Le notariat met en (...)

Le notariat met en scène sa colère

Visée par la future « loi pour la croissance », la profession de notaire se mobilise. Des manifestations, des pages de publicité et un appel à soutenir le droit français ne font pour le moment pas plier le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron.

C’est le mot qui les fait bondir le plus : « rentiers ».

Les notaires n’apprécient pas, mais alors pas du tout, qu’on les qualifie de riches, oisifs et inutiles. Ils n’ont cessé de le proclamer, le 17 septembre, en manifestant sur la place de la République, à Paris. De 12 000 (selon la police) à 18 000 personnes (selon le Conseil supérieur du notariat, CSN), se sont rassemblées sur la grande place de l’est parisien, ainsi que dans plusieurs villes, pour dénoncer la « loi pour la croissance » voulue par Arnaud Montebourg.

Lors de son bref passage au ministère de l’Economie, entre mars et août de cette année, le pourfendeur des privilèges s’était fixé pour objectif de libéraliser les professions réglementées, une spécificité française. Le texte, désormais confié à Emmanuel Macron, s’inspire d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGS), rédigé en mars 2013 et diffusé au cours de l’été 2014. On y lit que les 37 professions et activités étudiées, parmi lesquelles les professions de notaire, dentiste, pharmacien, greffier de tribunal de commerce ou encore infirmer ou vitrier, « se distinguent par des niveaux élevés de rentabilité qui ne trouvent, dans certains cas, pas d’autre explication que la réglementation en vigueur ». Le document préconise notamment d’ouvrir le capital des structures professionnelles afin de limiter la tendance à la transmission de père en fils qui prévaut, encore, dans de nombreux secteurs.

Le notariat est visé par plusieurs mesures : la suppression « du monopole sur la rédaction des actes soumis à publicité foncière et du tarif réglementé sur les négociations immobilières », la révision « au moins quinquennale » des tarifs, suppression « des restrictions à la libre installation » ou encore « l’accroissement du pouvoir de sanction du Conseil supérieur du notariat ».

Même si les contours de la loi demeurent pour l’instant assez flous, ces mesures doivent contribuer, d’après les calculs de Bercy, à réinjecter « 6 milliards d’euros » dans l’économie.

Un argumentaire bien connu

Les notaires n’apprécient pas. Et, comme à chaque fois qu’elle se sent menacée, la profession réagit en mettant ses moyens dans la balance. Ce 17 septembre, l’agence de communication Havas, qui a déjà effectué plusieurs missions pour le CSN, a concocté une manifestation à l’organisation millimétrée. Sur la place de la République, une scène, des écrans géants et des tentes ont été dressés, une sono diffuse des discours et de la musique, et les manifestants, notaires ou salariés d’études notariales, ont revêtu la panoplie que leur a recommandée le CSN : une marinière, pour répondre à un Arnaud Montebourg pourtant délesté de son poste, des tee-shirts (aussi) sexy (que possible) proclamant « le droit se meurt » ou « pour un notariat made in France ». L’offensive vise aussi les lecteurs des journaux, avec des pleines pages de publicité achetées aux principaux quotidiens nationaux, et les réseaux sociaux, avec un site spécialement monté pour l’occasion, relayé sur des pages Facebook et par des comptes Twitter.

Le notariat connaît son argumentaire par cœur. Et pour cause, les professionnels ont l’habitude de développer ces thèses lors de leurs congrès annuels, depuis des décennies, face aux ministres de la justice qui les honorent immanquablement de leur présence. Les arguments avaient déjà servi en 2008, lorsqu’un rapport de Jacques Attali, élaboré à la demande du président Sarkozy, avait dénoncé « la rente de situation » de certaines professions, notamment, déjà, les pharmaciens, les taxis et les notaires.

Les praticiens l’assurent, la main sur le cœur : s’ils refusent que l’on touche aux règles qui régissent leur profession, ce n’est pas pour s’asseoir sur une confortable rente mais au nom de la « sécurité juridique des Français », pour défendre « le maillage dans nos campagnes » et pour combattre cette hydre implacable, « le droit anglo-saxon », auquel est associé « le libéralisme de Bercy ».

Las, la manifestation n’a pas suffi. Pour le moment en tous cas. Le notariat a certes obtenu un rendez-vous, le 18 septembre, avec Emmanuel Macron et aussi, c’est une première victoire, avec Christiane Taubira qui n’a pas voulu laisser la profession aux seuls responsables de Bercy. A la sortie du ministère, les représentants de la profession n’ont pas manqué de faire valoir leur « vive inquiétude ». Jean Tarrade, président du CSN, s’inquiète toujours d’une possible modification des conditions d’installation, de l’ouverture des études aux capitaux extérieurs ainsi que sur le périmètre de l’acte authentique, ce type de contrat qui, signé devant notaire, fait foi de manière irrémédiable.

Le prochain rendez-vous du feuilleton des professions réglementées, qui ne fait sans doute que commencer, est fixé au 30 septembre. Lors de cette « journée sans professions libérales », les notaires, dentistes ou opticiens se mettront en grève et battront le pavé. Les huissiers de justice ont, pour leur part, suspendu leur mouvement, considérant avoir obtenu satisfaction.

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