Les incidences de la (...)

Les incidences de la loi « Macron » sur le régime des sociétés d’exercice libéral

La loi du 31 décembre 1990 avait ouvert aux professions libérales la faculté de constituer des sociétés à risque limité (SA, SARL, SAS), sans pour autant se départir d’une certaine prudence, tenant notamment à assurer l’indépendance professionnelle des intervenants. Le législateur avait depuis lors fait évolué cette réglementation (en 1993, 1999, 2001, 2005, 2011, 2012), par touches successives et prudentes. La loi « Macron » y apporte des modifications moins prudentes.

En marge des SEL, à titre préalable, l’article 68 de la loi Macron modifie l’article 13 de la loi no 77-2 du 3 janvier 1977 relatif aux sociétés d’architectes. Il supprime la condition qu’un des associés au moins doit être une personne physique détenant 5 % minimum du capital social et des droits de vote qui y sont affectés. D’autre part, les sociétés d’architectes pourront ouvrir des succursales.

Ce sont les dispositions 1° à 10° de l’article 67-I qui modifient le régime des SEL, étant précisé que leur mise en oeuvre est renvoyée aux décrets relatifs à chaque profession.

Une première disposition générale prescrit qu’une fois par an, la société adresse à l’ordre professionnel dont elle relève un état de la composition de son capital social. Cela permettra à l’ordre de s’assurer que les conditions de l’agrément et de l’immatriculation demeurent respectées.

Pour le surplus, on trouvera ici les aspects les plus marquants des modifications que l’article 67-1 apporte au régime de la détention du capital social (I) et à celui de la gouvernance de ces sociétés (II).

Régime de la détention du capital social des SEL

Modifications de l’article 5 de la loi SEL

1. La compétence réglementaire sur l’organisation de la majorité « professionnelle »

Les deux premiers alinéas de l’article 5 de la loi sur les SEL sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés : « I. – Sous réserve de l’article 6 : « A. – Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l’intermédiaire des sociétés mentionnées au 4o du B du présent I, par des professionnels en exercice au sein de la société ; « B. – Le complément peut être détenu par : ….. ».

En substance, le changement est le suivant. L’article 6 vise les décrets en Conseil d’Etat propres à chaque profession qui peuvent déroger à l’article 5. Dans sa rédaction antérieure, la réserve de l’article 6 ne concernait que la part du capital autre que la majorité détenue par les professionnels en exercice. En plaçant la réserve de l’article 6 en facteur commun du « A » et « B » de l’article 5, la loi donne au pouvoir réglementaire la faculté de régir non seulement le complément à la majorité « professionnelle », mais aussi désormais cette majorité professionnelle elle-même.

2. L’intégration d’entités « européennes »

L’article 5-B définit donc les personnes qui peuvent détenir le complément à la majorité « professionnelle ». Il inclut désormais (5-6°) « toute personne physique ou morale légalement établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou dans la Confédération suisse qui exerce, dans l’un de ces Etats, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d’une qualification nationale ou internationale reconnue et dont l’exercice constitue l’objet social de la société et, s’il s’agit d’une personne morale, qui répond, directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une autre personne morale, aux exigences de détention du capital et des droits de vote prévues par la présente loi » .

Modifications de l’article 6 de la loi SEL (dérogations aux exigences de l’article 5)

L’article 6 fait entièrement l’objet d’une nouvelle rédaction.

