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Les avocats partent en guerre contre le gouvernement

Aide juridictionnelle, blanchiment d’argent, secret professionnel, réduction de la sphère judiciaire : les avocats multiplient les reproches au pouvoir en place. Par la voie de leurs représentants, ils menacent d’organiser, à la rentrée une grève et une manifestation.

Rien ne vaut une fable bien racontée pour étayer une démonstration. « Un client veut divorcer  », narre Christian Charrière-Bournazel, président du Conseil national des barreaux (CNB). « L’avocat lui propose de négocier. ‘Non, mon épouse et moi sommes déterminés’, répond le client. L’avocat parvient, chemin faisant, à convaincre son interlocuteur de ses obligations de mari et de père de famille et de loger son épouse, qui lui a fait trois enfants et n’a jamais travaillé », détaille l’orateur, qui poursuit : « Le client ne souhaite pas lui donner d’argent, ‘car elle pourrait le dépenser’, ni un appartement, ‘car elle en ferait profiter les enfants qu’elle serait susceptible d’avoir avec un autre homme’. ‘Alors, faisons une société civile immobilière dont vous conserverez les parts, et dont elle sera usufruitière’, propose l’avocat. ‘Très bien. Dois-je voir un notaire ?’, demande le client. ‘Non, non, non, je peux faire ça moi-même. Comment allez-vous financer ? Par un prêt ?’, lui répond son conseil. ‘Ce n’est pas nécessaire, maître. J’ai des réserves, j’ai fait des économies’ », continue Christian Charrière-Bournazel, très doué pour se mettre successivement dans la peau des deux personnages, le client matois et l’avocat conciliant. L’histoire un tantinet vieille France se termine ainsi : « L’avocat exerce son devoir de vigilance. ‘Vous êtes en règle, fiscalement ?’ ‘Mais oui, je suis honnête, je paie mes impôts’, répond le quidam, qui finit par évoquer une opération, conclue dix ans plus tôt, et non déclarée au fisc. Eh bien, à cause de ce simple fait, l’avocat est dans l’obligation de dénoncer son client ! », s’exclame Christian Charrière-Bournazel.

Les caisses professionnelles surveillées

Régulièrement, les avocats protestent contre les dispositions anti-blanchiment les conduisant à signaler à Tracfin, la cellule spécialisée de Bercy, tout « soupçon » qu’ils pourraient nourrir à l’égard d’un client. Le cas exposé longuement par le président du CNB tombe déjà sous le coup de la loi. Mais le représentant des 56 000 avocats de France s’en prend cette fois à un amendement au projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale, voté le 20 juin par l’Assemblée nationale. Ce texte concerne les Caisses des règlements pécuniaires des avocats (Carpa), chargées d’organiser le maniement des fonds (dommages-intérêts, compensations financières, etc.) reçus par les praticiens pour le compte de leurs clients. Les caisses, que le directeur de Tracfin, Jean-Baptiste Carpentier, aurait qualifiées de « grandes lessiveuses  », seraient désormais soumises à la « déclaration de soupçon ». « Comme si les Carpa étaient un réceptacle de la fraude fiscale ! », tonne Christian Charrière-Bournazel, qui voit dans cet amendement parlementaire la marque d’une « suspicion permanente ». Les avocats espèrent toutefois une prochaine réécriture de l’amendement. Plus généralement, le CNB juge que les dispositions du projet de loi, « aussi légitime que puisse être l’objectif de lutte contre la fraude fiscale », portent « une atteinte grave aux libertés publiques, individuelles et collectives ». Ces protestations récurrentes semblent porter leurs fruits… en tous cas auprès des robes noires. En effet, en 2011, seule une déclaration de soupçon émanant d’un avocat est parvenue à Tracfin, tandis que les notaires en effectuaient un millier et les banques 15 000.

Manifestation place Vendôme

La fraude fiscale n’est pas le seul reproche de la profession aux autorités politiques. « Nous avons le sentiment d’être la cible ou les laissés-pour-compte des réformes du gouvernement  », affirme Christian Charrière-Bournazel. Les griefs sont nombreux, et ne sont pas vraiment nouveaux. La proposition, avancée par la Chancellerie, de remplacer l’aide juridictionnelle par une taxe sur le chiffre d’affaires des professions juridiques, dont le montant atteindrait 60 millions d’euros, agace les avocats. « Au congrès des notaires, qui s’est tenu à la mi-juin, la ministre de la Justice a dit que les notaires en seraient exemptés », s’étrangle le président du CNB. Ainsi, l’avocat se trouverait dans la situation « d’un boucher-charcutier qui vendrait ses produits aux bénéficiaires des minima sociaux à un tiers de leur valeur et qui paierait, dans le même, temps, une taxe à l’abattoir  », brode-t-il.

Le président du CNB s’en prend aussi aux premiers présidents de Cour d’appel et se demande s’ils « sont hostiles aux avocats ». Ces magistrats, « très honorables et devant lesquels je m’incline sincèrement et avec déférence » lâche avec une pointe d’ironie le porte-parole des robes noires, ont suggéré le 31 mai de retirer de la sphère du judiciaire certains actes pratiqués par les avocats : les divorces par consentement mutuel, les partages de succession, la liquidation des régimes matrimoniaux ou encore l’indemnisation des victimes des accidents de circulation. « Le recours au juge deviendrait donc l’exception et l’avocat fermement tenu en bride », regrette Christian Charrière-Bournazel. Pas avare de comparaisons qui frappent les esprits, le plaideur assure que ces réformes feraient de la France une « société bureaucratique avec officine », comparée à « l’URSS, où le recours aux juges était réservé au droit pénal et où des comités de quartier » étaient chargés de régler les autres litiges.

Mais pour manifester son mécontentement, une plaidoirie, même aussi rondement menée que celle de Christian Charrière-Bournazel, ne suffit pas. Le CNB menace d’organiser, en septembre, « une grève » de la profession et « une manifestation, devant le ministère de la Justice, place Vendôme et devant l’Elysée  ». Ce n’est pas la première fois, loin de là, que les avocats protestent contre un gouvernement. Sous les mandats de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, leur colère se dirigeait plutôt contre les lois sécuritaires et les menaces pesant sur les libertés publiques. En 2001, ils avaient déjà manifesté, place Vendôme, pour une revalorisation de l’aide juridictionnelle. Lionel Jospin était alors Premier ministre.

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