Maître Bigand : Avec (...)

Maître Bigand : Avec la médiation, du "cousu main" pour les parties

Nommée récemment présidente de l’association Alpes-Maritimes Médiation, Guillemette Bigand, avocate au Barreau de Grasse, défend les nombreux avantages de la médiation.

Les médiateurs interviennent pour tenter de résoudre des problèmes dans tous les domaines de la vie professionnelle et de la vie privée : entreprise, immobilier, famille, voisinage, relations avec l’administration.
La médiation peut être conventionnelle (extra-judiciaire) ou judiciaire.

Quel est le rôle d’un médiateur ?

- Un médiateur doit être neutre et impartial. Contrairement au conciliateur, il n’a pas à donner son avis. Il n’a pas à guider les parties vers une solution. Le médiateur doit aider à trouver une solution satisfaisante pour chacune des parties selon une méthode et un processus très structurés. Sa mission essentielle est de faire respecter le cadre de la médiation, c’est-à-dire les règles élémentaires, les principes, notamment la confidentialité des débats qui est un gage de réussite. Il faut que les échanges se fassent, dans la mesure du possible, avec une certaine pondération dans les propos. Au sein d’Alpes-Maritimes Médiation, nous avons le souci de la qualité et de la compétence de nos médiateurs et du respect des règles déontologiques : nous y veillons au moment de leur adhésion et ensuite en leur proposant régulièrement des formations.

Est-ce que vous pouvez nous parler de la méthode ?

- On dit que chaque médiateur a sa méthode, en fonction de sa personnalité et chaque médiateur a sa façon de procéder. La médiation, c’est à la fois la souplesse et la gestion de l’imprévu. On ne sait jamais comment cela va se passer. On amène les personnes à parler de manière authentique. Les grands maîtres de la médiation disent qu’il y a plusieurs méthodes, plusieurs courants. Ici, les médiateurs en général utilisent la méthode Fiutak (du nom de Thomas Fiutak, spécialiste américain de la médiation, ndlr) méthode que l’on applique aussi en négociation "raisonnée". Mais certains médiateurs de notre association n’appliquent pas du tout cette méthode et ce sont d’excellents médiateurs.

Quels sont les taux de réussite ?

- En médiation, on est un peu moins focalisé sur les résultats parce que même si on a l’impression qu’une médiation a échoué, elle fait toujours évoluer les parties vers une solution grâce à la restauration du dialogue. Cela les fait réfléchir. Pour les médiations conventionnelles, les parties ont déjà une démarche volontaire. Dans ces cas-là, on est à peu près à deux tiers de réussite. Pour les médiations judiciaires, c’est un peu plus compliqué. On a à peu près 50% des personnes qui acceptent d’entrer en médiation et sur ces 50%, comme on retrouve la même volonté que pour une médiation conventionnelle, on est là aussi à deux tiers de réussite. C’est plutôt satisfaisant. Quand les parties choisissent la médiation c’est parce qu’elles ont vraiment envie de résoudre le litige, en partenariat avec l’autre et non pas en opposition systématique.
Notre rôle est de les accompagner dans cette démarche.

Combien de temps peut durer une médiation ?

- En général, il y a deux réunions, de deux heures environ. C’est à la deuxième réunion, en moyenne trois semaines après, que l’on voit si on peut réellement continuer à discuter ou si les personnes vont rester sur leurs positions.
Au premier stade, on pose les problèmes et on voit les questions qui se posent.
Au deuxième stade on demande pourquoi on en est arrivé là, pourquoi il y a cette situation de blocage. Souvent, c’est un problème de communication.
Le but principal du médiateur est alors de rétablir une communication directe entre les parties qui se sont éloignées. On met tout cela de côté, on reprend les choses au départ et on les fait parler de leur propre ressenti sur les problèmes et sur les raisons pour lesquelles le problème existe.
Il y a une troisième phase après avoir expliqué le quoi et le pourquoi, il s’agit du comment. "Qu’est-ce que vous proposez ?". Cette troisième phase a lieu lors de la deuxième réunion et on voit s’il y a une véritable volonté de faire des propositions acceptables.

Est-ce que le médiateur peut parfois proposer une solution ?

- Le médiateur ne propose pas de solutions. Il va, par son questionnement, amener les parties à suggérer des solutions. Il faut savoir que la plupart du temps, en médiation judiciaire, les conseils sont présents et leur rôle est très important. Les avocats ont tout avantage à recourir à la médiation. D’abord parce que leur rôle est entier, au niveau des propositions et de la rédaction de l’accord. Ils jouent un véritable rôle d’accompagnement de leurs clients. C’est une démarche différente mais pour laquelle ils gardent toute liberté puisqu’il y a le médiateur, tiers neutre et impartial qui est là pour permettre aux personnes de dialoguer dans un cadre bien défini.