1. Fait européen et SPF (article 6-I)

6. – I. – Par dérogation au A du I de l’article 5 :
« 1o Sauf pour les sociétés ayant pour objet l’exercice d’une profession de santé, plus de la moitié du capital et des droits de vote des sociétés d’exercice libéral peut aussi être détenue par des personnes, établies en France ou mentionnées au 6o du B du I de l’article 5, exerçant la profession constituant l’objet social de la société ou par des sociétés de participations financières de professions libérales dans les conditions prévues au II du présent article et au titre IV de la présente loi ;
« 2o Pour les sociétés ayant pour objet l’exercice d’une profession de santé, plus de la moitié du capital social des sociétés d’exercice libéral peut aussi être détenue par des personnes exerçant la profession constituant l’objet social ou par des sociétés de participations financières de professions libérales dans les conditions prévues au II du présent article et au titre IV de la présente loi ;
« 3o Pour les sociétés ayant pour objet l’exercice d’une profession juridique ou judiciaire, plus de la moitié du capital et des droits de vote peut aussi être détenue par des personnes, établies en France ou mentionnées au 6o du B du I de l’article 5, exerçant l’une quelconque des professions juridiques ou judiciaires.
On observe ainsi deux paramètres. Le premier tient à l’implantation géographique de l’associé, soit européenne, soit sans limitation ; le second tient à la possibilité, ou non, d’intervenir par la voie de sociétés de participations financières. Avec ces paramètres, la loi définit trois catégories de professions : 1°/ : la profession de santé « bénéficie » des deux paramètres les plus libéraux (SPF, intervenant pas nécessairement « européen » ; 2°/ les professions juridiques ou judiciaires « bénéficient » des deux paramètres restrictifs ; 3°/ les autres professions se voient affectées d’un paramètre libéral (SPF) et d’un paramètre restrictif (intervenant « européen »).

2. Condition d’actionnariat des associés majoritaires (article 6-II )

L’article 6-II nouveau dispose que la majorité du capital ou des droits de vote de la société d’exercice libéral ne peut être détenue : 1°o Sous réserve du III de l’article 31-1, par une société de participations financières régie par ce même article qu’à la condition que la majorité du capital et des droits de vote de cette société soit détenue par des personnes exerçant la même profession que celle exercée par les sociétés faisant l’objet de la détention des parts ou actions ; 2°o Sous réserve du III de l’article 31-2, par une société de participations financières régie par ce même article qu’à la condition que la majorité du capital et des droits de vote de la société de participations financières soit détenue par des professionnels exerçant la même profession que celle constituant l’objet social de la société d’exercice libéral.

Les articles 31-1 et 31-2 concernent les sociétés de participations financières, ou sociétés holding des professions libérales. Il est logique que la loi conserve l’exigence d’un enchainement des participations majoritaires de personnes exerçant la même profession.

3. Associés minoritaires (article 6-III)

L’article 6-III dispose que par dérogation au B du I de l’article 5 : 1°o Des décrets en Conseil d’Etat peuvent prévoir, compte tenu des nécessités propres à chaque profession, qu’une personne autre que celle mentionnée au même article 5 puisse détenir une part du capital ou des droits de vote, inférieure à la moitié de celui-ci, des sociétés constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées ou de sociétés d’exercice libéral à forme anonyme. Toutefois, pour celles de ces sociétés ayant pour objet l’exercice d’une profession de santé, la part du capital pouvant être détenue par toute personne ne peut dépasser le quart de celui-ci ; 2° Les statuts d’une société d’exercice libéral en commandite par actions peuvent prévoir que la quotité du capital détenue par des personnes autres que celles mentionnées audit article 5 peut être supérieure au quart, tout en demeurant inférieure à la moitié dudit capital.
Cette disposition reprend et développe quelque peu celle de l’ancien article 6. Le principe est posé que le pouvoir réglementaire peut, dans les limites indiquées, permettre que tout ou partie du capital non « majoritaire-professionnel » puisse être détenu par des personnes plus ou moins éloignées de la profession. On sait que ces dispositions suscitent la prudence, si ce n’est la méfiance des professions concernées.
Toutefois, l’article 6-V dispose que ce « III » n’est pas applicable aux professions juridiques ou judiciaires.

