usage exclusif de bureaux dès lors qu’il n’y a ni dépôt, ni livraison de marchandises. Peu importe que le local soit au pied d’un immeuble et qu’il ait matériellement l’aspect d’une boutique : agences bancaires, agences immobilières, agences de voyage entrent notamment dans cette catégorie. Mais il faut, pour que les locaux aient un usage exclusif de bureaux, que la clause relative à la destination des lieux soit rédigée avec soin et ne vise pas, d’une manière générale, l’activité ou l’objet social du locataire.

Quant à la catégorie des locaux de stockage, la loi Pinel précise « locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l’article 231 ter du Code général des
impôts » ; il s’agit des « locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production ».

Au final, on constate que la volonté des parties ne peut guère agir sur le champ d’application de ces exceptions, sauf, dans une certaine mesure, pour celle qui concerne les locaux à usage exclusif de bureaux.

Tout autre est la situation pour la quatrième et dernière exception, celle qui a trait aux baux d’une durée supérieure à neuf ans. Certains affirment déjà que la règle nouvelle entraînera une généralisation des baux de dix ans. Mais ce choix emporte une autre conséquence, à savoir le déplafonnement du loyer lors du renouvellement qui interviendra à l’échéance. Le locataire doit en être informé par le rédacteur, et il est possible qu’il refuse dès lors de consentir à cette durée majorée. Les règles relatives au plafonnement n’étant pas d’ordre public, on peut aussi concevoir que les parties se mettent d’accord sur un bail de dix ans, avec renonciation à la première, voire à la seconde faculté de résiliation triennale, mais conviennent que le loyer restera, lors du renouvellement à venir, soumis à plafonnement.

Bernard-Henri DUMORTIER,
docteur en droit, ancien maître de conférence des universités, avocat au barreau de Lille

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