Le régime du Bail à (...)

Le régime du Bail à ferme : un équilibre précaire entre des intérêts contradictoires

Par un arrêt du 28 mai 2020, la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation a autorisé le propriétaire indivis de terres agricoles à agir seul afin d’obtenir la liquidation d’une astreinte prononcée pour assurer la remise en état du bien loué.

Par Maître Cédric Bianchi, Avocat associé Cabinet WABG & Associés Nice, DESS Droit, Economie et Gestion de la filière viti-vinicole, Université Montesquieu Bordeaux IV

Dans cette affaire, un frère et une sœur étaient propriétaires d’un vignoble loués à un Groupement Foncier Agricole (GFA).

Plusieurs instances ont opposé les propriétaires et le locataire sur la détermination du fermage et sur la consistance du vignoble.

Une décision a condamné le GFA à remettre le vignoble en état sous astreinte.

Le GFA ne s’exécutant pas, le frère a saisi seul le Juge de l’exécution pour demander la liquidation de l’astreinte et la fixation d’une nouvelle astreinte, plus élevée.

La Cour d’Appel de Rennes a considéré que sa demande n’était pas recevable, un indivisaire ne pouvant réaliser seul un acte d’administration que s’il détient au moins les 2/3 des droits indivis.

La Cour de Cassation a cassé cette décision en considérant qu’il n’avait réalisé qu’un acte conservatoire, destiné à préserver l’intégrité du bien, un tel acte pouvant être réalisé par un indivisaire seul.

Par cet arrêt, la Cour de Cassation illustre parfaitement l’équilibre que tente de préserver le législateur entre les intérêts contradictoires du propriétaire – bailleur, qui doit préserver son capital, et de l’exploitant – preneur qui doit assurer la stabilité et la pérennité des exploitations pour se projeter sur le long terme.

L’encadrement légal de la résiliation du bail à ferme

Les intérêts contradictoires du propriétaire – bailleur – et de l’exploitant – preneur – ont amené le législateur à encadrer fermement les conditions de résiliation du bail afin de prendre en compte les intérêts du premier, qui ne peut souvent pas se priver de la ressource que représente le fermage, toute en protégeant les intérêts de l’exploitant, qui a un besoin vital des terres louées pour que son exploitation prospère.
Cet antagonisme se retrouve dans les solutions adoptées au Livre IV du Code rural et de la pêche maritime (CRPM), qui autorise la résiliation du bail à ferme, mais limite fermement cette possibilité à quelques situations énumérées aux articles L. 411-30 à L. 411-34 du CRPM. Les parties ne peuvent en aucun cas déroger à ces règles légales, et toute clause contraire qui aurait été insérée dans un contrat de bail à ferme serait irrémédiablement annulée par les juridictions(1°). Le preneur conserve toutefois la possibilité de renoncer à un droit qui a déjà été acquis et accepter sa résiliation amiable après la signature du contrat de bail à ferme (mais bien évidemment pas le jour même de cette signature(2°)).

Le droit du Preneur au renouvellement du Bail

L’exploitant bénéficie en premier lieu, sauf exceptions, d’un véritable droit au renouvellement du Bail à ferme.
Il n’est pas tenu de demander ce renouvellement, qui s’applique automatiquement et aux mêmes conditions, à défaut de volonté contraire des parties, à l’issue de chaque période de 9 ans, à défaut de congé. S’il n’y avait pas d’écrit, les conditions du bail renouvelé seront celles du contrat type départemental. Si le preneur entend délivrer congé, il n’aura pas à motiver sa demande mais devra notifier le congé au propriétaire par LRAR, ou le faire signifier par Huissier, au moins 18 mois avant l’échéance du bail.

Si le Bailleur entend délivrer congé, il devra, en ce qui le concerne motiver son congé par l’un des motifs prévus par l’article L. 411-46 du CRPM, c’est-à-dire, notamment pour l’une des fautes commises par le Preneur qui pourraient motiver la résiliation du bail énoncées ci-après. A l’issue du bail, quelle que soit la cause qui y a mis fin, l’exploitant – preneur – aura droit à une indemnité calculée en fonction des améliorations (notamment les plantations et les travaux de transformation du sol) apportées à la parcelle, des travaux réalisés pour que la parcelle soit exploitée en conformité avec la règlementation et des réparations effectuées, avec l’accord du bailleur, pour la conservation d’un bâtiment indispensable à l’exploitation qui vont au-delà de ses obligations légales, les subventions obtenues par l’exploitant pour y procéder étant bien évidemment déduites de l’indemnité. A l’inverse, si l’exploitant a dégradé la parcelle, le propriétaire pourra revendiquer une indemnisation égale au montant du préjudice subi.

La résiliation de plein droit du bail à ferme

Les conditions de la résiliation de plein droit du bail à ferme sont fixées par l’article L. 411-30 du CRPM. 
Elle n’est possible que «  lorsque la totalité des biens compris dans le bail sont détruits intégralement par cas fortuit  »
En cas de destruction partielle, si cette destruction compromet gravement l’exploitation, le bail n’est pas rompu, mais le bailleur est tenu, si le preneur le demande, de reconstruire les biens détruits à due concurrence des sommes versées par les compagnies d’assurance.
Si les dépenses excèdent ce montant, le propriétaire pourra prendre à sa charge la totalité des frais moyennant une augmentation du fermage, qui sera fixée par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux à défaut d’accord du preneur sur le montant proposé par le bailleur.
Si le preneur participe à la reconstruction, il aura droit à une indemnité à l’expiration du bail. Si le bien n’est pas reconstruit, le preneur peut demander la résiliation du bail.

