Le banquier sanctionné

Le banquier sanctionné pour défaut de vigilance de détection des constructions de maisons individuelles non garanties en livraison

L’article L231-10 alinéa 1 du Code de la construction et de l’habitation
(CCH) prévoit que :
"Aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que
le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l’article L.
231-2 qui doivent y figurer au moment où l’acte lui est transmis et ne
peut débloquer les fonds s’il n’a pas communication de l’attestation
de garantie de livraison".

Des maîtres d’ouvrage avaient signé en août 1999 un contrat de
construction de maison individuelle avec fourniture de plans auprès
d’une société, laquelle avait fait appel à des fonds selon les pourcentages
légaux d’avancement du chantier (ouverture du chantier,
fondations) sans réellement construire et s’était vu placée rapidement
en liquidation judiciaire (la déclaration de créance n’a classiquement
rien donné).

Les maîtres d’ouvrage n’ont pas prospéré dans leur plainte pénale
contre la gérante pour avoir commencé un chantier sans être assurée
en garantie de livraison, au mépris de l’article L.241-8 du CCH, le Tribunal
correctionnel d’Aix-en-Provence le 27 février 2007 relaxant la
gérante au bénéfice du doute car celle-ci avait fait plaider la croyance
d’être à jour de parties suffisantes de cotisations police unique chantier
(dommages-ouvrage pour compte des clients et garantie de livraison)
pour couvrir le chantier en question.

Ne restait que la voie civile en responsabilité civile contractuelle
contre le Banquier (dans le délai de 10 ans qui était la prescription
de droit commun à l’époque) pour défaut d’avoir vérifié préalablement
à tout octroi de prêt destiné à financer le projet constructif si le
constructeur était assuré en garantie de livraison.

Le TGI de Lille dans un jugement du 6 mars 2008 (la Banque avait
son siège dans le Nord) avait pleinement accueilli l’action des maîtres
d’ouvrage.

Par arrêt du 24 novembre 2009 (Ch 1 sect 2 RG 08/02772), la Cour
d’appel de Douai avait réformé ledit jugement en "déclarant la Caisse
responsable sur le fondement de l’article 1147 du Code civil à hauteur
de 50 % des dommages subis par les époux V. en rapport de cause
à effet avec la non vérification de l’existence d’une garantie de livraison" motif pris que "le maître de l’ouvrage avait un devoir de vigilance sur l’opération en cause et il ne pouvait se décharger sur le banquier de ses propres obligations d’avoir à solliciter du constructeur l’attestation de garantie légalement prévue avant l’ouverture du chantier et à la remettre au prêteur préalablement à toute demande de fonds".

Selon l’arrêt du 25 mai 2011 (inédit publié au Bulletin n°K 10-
10.905), la Cour de cassation a censuré : "en statuant ainsi, alors
que le maître de l’ouvrage n’est pas tenu de s’assurer de la délivrance
de l’attestation de garantie de livraison pour l’obtention d’un prêt destiné
à financer un contrat de construction de maison individuelle avec
fourniture de plan, la cour d’appel a violé les textes susvisés (article
L. 231-10 du Code de la construction et de l’habitation, ensemble
l’article 1147 du Code civil)".

Sur renvoi, la Banque exposait que les maîtres d’ouvrage, par leur
attitude d’avoir laissé "filer" le chantier sans se voir communiquer les
diverses attestations de garantie à son tout début, auraient renoncé
au bénéfice de la condition suspensive dans leur contrat attachée à
l’obtention de cette garantie.

La Cour de Douai autrement composée par décision du 19 juin 2013
(ch 1 sect 2, RG 12/04227) n’a pas suivi retenant qu’ "il n’était pas
démontré que les époux V. aient entendu de manière non équivoque
renoncer au bénéfice de la condition suspensive d’obtention de la
garantie et que partant la Banque ne peut prétendre à un partage
en responsabilité en raison d’une prétendue faute commise par les
maîtres d’ouvrage".

