LES ORDONNANCES MACRON :

LES ORDONNANCES MACRON : les changements en pratique !

Les cinq ordonnances ont été inscrites dans le Journal Officiel. Une partie des mesures s’appliquent dès la publication, comme le barème des indemnités prud’homales ou la réforme du télétravail, tandis que d’autres, comme la fusion des instances représentatives du personnel, nécessiteront des décrets d’application, qui seront publiés au plus tard le 31 décembre 2017. Néanmoins, si la réforme entre en vigueur immédiatement, elle n’aura force de loi qu’après avoir été définitivement votée par le Parlement.
Nous vous proposons ci-dessous de faire le point sur ces futurs changements.

Par Maître Emilie VOIRON, Avocate au barreau de Grasse Cabinet HARMONIA JURIS

1. On ne rédige plus de lettre de licenciement on remplit un formulaire CERFA

L’article L.1232-6 du Code du travail prévoit que désormais l’employeur peut procéder à la notification du licenciement par l’envoi d’un formulaire dans le même esprit que le formulaire CERFA de la rupture conventionnelle.
Cette disposition entrera en vigueur à compter du 1er décembre 2017.
Les employeurs pourront télécharger les formulaires directement sur le site www.service-public.fr
Jusqu’à présent il n’existait aucun modèle. Pourtant, de nombreuses mentions étaient obligatoires et les griefs devaient être détaillés dès la notification. Les juges de manière constante décidaient que le manque d’une simple mention pouvait correspondre à l’absence ou à l’insuffisance de motivation rendant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En pratique, cela signifie désormais que l’employeur n’aura plus à trembler d’oublier une mention qui rendrait sans cause réelle et sérieuse le licenciement, alors même que la rupture était effectivement fondée.
Le formulaire dispense-t-il pour autant l’employeur de toute motivation ? Suffira-t-il de cocher une case pour décrire les faits à l’origine de la rupture ?
À mon sens l’obligation de motivation n’a pas été supprimée puisque l’employeur sera tenu de répondre aux demandes de précisions du
salarié tel que prévu par l’article L.1235-2 du Code du travail sous peine de sanctions prévues par l’article L.1235-3 du Code du travail.

2. Fin du comité d’entreprise (CE), du Comité d’hygiène, sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués du personnel (DP) ?

La réforme prévoit la création d’un nouveau Comité intitulé Comité Social et Economique (CSE) qui recouvrirait les compétences des deux comités.
- Les entreprises de 11 à 49 salariés doivent mettre en place un Comité Social et Economique avec les compétences des délégués du personnel.
- Les entreprises comprenant plus de 50 salariés devront mettre en place un CSE qui aura les compétences du comité d’entreprise, du comité d’hygiène, sécurité et des conditions de travail et des délégués du personnel.
Dans l’attente de l’entrée en vigueur en 2020, les entreprises pourront solliciter la prorogation des mandats si les mandats actuels arrivent à échéance avant le 31 décembre 2019, ou créer sans attendre le nouveau comité.
En pratique c’est l’opportunité de renouveler ou non les interlocuteurs qui devra guider le choix.
En effet, l’employeur a l’obligation légale d’organiser de nouvelles élections à la fin de chaque mandat.
Les mandats pourront être prorogés sans nouvelles élections jusqu’à la création du CSE.
Dans le cas de nouvelles élections avant 2020, une opportunité de renouveau se présente pour l’entreprise pour favoriser le dialogue social avec la mise en place immédiate du CSE, avec notamment de nouveaux représentants intéressés par la naissance de ce système de fonctionnement et de l’efficacité des échanges qui résulteront de sa création au sein de l’entreprise. Cette motivation des salariés, ayant la volonté de devenir les nouveaux élus du CSE, pourra guider le choix d’une prorogation de mandat ou d’une mise en conformité anticipée de l’entreprise avec la réforme du droit du travail.

3. Le coût des expertises partagé avec le nouveau Comité

Jusqu’à la réforme, dans le cadre de l’analyse par le comité d’entreprise des comptes annuels la désignation d’un expert dans les conditions prévues par la loi était entièrement à la charge de l’employeur, sauf en cas de désignation d’un expert libre à la demande des salariées.
Désormais, les frais engendrés par le recours à des experts devront être réglés à hauteur de 20% (article L2315-75) par le Comité sauf en cas de risque grave et/ou de licenciement économique. En pratique, les élus non syndiqués vont avoir des difficultés à y faire face étant donné que le comité ne pourra pas utiliser son budget des œuvres sociales (destiné aux avantages dans le cadre des loisirs et autres pour les salariés) mais uniquement le budget de fonctionnement qui n’est alimenté qu’à hauteur de 0,2% de la masse salariale.
Le budget de fonctionnement est utilisé uniquement par le comité d’entreprise pour répondre à ses besoins de fonctionnement (fournitures, formations..).
Les contentieux sur la contribution patronale et sur la notion de risque grave vont redevenir centraux.

4. Un accord collectif décidé par référendum en dehors des syndicats

En pratique, les petites entreprises ne pouvaient pas mettre en place des règles collectives notamment sur la modulation annuelle du temps de travail sans l’aide des syndicats.
Le nouveau texte permet de proposer un accord collectif aux salariés et de le faire appliquer dès lors qu’il est accepté par les deux tiers d’entre eux au cours d’un référendum.
Ce mode de négociation sera aussi possible dans les entreprises ayant entre 11 et 20 salariés qui n’ont pas de délégué syndical (DS), mais qui sont également dépourvus de membre élu du comité social et économique.

