L'occupant irrégulier (...)

L’occupant irrégulier du domaine public doit payer à la collectivité publique un « loyer »

Une collectivité publique peut-elle réclamer à un occupant sans titre du domaine public une indemnité au moins égale à la redevance domaniale qu’il aurait payée si l’occupation avait été autorisée ? Telle est la question à laquelle vient de répondre positivement le Conseil d’Etat dans un important arrêt (1)

Le litige à l’origine de cet arrêt opposait « Voies navigables de France » (VNF) au propriétaire d’une péniche accostée le long de la rive gauche de la Seine au niveau de la Commune de Meudon (Département des Hauts-de-Seine) sur un emplacement sur lequel tout stationnement était interdit pour des raisons de sécurité. Sans entamer la procédure de contravention de grande voierie, VNF a décidé d’adresser au propriétaire de la péniche un titre exécutoire afin de lui réclamer les redevances qu’il n’avait pas payées. Pour ce faire, VNF a réclamé à cette personne une redevance proche à celle payée par des occupants licites de parcelles similaires. La propriétaire de la péniche, pourtant occupante sans titre d’une dépendance interdite de toute occupation, a contesté ce titre exécutoire. La Cour administrative d’appel de Versailles lui a donné raison. Le juge d’appel a, en effet, censuré le raisonnement de l’établissement public en considérant que dès lors que l’occupation d’une dépendance domaniale est interdite, il est impossible de calculer la redevance due pour son occupation en se fondant sur l’occupation d’une parcelle similaire.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat va censurer pour erreur de droit la position adoptée par la Cour administrative d’Appel de Versailles. La haute juridiction administrative va, en effet, se référer aux « principes applicables au domaine public » pour considérer que « toute occupation du domaine public donne lieu à une redevance ». Dès lors, le Conseil d’Etat en arrive à la conclusion qu’une collectivité publique « est fondée à réclamer à un occupant sans titre une indemnité compensant les revenus qu’il aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période ». Pour conférer à ces principes une portée générale, le juge précise que cette solution s’applique que « l’emplacement irrégulièrement occupé soit interdit ou non ». L’état du droit est donc clair : l’occupant sans titre d’une dépendance domaniale, y compris lorsque cette occupation est interdite pour des raisons de sécurité, doit payer une indemnité à la collectivité gestionnaire.

La solution dégagée par le Conseil d’Etat permet, tout d’abord, de respecter le principe d’égalité entre citoyens. On aurait, en effet, du mal à comprendre pourquoi l’occupant régulier du domaine devrait payer une redevance, tandis que l’occupant sans titre serait dispensé d’un tel paiement.

Ensuite, la Haute juridiction administrative prend le soin d’indiquer que la collectivité peut réclamer à l’occupant sans titre une « indemnité » et non une redevance d’occupation. L’idée est de permettre à la collectivité gestionnaire de percevoir une somme d’argent couvrant le préjudice subi à raison de cette occupation illicite. L’administration peut, ainsi, réclamer une somme couvrant le montant de la redevance qui aurait été perçu sur une dépendance similaire, la gêne causée par la présence de l’occupant sans titre, ou encore les frais de gestion engagés pour obtenir le paiement de l’indemnité due. Le droit public rejoint, ainsi, le droit civil qui permet au propriétaire privé, dont les locaux sont occupés illicitement, d’obtenir une indemnité couvrant, au-delà des loyers non perçus, l’entier préjudice subi à raison de cette occupation irrégulière.

Demeure en débat les effets secondaires qui pourraient accompagner la mise en œuvre de cette jurisprudence. On peut, en effet, penser que certaines collectivités publiques peu rigoureuses auront peu d’intérêt à expulser les occupants illicites du domaine public dès lors qu’elles peuvent percevoir sur ces occupants sans titre une redevance d’occupation. Toutefois, la situation de ces collectivités ne serait pas si facile. D’une part, l’occupant sans titre pourrait réclamer en justice une réduction du « loyer » demandé par la collectivité au motif que la collectivité lui a fait croire qu’il détenait un droit à l’occupation du terrain. D’autre part, et surtout, les riverains, ou tout tiers intéressé, pourrait intenter à l’encontre de la collectivité peu diligente une action en injonction ou en responsabilité afin d’obtenir l’expulsion de l’occupant illicite ou du moins l’allocation d’une indemnité à raison du trouble causé par la présence de cet occupant sans titre. On le voit la collectivité peu rigoureuse qui essaierait de tirer profit de cette jurisprudence se trouverait rapidement dans une situation délicate.

Au final, il apparaît que cette jurisprudence s’inscrit dans une volonté de valorisation du domaine public. Une collectivité publique confrontée à un occupant sans titre d’une dépendance domaniale doit mettre en œuvre les pouvoirs de police que lui octroie la loi afin d’obtenir son expulsion. Elle peut aussi, et c’est l’apport de cette jurisprudence très pragmatique du Conseil d’Etat, réclamer à cet occupant illicite une indemnité au moins égale à une redevance d’occupation. Pour résumer, la collectivité gestionnaire du domaine doit expulser l’occupant sans titre tout en lui réclamant un « loyer » d’occupation.

(1) Conseil d’Etat, 13 février 2015, Voies navigables de France, req. n°366.036

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