Le fait de regarder (...)

Le fait de regarder une vitrine commerciale n’est pas constitutif d’une occupation privative du domaine public

Dans un arrêt récent du 31 mars dernier [1], le Conseil d’Etat a définitivement
considéré que la « taxe trottoir » était illégale.

Le fondement
de cette « taxe » était plutôt simple. Partant du postulat que la clientèle
des magasins et autres distributeurs automatiques de billets « utilisent
 » les trottoirs municipaux pour admirer les vitrines commerciales ou
retirer de l’argent, les municipalités ont eu l’idée de réclamer une redevance
d’occupation aux commerçants. Concrètement, il s’agissait
d’appliquer à la clientèle qui « flâne » devant les vitrines, un régime
juridique proche de celui applicable aux terrasses et comptoirs commerciaux.
Dans ce dernier cas, les commerçants qui bénéficient d’une
terrasse ou d’un comptoir sur le trottoir versent, en effet, à la collectivité
une redevance d’occupation du domaine public.

Dans le dossier qui nous occupe et qui a fait l’objet de l’arrêt du
Conseil d’Etat, la Commune d’Avignon avait institué, par délibération,
le paiement d’une redevance d’utilisation du domaine public
pour les commerces exerçant leur activité au travers de vitrines ou de
comptoir ouvrant sur le domaine public ainsi que pour les distributeurs
automatiques bancaires installés en façade de bâtiments et accessibles
directement depuis le domaine public.

Saisi par certains commerçants hostiles à l’instauration d’une telle
redevance, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la délibération
du Conseil municipal au motif qu’elle portait atteinte au principe
d’égalité. En effet, les commerçants exerçant une activité culturelle
étaient exonérés de son paiement. Saisi en appel, la Cour administrative
d’Appel de Marseille a censuré le jugement de Nîmes, mais
a, tout de même, considéré que la délibération du Conseil municipal
était illégale dans la mesure où la clientèle des établissements
bancaires et commerciaux n’utilisaient pas de manière privative le
domaine public.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a clairement validé la solution
adoptée par la Cour d’Appel et a donc sanctionné la délibération
adoptée par la Commune d’Avignon. Pour aboutir à une telle solution,
la Haute juridiction administrative a, tout d’abord, rappelé qu’une
collectivité publique ne peut réclamer une redevance d’occupation
du domaine public que dès lors qu’elle a accordé une occupation
privative de cette dépendance domaniale. Par conséquent, poursuit
le Conseil d’Etat, il est illégal de réclamer une redevance d’occupation
dans les cas où l’occupation ou l’utilisation du domaine public
n’excède pas les limites « du droit d’usage appartenant à tous ».

La question, en l’espèce, était donc de déterminer si la clientèle qui
utilise les trottoirs municipaux pour retirer de l’argent à un distributeur
automatique ou pour admirer une vitrine commerciale utilise de
manière privative le domaine public ou si cette clientèle reste dans la
limite du droit d’usage d’un trottoir qui appartient à tous.

Le Conseil d’Etat va clairement répondre à cette question en considérant
que « la présence momentanée des clients des établissements
en cause sur le domaine public, le temps d’effectuer une transaction,
qui n’est ni exclusive de la présence d’autres usagers du domaine
public ni incompatible avec l’affectation de celui-ci, n’est pas constitutive,
pour ces établissements, quand bien même elle est nécessaire
au mode d’exercice de leur commerce, d’une occupation du domaine
public excédant le droit d’usage qui appartient à tous ». Le passant
qui retire de l’argent ou qui regarde une vitrine demeure donc, avant
tout, un simple piéton. Toute redevance d’occupation réclamée à ce
titre est donc illégale.

La question des distributeurs automatiques et des vitrines est donc
désormais réglée. Nul doute, toutefois, que du fait de l’inventivité des
commerçants, la question sera posée pour d’autres pratiques commerciales
utilisant, du moins de manière indirecte, le domaine public.
On peut, à titre d’illustration, penser au service de « voiturier » mis
en place par certains commerçants qui conduit, souvent, à l’installation
d’une pancarte mobile sur le trottoir et à « l’accaparation » des
places de stationnement public par le personnel de ces établissements
commerciaux.

[1C.E. 31 mars 2014, Commune d’Avignon, req. n° 362.140

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