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Les crypto-monnaies : le futur peut-être, mais pas pour l’administration fiscale

Depuis plusieurs semaines (voire plusieurs mois pour les plus initiés) les monnaies virtuelles ou crypto-monnaies sont entrées dans le paysage médiatique à grands pas.

Par Maître Julien ALQUIER, Avocat en droit fiscal au Barreau de Nice, Chargé d’enseignement à l’Université Nice-Sophia-Antipolis, doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120)

Par l’intermédiaire de la monnaie la plus connue d’entre elles, le Bitcoin, qui a atteint son seuil historique à plus de 8 000$ l’unité (soit plus de 7 100€)
durant le mois de novembre 2017, les crypto-monnaies poussent les spécialistes de nombreux domaines à s’interroger sur l’impact futur de cette inflation. L’intérêt croissant de ces monnaies, qui sont au nombre de plusieurs centaines actuellement, est accru par leur acceptation dans de nombreux pays, mais également leur utilisation par de plus en plus d’entreprises.
Il s’agit d’un simple outil spéculatif pour certains, mais pour d’autres, les crypto-monnaies sont bien plus que cela.
Elles remettent en cause le système économique et monétaire actuel pour construire un système financier émancipé des institutions bancaires.
Mais si les monnaies virtuelles suscitent un engouement certain actuellement, il n’en demeure pas moins que l’administration fiscale s’est déjà penchée sur la problématique de leur imposition depuis plusieurs années.

Une fausse "nouveauté" pour l’administration fiscale

Un groupe de travail au sein de la cellule TRACFIN du ministère de l’Économie et des Finances a commencé à s’interroger sur la problématique des monnaies virtuelles dès l’année 2011.
Ainsi, le groupe de travail a remis ses recommandations en date du 10 juillet 2014 au ministre des Finances et des Comptes publics de l’époque, dans un rapport intitulé "L’encadrement des monnaies virtuelles".
Conséquence directe de ces préconisations, l’administration fiscale a, dès le lendemain par la production d’une instruction fiscale, mis à jour sa base
BOFIP-Impôt (Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts) de manière à clarifier le régime fiscal des monnaies virtuelles. Cette mise à jour confirme bien la volonté de l’administration fiscale d’envisager les crypto-monnaies comme une possible source de revenu qu’il convient, le cas échéant, d’imposer.

Une imposition sur le revenu

L’administration fiscale considère qu’une crypto-monnaie est une "unité de compte virtuelle" qui peut être valorisée et utilisée comme outil spéculatif et elle distingue deux cas de figure.
D’une part, les gains occasionnels tirés de la vente d’unités de compte virtuelles ou monnaies virtuelles stockées sur un support électronique, qui doivent être soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) en vertu des dispositions de l’article 92 du Code général des impôts (CGI).
D’autre part, si l’activité de vente d’unités de compte virtuelles est exercée à titre habituel telle que définie par l’article L. 110-1 du code de commerce, les gains réalisés par les crypto-monnaies relèvent du régime d’imposition des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en application de l’article 34 du CGI.

Une imposition sur le patrimoine

L’administration fiscale précise également dans son bulletin officiel datant de l’année 2014 que "les unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique entrent dans l’assiette de l’impôt de solidarité (ISF) définie par l’article 885 E du CGI".
De fait, les crypto-monnaies doivent figurer dans la déclaration annuelle d’ISF des redevables qui en possèdent pour être imposées à ce titre.
Cependant, l’imposition liée à l’ISF devrait disparaitre en 2018 puisque les députés ont voté en première lecture la suppression de l’ISF et son remplacement par un impôt sur la seule fortune immobilière.

Une imposition sur les donations

Toujours dans son instruction du 11 juillet 2014, l’administration fiscale clarifie la situation des donations en indiquant qu’en vertu des dispositions de l’article 750 ter du CGI, les transmissions à titre gratuit d’unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique sont également soumises aux droits de mutation à titre gratuit, et ce, sous réserve de l’application des conventions internationales.

Monnaie virtuelle, imposition réelle

En conclusion, les monnaies virtuelles sont imposables comme n’importe quels dépôts de toute nature, créances, comptes courants et avoirs en espèces qui peuvent générer des revenus et elles font l’objet de droits de mutation à titre gratuit en cas de donation ou de succession. Il convient donc d’attirer l’attention de tous les propriétaires de portefeuille de crypto monnaies : si ces dernières restent virtuelles, leur imposition ne l’est pas !
D’ailleurs, au regard de l’essor des monnaies virtuelles, et de l’anonymat possible lors de l’ouverture d’un compte en monnaies virtuelles sur certains sites de transaction, il est fort probable que la législation concernant les crypto-monnaies évolue rapidement.
En effet, le 24 mars dernier, la Direction Générale du Trésor ouvrait une consultation publique sur le la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique qui habilite le gouvernement à modifier le cadre législatif pour faciliter la transmission de certains titres financiers au moyen de la technologie "blockchain" utilisée pour la création d’une crypto-monnaie.
À l’issue de cette consultation portant sur les monnaies virtuelles, et plus particulièrement sur la gestion des titres non cotés provenant de levée de fonds fonctionnant via l’émission d’actifs numériques échangeables contre des crypto-monnaies ("Initial Coin Offering "ou ICO), la Direction Générale du Trésor devrait bientôt proposer au Gouvernement un projet d’ordonnance.

Visuel de Une : illustration DR

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