Vous avez un partenariat avec le Barreau de Grasse. Quel est le but de votre permanence à la Maison de l’Avocat ?

- C’est principalement de sensibiliser les confrères sur les intérêts et les atouts d’une médiation. Le principal intérêt, c’est la rapidité. On se donne trois mois pour trouver un accord. Et quand il s’agit d’une médiation judiciaire, c’est renouvelable une fois. Par rapport aux délais judiciaires, c’est une sacrée amélioration. Les avocats ont la possibilité de répondre aux besoins de justice dans un délai court et avec un coût maîtrisé. Ils fidélisent ainsi leur clientèle et je leur dis : "C’est une occasion pour vous de proposer à vos clients une solution rapide, efficace, librement consentie et dans un cadre juridique". Financièrement aussi ils s’y retrouvent, même s’ils pensent que dans une procédure qui dure trois ou quatre ans, la facturation sera plus importante. L’avocat a tout à y gagner : une valorisation de son image et un honoraire fixé de la même manière, notamment en fonction du résultat.

Les médiateurs doivent-ils parfois agir comme des psychologues ?

- Dans les 200 heures de formation, les techniques de la communication non violente sont utilisées. On ne fait pas de la psychologie mais on travaille sur les méthodes de communication. Il y a des ateliers de reformulation. L’objectif est de faire entendre à une partie ce que l’autre lui dit. Ils partent parfois de très loin mais on arrive à trouver des petits points de convergence.
On commence quelquefois en disant : "Si je comprends bien, vous êtes d’accord sur vos désaccords". On s’aperçoit que derrière les problèmes, il y en a d’autres, beaucoup plus personnels. C’est là où on travaille sur les émotions. Si la personne n’a pas l’impression d’avoir été écoutée réellement, profondément, elle ne va pas coopérer, elle aura toujours des blocages dans la discussion. Le tribunal, lui, n’a plus le temps d’écouter. Quand les personnes se sentent écoutées et comprises, elles ont une autre approche, à la fois de leur problème et du problème de l’autre.

Il ne s’agit donc pas seulement d’une solution pour décharger les tribunaux ?

- Les gens ont un besoin de justice. Et le médiateur, tout comme l’avocat quand il propose la médiation ou un autre mode de règlement amiable répond à ce besoin de justice. La démarche est moins contraignante, plus
rapide, et surtout, va leur apporter une solution "cousue main", totalement personnalisée, ce que ne pourra jamais faire un jugement.

Pourquoi la médiation met-elle autant de temps à s’imposer en France ?

- Je pense que ce n’est pas dans la mentalité française, et encore moins dans notre région où l’on est un peu procédurier. On a du mal à se remettre en question. L’année 2019 a été un tournant car le législateur a prévu cette injonction de rencontrer le médiateur, ce qui existait en matière familiale depuis plus longtemps. C’est devenu possible en toutes matières, en matière judiciaire et en matière administrative. En matière administrative on a des taux de réussite qui sont moindres parce qu’avec les collectivités locales et les administrations, c’est compliqué à mettre en place. On n’a pas toujours le même interlocuteur et l’interlocuteur n’est pas toujours le décideur. C’est beaucoup plus efficace entre particuliers. Dans l’esprit des gens, la médiation va nécessairement entraîner des concessions… Mais pas du tout, on va régler le problème d’une autre façon.

Propos recueillis par Sébastien GUINÉ

Les textes qui ont fait avancer la médiation


- La loi du 8 février 1995 et le décret du 22 juillet 1996 ont introduit la médiation dans le Code de procédure civile.
- L’ordonnance du 16 novembre 2011 a fixé un cadre général à la médiation et en a donné une définition : "tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige".
- Le décret du 11 mars 2015 a favorisé le recours aux modes alternatifs de résolution des différends (MARD), dont la médiation. Selon l’article 18, notamment, "Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige".
- Depuis la loi du 18 novembre 2016, modifiée par la loi du 23 mars 2019, il est dans certains cas obligatoire de recourir à un mode de résolution amiable des différends préalablement à la saisine du juge. C’est le cas pour les demandes dont le montant n’excède pas 5 000 euros ou qui concerne un conflit de voisinage. Si cette obligation n’est pas remplie, le juge déclarera la demande irrecevable. De même, ladite loi prévoit la possibilité pour le juge d’enjoindre les parties à rencontrer un médiateur pour être informé gratuitement sur la médiation, et ce, en toute matière et même en référé.
-  La loi du 22 décembre 2021 a créé le Conseil national de la médiation.
Ses missions sont de "rendre des avis dans le domaine de la médiation", de "proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation" ou encore de "proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs"..

Photo de Une : Me Bigand est membre de l’association depuis ses débuts et elle en est la présidente depuis le 1er janvier 2022. ©S.G

deconnecte