Les aspects procéduraux

Les aspects procéduraux du dessaisissement du chef d’entreprise

Drôle de mot que le dessaisissement ! Dans le langage courant, il signifie le retrait d’un pouvoir dont une personne se trouvait investie. La mesure est l’effet principal de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Et quel effet !

- Par Benjamin FERRARI

- Doctorant, Faculté de droit et science politique de Nice,
- Université Côte d’Azur et Membre du CERDP ( EA n°1201)

En liquidation judiciaire, vous, chefs d’entreprises dessaisis, perdez vos droits et actions de nature patrimoniale au bénéfice du liquidateur !

L’idée est d’éviter une dilapidation du patrimoine au préjudice des créanciers. Le patrimoine du chef d’entreprise sert d’assiette à la liquidation judiciaire. Au sens premier, le liquidateur doit liquider le patrimoine afin de désintéresser les créanciers. Le dessaisissement est donc une mesure de sûreté instaurée en faveur des créanciers de la procédure. Loin d’être une notion isolée et purement théorique, le dessaisissement est une réalité dans la vie du chef d’entreprise en liquidation judiciaire. Pour preuve, sur 63000 procédures collectives ouvertes en France en 2015, 43000 d’entre elles sont des procédures de liquidation judiciaire, ainsi, 43000 chefs d’entreprises sont-ils dessaisis de leurs droits et actions à caractère patrimonial.

Dessaisir, facile à dire.

Plus compliqué à mettre en œuvre. Les problèmes apparaissent lorsque l’on s’intéresse aux contours de la mesure et plus particulièrement, à ses aspects procéduraux. La clef réside dans la répartition des droits et actions devant être exercés par le liquidateur et ceux que conservent le chef d’entreprise. En effet, la mesure est loin d’être absolue et le chef d’entreprise conserve l’exercice de « droits propres » et de « droits personnels ».

Admettre que le débiteur détient des « droits propres » revient à replacer le chef d’entreprise en tant qu’acteur de sa procédure et non plus seulement comme l’objet de celleci. L’objectif est clair : l’accès au juge. Or, cette priorité conduit à octroyer au débiteur des droits sur le déroulement de la procédure. Ainsi, par exemple, le débiteur, au titre d’un droit qui lui est propre peut faire appel du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Autre exemple, si le liquidateur est amené à vendre un bien au cours de la procédure, le débiteur doit obligatoirement être appelé à l’audience. Difficile à mettre en œuvre, les droits propres le sont à l’égard de leur domaine. En effet, dessaisissement et droits propres jouent, tous deux, dans la sphère patrimoniale. La recherche de critère de répartition est donc essentielle en la matière. Si les droits propres rentrent véritablement en conflit avec le dessaisissement, tel n’est pas le cas, en apparence, des droits personnels.

De prime abord, les droits personnels semblent plus simples à appréhender. Par nature, ils concernent des droits situés en dehors de la sphère patrimoniale et donc, non soumis au dessaisissement. Malgré ce constat, le dessaisissement produit ici un effet à éclipse. Si d’une part, il est reconnu au chef d’entreprise un droit d’agir seul en ce domaine puisqu’il ne concerne pas, par essence, le champ patrimonial, il n’en demeure pas moins que, d’autre part, le produit de ces actions est quant à lui soumis au dessaisissement, car il intègre alors le patrimoine du dessaisi. L’exemple le plus topique en la matière est certainement l’action en divorce. Certes, le dessaisissement opère un transfert des droits du chef d’entreprise au liquidateur. Pour autant, il n’est pas question que le liquidateur décide discrétionnairement de divorcer en lieu et place du débiteur ! Ainsi, l’action en divorce est-elle un droit personnel au chef d’entreprise. Cependant, le divorce peut emporter des enjeux patrimoniaux conséquents. Pour cette raison, il reviendra au liquidateur le soin de signer, par exemple, la convention de divorce sur les points patrimoniaux de cette dernière. Là encore, l’objectif est de ne pas porter préjudice à la collectivité des créanciers.

Tout ceci est théoriquement bien rodé mais, qu’en est-il en pratique ?

Dessaisir, facile à dire. Plus compliqué à mettre en œuvre. Nous l’avons dit, l’enjeu du dessaisissement concerne essentiellement ses aspects procéduraux et revient à répondre à la question du qui peut agir ? Débiteur ou liquidateur ? A l’égard des droits propres, il serait possible d’avancer deux critères. Ainsi, yauraitil droit propre du chef d’entreprise, lorsque le conflit d’intérêt avec ses créanciers est trop important pour ignorer la personne du débiteur et lorsque le droit en question est inhérent à la procédure collective. Pour reprendre l’un de nos exemple concernant l’appel du jugement d’ouverture de la procédure : les créanciers n’ont, en principe, pas d’intérêt à ce que l’ouverture de la liquidation soit contredite, au contraire du chef d’entreprise. Il y a donc bien conflit d’intérêt. En outre, l’appel d’un jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire est, par essence, un droit inhérent à la procédure. En effet, cet appel ne peut naître que dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. Dès lors, il y aurait ici droit propre du chef d’entreprise.

La situation à l’égard des droits personnels est tout à la fois plus simple et plus délicate. Plus simple, car ce droit est facilement identifiable. Il ne concerne pas le patrimoine. Plus délicate, car les éventuelles conséquences patrimoniales de la mise en œuvre de ces droits sont soumises au dessaisissement. Un vent d’hypocrisie souffle sur ces droits : allezy débiteurs, faîtes valoir vos droits, mais votre succès, reviendra à vos créanciers !

En définitive, l’étude des aspects procéduraux du dessaisissement met en exergue tout l’intérêt de la matière.
Mesure phare de la liquidation judiciaire et garantie ultime du gage des créanciers, le dessaisissement est, en réalité, plus qu’incertain dans sa mise en œuvre. Entre protection de l’intérêt des créanciers et sauvegarde des droits du chef d’entreprise, le cœur de la mesure vacille. Néanmoins, une certitude demeure : Dessaisir, facile à dire. Plus compliqué à mettre en œuvre !

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