L'obligation solidaire de

L’obligation solidaire de payer les honoraires des arbitres (Cass.civ.1, 1er février 2017).

Cette décision admet la condamnation d’une partie à payer au titre des honoraires des arbitres, outre la part qui lui incombe, ce qui va de soi, la part qui incombe à l’autre partie, ce qui va d’autant moins de soi qu’en l’espèce ni le règlement d’arbitrage ni les conventions d’arbitrage ne prévoyaient la moindre clause de solidarité.
Étonnant à première vue.

Par Dominique VIDAL, Avocat honoraire, Arbitre commercial

En l’espèce, les arbitres rendent une sentence avant d’avoir été payés de leurs honoraires. Une partie A s’en acquitte, mais la partie B s’y refuse.

Les arbitres engagent une action en paiement contre … la partie A, invoquant un principe de solidarité dont la reconnaissance forme ici le nœud du problème.
Dès lors que les conventions d’arbitrage avaient stipulé le montant des honoraires et que l’accomplissement de leur mission n’était pas contestée, les arbitres exposent que l’obligation n’est pas sérieusement contestable en son principe ni en son montant. Ils en demandent en référé le paiement "par provision".
Le président du Tribunal de commerce s’estime confronté à une contestation sérieuse quant à l’existence d’une solidarité passive et dit ne pas y avoir lieu à statuer.
L’ordonnance est infirmée par la cour de Paris (30 juin 2015) qui
considère que la juridiction du référé-provision est compétente ; dans la foulée, la cour entre en voie de condamnation. Le pourvoi est rejeté par la première Chambre civile par un arrêt en date du 1er février 2017 (arrêt n° 145, 15-25.687).

Voyons comment.

Le défendeur avait bien entendu invoqué l’application du principe que la solidarité ne se présume pas, principe formalisé par la règle que posait l’article 1202 et que pose désormais l’article 1310 du Code civil.
La cour d’appel en a écarté l’application en considérant "qu’il résulte du contrat d’arbitre conclu à titre onéreux une obligation solidaire de
paiement des frais et honoraires des arbitres dont la mission est exécutée dans l’intérêt commun des litigants".

De surcroît, la Cour de Paris affirme qu’une telle obligation solidaire est conforme aux usages de l’arbitrage commercial international. Sans être démentie, cette affirmation n’est cependant pas reprise par la Cour de cassation. En revanche, cette dernière insiste sur le contenu du contrat d’arbitre. Le pourvoi est rejeté au motif "qu’après avoir relevé le caractère international de l’arbitrage la Cour d’appel, qui n’avait pas à se référer à une loi étatique, en a exactement déduit que la nature solidaire de l’obligation des parties au paiement des frais et honoraires des arbitres résultait du contrat d’arbitre de sorte que cette obligation, non discutée en son montant, n’était pas sérieusement contestable".

Cette décision appelle plusieurs observations.

L’apport de cet arrêt est de dire qu’en matière d’arbitrage international le contrat d’arbitre implique, par nature, une obligation solidaire des parties au paiement des frais et honoraires du tribunal arbitral.
N’insistons pas sur l’aspect théorique – pourtant passionnant – de l’autonomie des sources du droit de l’arbitrage, dont cette décision donne une nouvelle illustration, après notamment l’autonomie de la clause
d’arbitrage, le principe de validité de la clause, les extensions de la clause compromissoire et le principe de compétence/compétence. Assurément, les juridictions parisiennes sont fidèles à une construction jurisprudentielle favorable à l’efficacité de l’arbitrage et à l’audience de la place de Paris, siège de la Chambre de commerce internationale, comme place internationale de l’arbitrage.

La portée de cette décision
Observons qu’en l’espèce, la partie B n’était pas insolvable. Mais cette jurisprudence, eu égard à sa motivation, pourrait pareillement s’appliquer à un cas d’insolvabilité d’une partie.
Voilà qui ouvre quelques portes aux mandataires de justice pour le cas où un débiteur en difficulté pourrait engager une action d’un intérêt significatif qu’une clause compromissoire lui interdit de porter devant les tribunaux judiciaires.

D’autre part, si elle s’applique en matière d’arbitrage international, on aura un doute sérieux sur son applicabilité en arbitrage interne. L’attendu décisoire énonce bien "après avoir relevé le caractère international de l’arbitrage", ce qui détermine le domaine d’application du principe de décision. L’interprétation a contrario s’impose donc. Le principe d’obligation solidaire ne s’applique pas en matière d’arbitrage interne. Du moins en vertu de cette décision.
Mais on sait qu’en droit français tout au moins le caractère international d’un arbitrage est très facilement caractérisé. Il suffit de peu de chose. N’est interne que l’arbitrage d’une opération qui se dénoue entièrement et exclusivement dans l’ordre juridique national. La pratique contemporaine des affaires enseigne que c’est de moins en moins fréquent.
D’un point de vue pratique, cette affaire rappelle également qu’il est opportun que le paiement des frais et honoraires d’arbitrage intervienne au
début de la procédure, au moins à concurrence de provisions très significatives.
C’est ce qu’organise en général le règlement d’un centre d’arbitrage. En arbitrage ad hoc, c’est ce que peut stipuler l’acte de mission. En général, il est recommandé de stipuler une provision pour un montant qui soit le plus proche possible de ce que pourrait être le montant définitif, et pour un éventuel complément, de prévoir les modalités de son calcul.

Le provisionnement significatif des frais au début de la procédure est un usage conforme à la nature des choses. Il permet aux parties d’éviter l’incertitude de leur montant, et aux arbitres d’éviter la surprise de ne pas être payés.

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