Le non-paiement des (...)

Le non-paiement des acomptes constitue une faute de la collectivité ouvrant droit à indemnité pour l’entreprise

Le droit à indemnité d’une entreprise de travaux publics est, dans un marché à forfait, strictement encadré depuis un arrêt du Conseil d’Etat « Région Haute-Normandie » du 05 juin 2013. Dans cet arrêt, la Haute-Juridiction administrative a, ainsi, posé en principe que les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans l’hypothèse où celle-ci justifie soit que ces difficultés présentant la nature de sujétions techniques imprévues ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit que ces difficultés sont imputables à une faute de la personne publique.

Concrètement, depuis cet arrêt, une entreprise ne peut obtenir une indemnité en raison du préjudice subi à cause de l’allongement du délai de chantier que si elle démontre, soit que cet allongement est lié à une subjection technique imprévue, soit que cet allongement découle d’une faute de la personne publique.

Or, il s’avère, pour le moins difficile, pour une entreprise de travaux publics « victime » d’un allongement du délai de réalisation d’un chantier de démontrer que cet allongement découle d’une faute de la collectivité.

Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Douai fournit une illustration de faute de la personne publique qui ouvre droit à indemnité pour l’entreprise. Dans cette espèce, un syndicat intercommunal de traitement de déchets a confié, par le biais d’un marché de conception – réalisation, à un groupement conjoint la conception et la réalisation d’une unité de valorisation énergétique par production d’électricité à implanter sur l’usine d’incinération des ordures ménagères.
Or, le marché a connu 23 mois de retard.
Le groupement a, alors, déposé auprès du syndicat une réclamation afin d’obtenir une indemnité couvrant le préjudice subi à raison du démarrage décalé du chantier. Le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande du groupement en lui allouant une indemnité de plus de 1,180 million d’euros. Pour aboutir à une telle solution, le juge de première instance a considéré que le syndicat avait commis plusieurs fautes contractuelles à l’origine de l’allongement du délai de réalisation de chantier, et notamment un défaut d’animation, de direction et du contrôle du projet, une absence de souscription des assurances et un défaut d’information d’obtention du permis de construire tacite dans les délais.

Saisi en appel, la Cour Administrative d’Appel de Douai a cassé, sur ce point, le jugement du Tribunal Administratif de Lille en considérant que ces manquements contractuels de la collectivité n’étaient pas à l’origine de l’allongement du délai de réalisation du chantier.

Toutefois, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, la Cour d’Appel a procédé à l’examen du dossier et a identifié une autre faute contractuelle présentant, selon le juge d’appel, un lien de causalité avec le démarrage retardé du chantier. La Cour d’appel a, ainsi, constaté qu’à la date de signature du marché et lors de l’émission de l’ordre de service de démarrage des prestations, le syndicat intercommunal ne disposait pas des garanties bancaires et du financement permettant la réalisation du projet. A raison de ce défaut de capacité de financement du projet, la collectivité s’est trouvée dans l’incapacité de procéder au règlement des acomptes du groupement pendant 5 mois, ce qui conduit à une interruption des prestations pendant plus de 10 mois le temps que la collectivité retrouve une capacité de financement suffisante. Cette situation conduit la Cour d’Appel à juger que le le syndicat intercommunal « a manqué à ses obligations contractuelles en ne s’assurant pas des capacités de financement suffisants » et que ce manquement « est directement à l’origine du retard de 23 mois constaté » sur le chantier.

L’absence de paiement des acomptes de travaux engendre donc une double peine pour la collectivité publique. D’une part, en stricte application de l’article 49-2 du CCAG - Travaux, l’entrepreneur peut, dès lors que deux acomptes successifs n’ont pas été payés, demander une interruption du marché. Cette interruption des travaux engendre une prolongation « automatique » des délais contractuels et des intérêts de retards majorés de 50%, et ce toujours en vertu de l’article 49-2 du CCAG – Travaux.

D’autre part, et c’est l’apport de l’arrêt commenté de Douai, cette absence de paiement des acomptes, s’il vient à engendrer un allongement du délai de chantier du fait de l’interruption des travaux, ouvre droit à indemnité à l’entrepreneur.

Il s’agit d’une faute contractuelle de la collectivité qui justifie que l’entrepreneur soit indemnisé de l’immobilisation du matériel et du personnel découlant de cet allongement du délai de réalisation du chantier. Dans l’espèce commentée, le groupement a, ainsi, obtenu une indemnisation de plus de 477.000 euros, augmentée de la TVA, et assortie d’intérêts moratoires capitalisés sur plus de 6 ans.

Par Antoine ALONSO GARCIA - Avocat au Barreau de Paris
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