L'ouverture de Cuba (...)

L’ouverture de Cuba et la propriété intellectuelle

Les Rolling Stone à la Havane : un concert historique qui s’impose en symbole de l’ouverture du pays. Le déplacement de plus d’un demi-million de spectateurs pour le plus grand concert jamais organisé sur l’île témoigne de la transformation actuelle du système cubain et de sa découverte d’expériences occidentales. Dans le même esprit, la visite du Président américain Barack Obama à Cuba quelques jours plus tôt est venue illustrer le rapprochement qui s’opère entre les deux pays. Depuis un an, Cuba est au centre de toutes les attentions tant la réouverture des échanges laisse à penser que le pays va être au cœur d’un important développement économique.

En décembre 2014, Barack Obama a annoncé qu’il souhaitait mettre fin à l’embargo de Cuba. Cette volonté s’est manifestée par le retrait de l’île caribéenne de la liste des pays qui soutiennent le terrorisme et par la réouverture des ambassades américaines et cubaines, permettant la reprise des échanges. La France, elle aussi, s’enquiert des affaires qu’elle pourrait développer avec Cuba. François Hollande était le premier Président des Etats membres de l’Union européenne à visiter l’île en mai 2015. En février dernier, Raul Castro se rendait à Paris à son tour pour aborder les questions économiques et plusieurs accords étaient signés au terme d’un entretien à l’Elysée. Enfin, en mars 2016, l’Union européenne et Cuba ont signé un accord de norma- lisation de leurs relations, gelées depuis 1996.

L’ouverture de Cuba devrait avoir des répercussions sur tous les domaines de l’économie. Dans ce contexte, l’importance des biens immatériels dans les relations commerciales impose de s’intéresser aux dispositions relatives à la propriété intellectuelle dans la législation cubaine et à l’impact que l’ouverture du pays est susceptible d’avoir en la matière. Aussi, ce nouveau contexte est susceptible de faire ressurgir des problématiques fortes, en droit des marques notamment.

Intensification de la protection des biens immatériels à Cuba
La propriété intellectuelle étant un vecteur important de développement, Cuba s’appuiera sur son utilisation en vue de l’essor économique que s’apprête à connaître le pays. En effet, la propriété intellectuelle doit être intégrée à ses stratégies de développement en ce qu’elle représente un élément non négligeable de la compétitivité et de la croissance.

Cuba présente des particularités au vu de la centralisation de la propriété des biens matériels et immatériels entre les mains de sociétés d’Etat. Cependant, le système de propriété intellectuelle prévu dans la loi cubaine répond aux principes fondamentaux établis par la Convention de Paris concernant la propriété industrielle, et la Convention de Berne, s’agissant de la protection des œuvres littéraires et artistiques. En théorie, le monde de la propriété intellectuelle connaît donc une pratique mondialisée similaire voire identique dans tous les Etats signataires.

Malgré cela, force est de constater qu’en pratique, l’ouverture de Cuba va probablement impacter sur son système de propriété intellectuelle qui, s’il est mis à profit, sera un levier important du développement commercial international de la plus grande île caribéenne. Cuba semble en avoir pris la mesure et, au début de l’année 2016, le président de l’office européen des brevets, Benoît Battistelli, a signé un protocole d’accord avec l’office cubain de la propriété industrielle (OCPI) visant à promouvoir les activités de coopération entre les deux institutions. Cette entente fait suite à une assemblée générale de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle dont le directeur général avait reconnu le rôle joué par Cuba dans les travaux de l’Organisation et le travail fourni par l’OC- PI dans le développement natio- nal de la propriété industrielle.
La propriété intellectuelle va donc jouer un rôle important dans le développement écono- mique de Cuba et représente un enjeu de discussion avec les Etats-Unis.

Ouverture au privé
Dans la mesure où l’économie du pays s’ouvre au secteur privé, la population cubaine voit se dresser des obstacles juridiques qu’elle n’avait pas rencontrés auparavant sous l’embargo américain. En effet, si Cuba protège les marques enregistrées devant les autorités du pays, l’Etat cubain tolèrerait la vente de logiciels, de musique, et de films piratés. A l’échelle privée, les entrepreneurs devront également être plus attentifs aux signes qu’ils envisagent d’utiliser dans leur activité. Ainsi, un restaurateur cubain ayant baptisé sa cafétéria McDonald’s a retiré l’enseigne et les arches dorées de la devanture de son établissement après la visite d’un avocat représentant le géant du fastfood américain.

Dans tous les cas, la pratique de la propriété intellectuelle devra faire l’objet d’une clarification à Cuba tant elle représente de considérables actifs commerciaux pour les entreprises. En effet, depuis 1966, environ 1500 entreprises américaines ont enregistré quasiment 6000 marques à Cuba, parmi lesquelles Coca-Cola, Pepsi, Intel, Pfizer, ou encore Burger King. Aussi, d’autres entreprises ont déposé leurs marques sur l’île depuis que les deux pays ont annoncé un dégel de leurs relations, à savoir Twitter, Uber, Segway. Ainsi, 192 marques américaines ont été enregistrées à Cuba durant les quatre premiers mois de 2015 contre 78 durant toute l’année 2014.

Partager l’identité culturelle Cubaine
La propriété intellectuelle permet de faire converger valeurs économique et symbolique, et représente un actif important pour Cuba qui connait un patrimoine culturel populaire reconnu et apprécié à travers le monde. La signature de l’accord de dis- tribution entre Sony Music et Egrem, label de musique public cubain, en témoigne puisqu’il va permettre à la musique cubaine de s’exporter encore davantage après des décennies d’embargo.

Toutefois, si les droits de propriété intellectuelle sont de nature à protéger l’identité culturelle cubaine, l’ouverture des échanges est susceptible de réactiver des controverses juridiques.

(Les intertitres sont de la rédaction)

 ?Maître Anne-Marie PECORARO
Cabinet Turquoise, Paris aturquoise.com/blog

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