Sur l’indemnisation, la Cour ne raisonne pas comme le juge du fond
lillois à l’aune de l’article 1150 du Code civil ("le débiteur n’est tenu
que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir
lors du contrat…") qui avait indemnisé tous les préjudices consécutifs
à la défaillance du constructeur (surcoût de recours à un autre
constructeur, nouvelle étude de sol, démolition des fondations, loyers
pour se loger pendant la durée du second chantier).

Les magistrats de Douai recourent à la notion de perte de chance :
"Attendu qu’en débloquant les fonds sans avoir eu communication
de l’attestation de garantie de livraison, la CC. a donc commis une
faute ayant eu pour conséquence de priver les maîtres d’ouvrage de
la protection légale de l’article L.231-10 ; que ce dommage s’analyse
en une perte de chance qui se définit comme la disparition actuelle
et certaine d’une éventualité favorable consistant en l’espèce dans
une possibilité sérieuse d’obtenir d’un garant la couverture prévue à
l’article L.231-6 du CCH (…)".

Ils poursuivent leur raisonnement en précisant :
"Attendu que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée
à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré
cette chance si elle s’était réalisée ; que le respect par la CC.
des obligations mises à sa charge par l’article L.231-10 aurait permis
aux maîtres d’ouvrage de bénéficier d’une garantie de livraison suite
à la liquidation judiciaire du constructeur ; que la garantie aurait pu
leur être acquise avec une probabilité de 90 % tenant compte de la
franchise qui aurait pu l’assortir et de l’estimation par le garant des
chefs de préjudices invoqués (…)".

S’ensuit une liquidation du préjudice à 90 % du seul surcoût du chantier à l’exclusion des autres postes.

Le curseur est à 90 % mais pourquoi un tel chiffre ? (cela donne l’impression
d’une décision "au doigt mouillé"…).

Il n’est pas évident que la perte de chance ait sa place en pareille
matière.

Depuis la fin du XIXème siècle, la jurisprudence admet l’indemnisation
du préjudice constitué par une perte de chance (Req., 17 juill 1889,
S. 1891, 1, p. 399).

La Cour de cassation définit la perte de chance comme la disparition
actuelle et certaine d’une éventualité favorable (Cass civ. 1ère, 21 nov
2006, Bull. I, n° 498, n°05-15674).

Le préjudice de perte de chance suppose, par définition, que le préjudice
ait pu survenir en l’absence de faute.

A défaut, le préjudice est intégralement causé par la faute et doit être
intégralement réparé.

Il en est ainsi de l’hypothèse de la perte de la possibilité d’une évolution
favorable de l’activité professionnelle (Cass civ. 2ème, 13 nov
1985, Bull. II, n° 172).

De même, dans l’hypothèse de la perte de chance de gagner un procès
non plaidé par suite de la négligence d’un avocat, le préjudice
constitué par la perte du procès aurait pu survenir y compris sans la
négligence de l’avocat (Cass civ. 1ère, 8 juill 1997, Bull. I, n° 234).

Il en va de même en matière médicale, dans l’hypothèse d’un malade
décédé au cours d’un accident postopératoire, le préjudice constitué
par la mort du malade étant possible même sans la faute du médecin
(Cass civ. 1ère, 29 juin 1999, Bull. I, n° 220).

En l’occurrence, dans l’hypothèse d’un prêteur ayant débloqué les
fonds sans avoir vérifié l’existence d’une assurance garantie livraison,
le surcoût engendré par les travaux réalisés par un nouveau constructeur
qui aurait dû être couvert par la garantie de livraison - laquelle
fait défaut - ne relève pas à notre sens de la perte de chance dès lors
que ce surcoût n’aurait pu exister sans la faute du prêteur.

Néanmoins, la solution définitive à ce long périple judiciaire est
somme toute satisfaisante pour les maîtres d’ouvrage qui ont pu être
indemnisés par la Banque considérée fautive.

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