La nouvelle loi relative

La nouvelle loi relative à la répression de la fraude fiscale et les libertés fondamentales

La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière a été adoptée le 6 décembre 2013.

Il est à noter que c’est dans un contexte politique particulier, celui
d’une majorité où un ancien ministre chargé de lutter contre la fraude
fiscale a été pris en flagrant délit de dissimulation de compte bancaire
à l’étranger, que cette loi a été élaborée et adoptée.

Or, par nature, un texte de cette ampleur et de cette ambition nécessiterait
la recherche d’un équilibre subtil entre le droit d’investiguer, la
répression et la protection de libertés fondamentales.

Mais c’est semble-t-il un texte plutôt guidé par l’émotion et la nécessité
de satisfaire une tentation purificatrice (à vocation interne et externe ?)
que le législateur a finalement adopté.

Pour autant un certain nombre d’excès prévus par la nouvelle loi n’ont
pas pu résister au contrôle de constitutionnalité exercé a priori par
le Conseil Constitutionnel, usant de ses prérogatives de gardien des
libertés fondamentales.

C’est ainsi qu’ont été jugées inconstitutionnelles et annulées, par
décision du Conseil Constitutionnel en date du 4 décembre 2013
(n°2013-679 DC), les dispositions prévoyant, en particulier :
- La garde à vue de 96 heures en matière de fraude fiscale (le contribuable
soupçonné de fraude n’est heureusement pas un terroriste !) ;
- La pénalité au taux de 10% (ou de 20% en cas de récidive) appliqué
au chiffre d’affaires (et non pas au bénéfice imposable) encourue par
les sociétés en cas de fraude ;
- L’amende au taux de 1% du chiffre d’affaires (une fois de plus) en
cas de refus de fournir des photocopies de documents à l’administration
fiscale ;
- L’extension du régime de répression de l’évasion fiscale, qui est
en principe applicable aux Etats ou territoires non coopératifs, aux
Etats ou territoires avec lesquels la France a bien signé une convention
fiscale mais qui ne prévoit pas un échange d’informations qui
serait automatique (aucune convention fiscale signée à ce jour par la
France ne le prévoit) ;
- L’utilisation d’une preuve obtenue illicitement (en soudoyant, par
exemple, les salariés d’une banque étrangère comme dans des affaires
récentes qui se sont déroulées dans un Etat étranger souverain
sis au nord des alpes) pour déclencher une perquisition (en France).
Il est certes rassurant que le Conseil Constitutionnel ait joué son rôle
de juge des libertés fondamentales en sanctionnant les parties considérées
comme les plus excessives du texte.

Cependant, force est de constater que le dispositif répressif a été
sérieusement renforcé ce qui ne va pas sans poser de sérieuses difficultés
juridiques quant à son application future.
Il convient de relever, notamment, que la nouvelle loi prévoit de sanctionner
lourdement les concepteurs, les éditeurs et même les distributeurs
de logiciels de comptabilité considérés comme « permissifs »
au titre de l’utilisation frauduleuse qui pourra en être faite par leurs
clients : amendes sur le chiffre d’affaires issu de leur commercialisation
desdits logiciels mais aussi solidarité dans le paiement des droits
rappelés aux clients utilisateurs fraudeurs.
Ainsi en application de ce texte, l’administration fiscale pourra
prendre des sanctions très sévères contre des concepteurs, des éditeurs
ou des distributeurs de logiciels considérés comme permissifs
(même a posteriori) alors même que lesdits logiciels pourraient avoir
été commercialisés avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Cette disposition paraît de ce fait contrevenir aux principes fondamentaux
du droit pénal dont celui de la non rétroactivité de la loi
pénale la plus sévère (sauf à l’appliquer exclusivement aux ventes de
logiciels intervenues après l’entrée en vigueur de la loi) et celui selon
lequel la responsabilité pénale ne peut être fondée que sur une faute
personnelle.

La Cour de cassation ne sera-t-elle pas amenée un jour à se prononcer
sur le sujet et à limiter l’application d’un tel dispositif répressif ?
On peut également relever, notamment et brièvement :
- L’allongement du délai de reprise de l’administration en cas d’assistance
administrative internationale ;
- La possibilité pour l’administration de prendre copie de la comptabilité
informatisée lors d’un contrôle inopiné ;
- L’extension de la faculté pour l’administration d’examiner les données
de comptes détenus à l’étranger et non déclarés sans que cela
constitue une vérification de comptabilité ou un examen de la situation
fiscale personnelle (ESFP) ;
- Le renforcement des obligations déclaratives des administrateurs de
trusts ;
- L’absence de limitation à trois mois des vérifications de comptabilité
en cas d’activité occulte ;
- L’extension du droit de communication de l’administration à des
informations détenues par l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) et
l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution qui supervise
le secteur de la banque et de l’assurance).

L’image de l’Etat vis-à-vis des citoyens que nous sommes, mais aussi
celle de la France en tant que possible place pour des investissements
observée de l’étranger, pourraient souffrir d’une perception avérée du
caractère potentiellement excessif de ce texte.

Alors, à l’heure où il convient de rassurer les entrepreneurs français
mais aussi les investisseurs étrangers sur le caractère attractif de la
place de la France en matière de création et de développement d’activités,
ce texte constitue sans doute un facteur dissuasif.

Il est vrai que la loi a été adoptée au mois de décembre dernier ;
et que, depuis, un virage en termes de politique économique a été
annoncé.

Aussi, ne serait-il pas encore temps et à propos de revenir sur une loi
adoptée dans la précipitation et l’émotion plutôt que la raison ?

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