Le métier de mandataire

Le métier de mandataire judiciaire, au confluent de tous les droits

« Il ne faut pas avoir d’a priori sur le métier de mandataire judiciaire », avance Me Jean-Patrick Funel. Professionnel depuis 2003 à
Nice, il valorise une double approche technique et humaine indispensable
dans le traitement des dossiers.

« Le mandataire judiciaire est
désigné dans le cadre du redressement ou de la sauvegarde d’une
entreprise ». Cela implique un aspect social et humain très fort : avant
d’être un dossier, il y a un chef d’entreprise et ses salariés.
Le mandataire judiciaire est désigné par le Tribunal de Commerce ou
le Tribunal de Grande Instance. « Dès notre désignation, nous mettons
en place le process permettant la prise en charge des sommes dues
aux salariés, pouvant parfois représenter plusieurs mois de salaires.
Nous sommes aussi un interlocuteur pour les créanciers. Nous catalysons
toutes les demandes des différents créanciers et faisons remonter
les informations. Nous sommes un relais entre le dirigeant, les
salariés, le tribunal et le parquet. » Ce rôle central du mandataire
judiciaire a pour objectifs de débloquer les situations dans ces phases
de crise et de tendre vers une solution heureuse. L’autre pan de ce
métier concerne la liquidation judiciaire : « ce rôle implique toujours
l’aspect social et le lien avec les créanciers, auxquels va s’ajouter
l’aspect vente d’actifs. »

Maître Jean-Patrick Funel © CM

« On ne fait pas ce métier par vocation »

Me Funel est rejoint sur ce point par Me Marie-Sophie Pellier-Molla.
Associée avec son père, lui-même mandataire judiciaire, elle décrit ce
métier comme étant méconnu, difficile, mais très captivant. Avocate et
diplômée de Sciences Po Paris, elle est professionnelle depuis le 1er
janvier 2012. « C’est un métier où l’on est assez exposé, un métier
à l’occasion duquel on est amené à gérer de nombreux conflits »,
explique-t-elle. « Il faut être très compétent sur le plan juridique et également
faire preuve d’humanité. Il faut savoir apprécier les situations
et désamorcer les situations de crise. […] Les personnes que l’on a en
face de nous ont souvent mis toute leur vie dans leur entreprise. C’est
délicat. Il faut être à l’écoute et à la fois être ferme pour faire avancer
les dossiers. […] Je trouve qu’il y a de beaux challenges dans ce
métier qui touche à plusieurs pans du droit. Sur le plan juridique, on
observe que la matière des procédures collectives se complexifie au
fur et à mesure des réformes successives. De même, le formalisme est
de plus en plus présent : on a de plus en plus de tâches à accomplir
(rapports notamment). »

Maître Marie-Sophie Pellier-Molla © CM

Selon Me Funel, « il faut plusieurs années pour savoir si l’on va aimer
ce métier ». L’aspect comptable est aussi important que l’aspect juridique,
« dans la mesure où dans notre métier, on manie des bilans
et des comptes de résultats à longueur de journée ». Pour lui qui a
suivi un double cursus en droit et expertise-comptable, « pour pouvoir
faire ce métier, il faut d’abord commencer par le connaître. Une fois
qu’on peut l’appréhender le plus largement possible, on peut vraiment
essayer de devenir mandataire judiciaire. »
Comme détaillé sur le site du Conseil National des Administrateurs Judiciaires
et des Mandataires Judiciaires (CNAJMJ), il faut pour devenir
mandataire de justice, être titulaire au minimum d’un diplôme de
niveau bac+4 et réussir un examen d’entrée au stage professionnel.
Ce stage d’une durée de trois ans est accompli au sein d’une étude.
Il se termine par un examen d’aptitude à l’exercice de la profession.