5. Un grand groupe peut prêter ses salariés aux startups

L’article L8241-3 du Code du travail va permettre aux jeunes entreprises de solliciter les groupes de plus de 5 000 salariés pour qu’ils mettent à leur
disposition leurs salariés.
Ainsi, les jeunes entreprises pourront bénéficier des compétences à forte valeur ajoutée sans être freinées par les démarches et le coût d’un recrutement ainsi que par la problématique de la durée du contrat et de sa
rupture. Cette opération s’effectue à condition qu’elle soit à but non lucratif pour la société prêteuse. Les jeunes sociétés, telles que les startups, n’ont pas la capacité de supporter la charge financière d’une facturation intégrale. Cette facturation intégrale n’apparaît d’ailleurs dans aucun texte de loi actuellement. L’entreprise prêteuse devait uniquement facturer les salaires, les charges sociales afférentes et les éventuels frais professionnels remboursés au salarié (article L 8241-1).
Le gouvernement veut alléger ce dispositif, ainsi l’entreprise prêteuse pourrait ne pas facturer ou ne facturer qu’une partie des charges sociales et des salaires à l’entreprise utilisatrice (Rapport AN n°19, p227, rapport Sénat n°663, p118).

C’est une forme de mécénat de compétences qui est visé et encouragé par le gouvernement.
Le prêt de main-d’œuvre vise essentiellement des cadres supérieurs avec de fortes qualifications, capable d’agir, de superviser et de "former" au cours de la mission les salariés de l’entreprise qui bénéficie de cette réglementation. En pratique les cabinets de recrutement vont pouvoir étendre leur fichier de compétences. 

6. Comment contourner le barème des indemnités ?

Désormais les dommages et intérêts attribués dans le cadre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont plafonnés.
Ce barème s’applique aux licenciements prononcés après la publication de l’ordonnance.
Il existe toutefois des exceptions.
Aucun plafonnement n’est applicable lorsque le licenciement est nul ou discriminatoire.
Le licenciement est nul lorsqu’il est prononcé pour un motif discriminatoire ou violant une liberté fondamentale (article L 1132-1 à L1132-4 du code du travail).
Si ces deux cas sont très encadrés par la jurisprudence, une autre exception risque d’ouvrir un nouveau contentieux, celle du salarié licencié parce qu’il aurait dénoncé des crimes et délits dans les conditions de l’article L1132-3-3 et non L1232-3-3 du Code du travail.
Les salariés vont ainsi être plus enclins à dénoncer des crimes et délits pour contourner les règles du plafonnement.
En effet, on peut supposer à juste titre que le contentieux des licenciements s’orientera vers une requalification par le juge des motivations de l’employeur.

7. Un contrat de chantier dit contrat d’opération dans les sociétés de services ?

L’idée est de permettre à des entreprises d’embaucher en CDI, notamment des ingénieurs ou des chefs de projets, pour des missions à durée déterminée sans terme précis.
Il y a donc une clause de rupture prédéterminée : la fin du chantier ou du projet sur lequel le salarié a travaillé.
Initialement, seul le bâtiment et les travaux publics pouvaient s’en prévaloir. Cette pratique s’est étendue à d’autres professions, telles que la réparation navale, le cinéma, l’aéronautique, la construction mécanique, les bureaux d’études (rapport AN n°19, p221).
Il ne faut pas le confondre avec le CDD dit "de mission" ou "de projet" qui permet une embauche d’un an et demi à trois ans réservée aux ingénieurs et cadres, autorisé par accord collectif de branche étendu, ou à défaut, d’entreprise.
La principale différence réside dans les indemnités de précarité que le salarié peut toucher avec le CDD "de mission" ou "de projet"mais pas avec le nouveau CDI de chantier ou d’opération. Le salarié pourra par contre bénéficier, le cas échéant, d’une indemnité de licenciement.
La fin du chantier avec le nouveau CDI (pour lequel le contrat a été conclu) donne lieu à un licenciement pour motif personnel. Selon les secteurs, les règles de fin de contrat varient, entre :
- Pour les branches du bâtiment et des travaux publics, les licenciements de fin de chantier doivent donner lieu à la consultation des représentants du personnel.
- Pour les autres secteurs, des garanties et des mesures plus
favorables sont prévues comme l’obligation préalable de chercher un autre chantier pour le salarié avant son licenciement, priorité de réembauche pendant 1 an, indemnité de licenciement doublée, etc (Rapport AN n°19, P 222 et 223).
En conséquence, la pratique des missions et des périodes d’inter-contrats est vouée à évoluer.
Actuellement, la période d’inter-contrat est une période d’attente entre deux interventions du salarié chez les clients de l’entreprise.
Pendant l’inter-contrat, le contrat de travail n’est pas suspendu, le salarié reste en contrat. Le salarié garde sa rémunération mais
l’employeur n’a pas à maintenir les frais de déplacement et les primes sur objectifs. Le salarié peut également être affecté en adéquation avec ses qualifications et sa classification, dans les locaux de l’entreprise ou à son domicile (sous condition de rester joignable pendant les heures d’ouvertures de l’entreprise et disponible pour une nouvelle mission).
Cette situation ne peut perdurer dans le temps, elle doit être temporaire et le salarié ne peut pas être licencié en raison de la persistance de cette situation.
Avec les contrats d’opération les entreprises, notamment les SSII, obtiendraient une gestion plus flexible des inter-contrats.
Effectivement, à la fin d’une mission les consultants en CDI de projet pourront être licenciés simplement plutôt que d’attendre une nouvelle affectation.

Photo de Une : Emilie Voiron est Avocate associée aux côtés de Maître Gilles Balaguero - Cabinet HARMONIA JURIS. (DR)

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