4. Pouvoir réglementaire de régulation (article 6-IV )

En vertu de l’article 6- IV, compte tenu des nécessités propres à chaque profession et dans la mesure nécessaire au bon exercice de la profession concernée, au respect de l’indépendance de ses membres ou de ses règles déontologiques propres, des décrets en Conseil d’Etat peuvent : 1°o Ecarter l’application des 1o et 2o du I du présent article ; 2 °o Pour les professions de santé, limiter le nombre de sociétés d’exercice libéral constituées pour l’exercice de cette profession dans lesquelles une même personne exerçant cette profession ou une même société de participations financières de professions libérales peut détenir des participations directes ou indirectes ; 3°o Limiter le nombre de sociétés d’exercice libéral constituées pour l’exercice d’une même profession dans lesquelles une même personne mentionnée au 1o du III peut détenir des participations directes ou indirectes ; 4°o Interdire la détention, directe ou indirecte, de parts ou d’actions représentant tout ou partie du capital social non détenu par des personnes mentionnées au A du I de l’article 5 ou aux 1o à 4o et 6o du B du même I, à des catégories de personnes physiques ou morales déterminées, lorsque cette détention serait de nature à mettre en péril l’exercice des professions concernées dans le respect de l’indépendance de leurs membres et de leurs règles déontologiques propres.
Le texte confère ainsi au pouvoir réglementaire la marge d’une régulation significative des exigences requises pour détenir des droits sociaux dans les SEL.
Toutefois, l’article 6-V dispose que ce « IV » n’est pas applicable aux professions juridiques ou judiciaires.

5. Régime du droit de vote double (article 67-I-6°)

L’article 8 de la loi sur les SEL est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les deuxième, troisième et quatrième alinéas du présent article ne sont pas applicables aux cas mentionnés aux 1o et 3o du I de l’article 6. » . Ces alinéas 2, 3 et 4 de l’article 8 disposent que par dérogation au droit commun des sociétés commerciales, le bénéfice d’un droit de vote double est exclusivement réservé aux actionnaires qui sont des professionnels exerçant dans la société. L’article 67-I-6° de la loi Macron a pour effet d’écarter cette restriction, donc de revenir au doit commun.

Régime de la gouvernance des SEL

Conseil d’administration (article 67-I-9°)

L’article 12 alinéa ler de la loi sur les SEL dispose que par dérogation au droit commun des sociétés commerciales, les organes dirigeants (mandataires sociaux et 2/3 des membres du CA ou du CS) doivent nécessairement être des associés (ou actionnaires) exerçant leur profession au sein de la société.

Cette disposition est écartée par l’article 67-1-9° soit totalement, soit partiellement.

Elle l’est totalement en faveur des sociétés ayant pour objet l’exercice d’une profession de santé dont plus de la moitié du capital et des droits de vote est détenue par des personnes, établies en France ou mentionnées au 6o du B du I de l’article 5, exerçant la profession constituant l’objet social de la société ou par des sociétés de participations financières de professions libérales dans les conditions prévues au II du présent article et au titre IV de la présente loi ;

Elle l’est partiellement, sous la réserve que le conseil d’administration ou le conseil de surveillance comprenne au moins un membre exerçant au sein de la société la profession constituant l’objet social de la société pour les sociétés ayant pour objet l’exercice d’une profession juridique ou judiciaire dont plus de la moitié du capital et des droits de vote est détenue par des personnes, établies en France ou mentionnées au 6o du B du I de l’article 5, exerçant l’une quelconque des professions juridiques ou judiciaires.

Associés commandités (article 67-I-10°)

L’article 13 concerne la société d’exercice libéral en commandite par actions ; son économie générale consiste à en réserver la gouvernance aux professionnels exerçant dans la société ; ou consistait … En effet, il est complété par deux alinéas ainsi rédigés : Lorsqu’il est fait application de la possibilité mentionnée au 1o du I de l’article 6, le premier alinéa du présent article n’est pas applicable. Lorsqu’il est fait application de la possibilité mentionnée au 3o du même I, le premier alinéa du présent article n’est pas applicable et au moins un associé commandité doit être une personne physique exerçant régulièrement sa profession au sein de la société. ;

La qualité de commandité est désormais accessible à la catégorie « des sociétés visées au 1 du I de l’article 6 ». Quant à la catégorie « des sociétés visées au 3° du I de l’article 6 », elle y échappe aussi, sous la réserve indiquée au texte.

Par Dominique Vidal,
Professeur émérite,
Avocat honoraire,
Arbitre agréé ICC, IEMA
[email protected]

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