Le chef d’entreprise doit accepter d’anticiper sur ses difficultés

« Celui qui va sauver l’entreprise, principalement, ça reste le chef
d’entreprise. Dans le cadre du redressement judiciaire, nous sommes
là pour lui donner un canevas, un certain nombre de clés auxquelles il
n’avait pas forcément recours ou qu’il ne connaissait pas. On marche
aux côtés du chef d’entreprise. On est ni pour, ni contre », appuie
Me Funel. « Aujourd’hui, les chefs d’entreprise sont toujours résistants
à franchir les portes du tribunal, même s’il y a de nombreuses
actions diligentées. On le voit à Nice, de gros efforts sont faits. Le
chef d’entreprise se dit souvent que ses difficultés s’apaiseront le mois
suivant. […] Faire ce pas, c’est un seuil psychologique à franchir.
Aujourd’hui, les dispositions qui existent sont justement destinées à
favoriser le redressement dès lors qu’on le prend à temps. Je conçois
que ce ne soit pas aisé. »
L’anticipation des difficultés est primordiale : « nous avons des personnes,
qui, avant une procédure collective, amenés par des avocats
ou experts-comptables, sont venus nous voir pour qu’on leur explique
la procédure collective. Comment ça marche ? Qu’est-ce qui va se
passer ? Les « on dit », c’est une chose. La réalité de ce qu’est notre
métier, c’en est une autre. On s’aperçoit que les dossiers se passent
beaucoup mieux lorsque les gens franchissent leurs a priori. Ils ne sont
pas assez nombreux à faire ce pas-là », explique Me Funel.

Une évolution de la profession liée au contexte économique

« La tendance des dossiers est à l’amoindrissement des actifs. Le
tissu économique évolue en ce sens », confie Me Pellier-Molla. Aujourd’hui
on est dans une situation qui n’est pas simple. On observe,
par exemple, que certaines sociétés sont constituées avec 1 euro de
capital social, avec adresse de domiciliation chez le chef d’entreprise
et matériel en leasing [location avec option d’achat, ndlr]. Il n’y a
pas d’actifs à réaliser dans ce cas alors même que notre mission
consiste à parvenir à désintéresser au mieux les créanciers. Dans les
années 80-90, vous vendiez des fonds de commerce, du matériel,
du stock relativement facilement. Aujourd’hui, du fait de la crise économique,
les entreprises connaissent plus de difficultés financières et
sont moins prospères. Et lorsque les entreprises possèdent des actifs
(fonds de commerce, etc.), il faut souvent se battre pour trouver des
acquéreurs. »

L’importance de la formation continue

Les techniciens du droit et des chiffres que sont les mandataires judiciaires
ont l’obligation de suivre des formations. « Sur le plan de la
formation pure, il y a une jurisprudence qu’on suit vraiment régulièrement.
Nous avons des revues auxquelles nous sommes abonnés et
suivons au minimum 2 séminaires par an : les entretiens de la sauvegarde
organisés par l’IFPPC (syndicat) à Paris en janvier et la formation
annuelle organisée par le Conseil national des administrateurs et
des mandataires à la Colle sur Loup en juin, environ 700 personnes
de France s’y rejoignent sur 2 jours », explique Me Pellier-Molla.
Cette obligation de suivre des formations est formalisée dans « ce
qu’on appelle un document permanent, interne à l’étude, qui est actualisé
tous les 3 ans et qui est remis aux contrôleurs. La profession
est extrêmement contrôlée. Tous les 3 ans, des professionnels hors de
la région viennent à l’étude et ont accès au dossier. C’est là qu’ils
pointent toutes les formations qui sont faites. On doit les reporter en
indiquant le lieu, la date et l’objet de la formation. J’ai eu l’occasion
de contrôler des confrères. C’est intéressant car on voit comment ils
travaillent », renchérit Me Funel.
En conclusion, comme l’explique Me Funel, les moments forts que l’on
peut vivre dans cette profession tiennent dans une somme de satisfactions
 : des salariés rémunérés rapidement, des créanciers qui peuvent
être en partie désintéressés, un dirigeant qui a compris le rôle du
mandataire et qui a participé. Pour Me Pellier-Molla, la satisfaction
tient dans la participation à l’oeuvre de règlement des difficultés des
entreprises : « ce métier est souvent décrié alors qu’on évolue dans un
contexte difficile et qu’on arrive souvent à résoudre au mieux les situations.
J’apprécie plus particulièrement les dossiers de sauvegarde et
de redressement judiciaire, lorsqu’après plusieurs mois de poursuite
d’activité sous surveillance du Tribunal, l’entreprise parvient à présenter
un plan de redressement, à poursuivre son activité et maintenir ses
emplois. En liquidation judiciaire, l’objectif est notamment de réaliser
au mieux les actifs afin de désintéresser le plus grand nombre de
créanciers. Parfois, on est confronté à des situations humaines particulièrement
difficiles et on fait tout pour aider les gens et être à leurs
côtés », a-t-elle conclu.

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