La résiliation du bail à ferme par le Preneur

Compte tenu de la durée d’un bail à ferme, l’exploitant – preneur – a la possibilité de demander sa résiliation avant son échéance.
Afin de ménager les intérêts du propriétaire – Bailleur, cette possibilité est toutefois limitée à certains cas énumérés à l’article L. 411-33 du CRPM, dont notamment l’incapacité grave et d’une durée supérieure à deux ans du preneur ou d’un membre de sa famille indispensable au travail de l’exploitation, au décès de l’un de des membres de la famille, à l’acquisition par le preneur d’une exploitation qu’il doit exploiter lui-même, à une décision administrative obligeant l’exploitant à mettre son exploitation en conformité. Dans ces cas, la date d’échéance du bail dépendra de la fin de l’année culturale. Le preneur peut également demander la résiliation du bail, sous réserve d’un préavis de 12 mois, lorsqu’il est en mesure de faire valoir ses droits à la retraite.

En cas de décès de l’exploitant – preneur – le bail continue au profit de son conjoint, de son partenaire de PACS, de ses descendants ou de ses ascendants, s’ils ont participé à l’exploitation au cours des 5 années précédant le décès. Ces derniers peuvent toutefois demander la résiliation du bail dans les 6 mois suivant le décès de l’exploitant.

La résiliation du bail à ferme par le bailleur

L’article L. 411-32 du CRPM donne la possibilité au bailleur de demander, par exploit d’Huissier, la résiliation du bail lorsque la destination de la parcelle, située en zone urbaine, peut être modifiée. Dans ce cas, la résiliation prendra effet un an après la signification du congé qui doit mentionner l’engagement du propriétaire de modifier la destination des terrains.

Le Bailleur peut également demander la résiliation du bail à ferme pour faute du preneur. Les fautes qui peuvent être invoquées, énumérées par l’article L. 411-31 du CRPM, sont les suivantes :

Deux défauts de paiement qui persistent à l’expiration d’un délai de 3 mois après l’envoi d’une mise en demeure, qui peut être délivrée par LRAR ou par exploit d’Huissier(3°), adressé à la personne même du Preneur, qui devra rappeler les termes de la Loi ;
- Les agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment lorsque l’exploitant ne dispose pas de la main d’œuvre nécessaire aux besoins de l’exploitation. Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier la gravité de ces manquements, et peuvent faire appel à des experts. Les cas les plus fréquents de recours à cette disposition sont l’abandon de la parcelle, les rendements anormalement bas ou le défaut d’entretien.
- Le non-respect par le preneur des clauses environnementales qui peuvent être incluses dans le bail, par exemple pour les exploitations « bio ». Le bail incluant de telles clauses doit aussi fixer les conditions de contrôle du respect des pratiques convenues.

Ces trois premières causes de résiliation ne peuvent toutefois être invoquées en cas de force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes.
- Il est également possible de rompre le bail à ferme pour faute du preneur s’il ne respecte pas les obligations mises à sa charge par l’article L. 411-27 du CRPM, qui renvoie notamment aux dispositions des articles 1766 et 1767 du Code Civil, obligeant l’exploitant à garnir le fonds d’animaux, le cas échéant, et d’ustensiles, à cultiver la parcelle et à l’utiliser à l’usage convenu.
Enfin, l’article L. 411-31 du CRPM autorise le bailleur à résilier le bail lorsque le preneur cède son bail, ou l’apporte à une société sans respecter les conditions prévues aux articles L. 411-35 et suivants du CPRM ainsi que lorsqu’il procède à un échange de parcelles, à un assolement en commun ou met sa parcelle à disposition d’une société, si l’opération est de nature à porter préjudice au bailleur ou lorsqu’il ne respecte pas les conditions dans lesquelles une parcelle lui a été attribuée par la SAFER.

Le contentieux de la résiliation

La demande en résiliation du bail à ferme doit être effectuée par assignation ou par requête adressée au Tribunal Paritaire des Baux Ruraux du lieu de la situation du bien concerné.
Le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux, constitué d’un magistrat, qui préside, de deux représentants des propriétaires et de deux représentants des locataires, procède d’abord à une tentative de conciliation. A défaut de conciliation, il renvoie les parties devant la formation de Jugement qui rendra une décision susceptible d’appel si les sommes demandées dépassent les 5.000 €.

Le régime actuel des baux ruraux, bien qu’il soit complexe et nécessite l’assistance d’un professionnel pour connaitre ses droits et devoirs, permet, le plus souvent, d’assurer cet indispensable, mais précaire, équilibre entre les intérêts contradictoires des parties et accorde au Preneur la stabilité nécessaire à la pérennité de son exploitation tout en laissant au bailleur la possibilité de rompre un bail qui lèserait ses intérêts.

Références

1- Voir par ex. : CA Dijon 4 février.1997 : JurisData n° 1977-045872 ; Bull. inf. C. Cass. 15 Septembre. 1997, N° 10148.
2- Cass. 3e civ., 2 mai 1968 : Bull. civ.1968, III n°176.
3- Cass. soc. 15 mars 1957 : Rev. Loyers 1957, supplément p.78

Photo de Une : DR illustration

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