Maître Seguin, présidente

Maître Seguin, présidente de l’ADAIPE : "l’État ne met pas à notre disposition de moyens de protection"

Depuis le début de la crise sanitaire et du confinement, la situation des avocats pénalistes azuréens, qui assument leurs missions de défense des prévenus, évolue dangereusement. Maître Marie Seguin, avocate au Barreau de Nice et présidente de l’ADAIPE (Association des avocats intéressés par le droit pénal) décrypte pour nous ces permanences pénales à haut risque et ses inquiétudes quant aux aménagements légaux prévus par la Loi d’urgence.

Comment s’organise votre activité depuis le début du confinement ?

En matière pénale, seules les audiences avec des mesures coercitives sont conservées. Si on a une audience correctionnelle avec des détenus, ne sera traité que ce que l’on fait du mandat de dépôt du détenu jusqu’à une nouvelle date d’audience. Tous les dossiers sont renvoyés.
Les seuls débats qui se tiennent sont ceux sur les mesures de contrôle judiciaire ou de détention. Après se tiennent aussi les débats de prolongation de détention provisoire en termes d’instruction.
Quid de ce qu’il en sera dans les prochains jours puisque la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a sorti une ordonnance la semaine dernière. Du fait, impossible de savoir comment vont être organisés les débats qui n’étaient pas encore fixés. Ceux qui l’étaient avant confinement se tiennent avec les détenus en visioconférence. En revanche, il n’y a plus d’extraction de la maison d’arrêt. C’est une organisation un peu complexe, car nous nous devons de conserver la confidentialité de nos échanges et pourtant nous sommes soumis à des moyens de télécommunication judiciaire.

Comment gérez-vous la situation avec vos clients ?

Au début, la ministre la justice a indiqué qu’elle fermait les parloirs pour les familles ainsi que l’accès aux maisons d’arrêt pour les intervenants extérieurs. Je ne cache pas que nous avons en tant qu’avocat considéré faire partie de ces intervenants. Sauf qu’il s’avère que les parloirs avocats restent toujours ouverts dans certains établissements. L’intervenant extérieur étant un vecteur de contamination, il me semble inadéquat et dangereux de se rendre dans un parloir faisant environ un mètre carré, ce qui nous conduit à rencontrer des détenus eux même enfermés dans des cellules avec parfois deux ou trois autres condamnés et donc dans l’irrespect total de la distanciation sociale. Donc je trouve qu’il est un peu risqué de se rendre dans un parloir avocat...

Est-ce que l’on vous propose des moyens de protection ?

Le bâtonnier de Nice Thierry Troin a acheté des gants, des masques et du gel pour que les permanences pénales puissent se tenir.
Il y a un avocat de permanence pour la journée qui prend tout le contentieux qui arrive puisqu’il peut y avoir des comparutions immédiates ou des ouvertures d’instructions. Cette personne dispose de moyens de protection mis à sa disposition par l’Ordre, mais pas par l’État avec un bâtonnier qui dit très clairement que lorsque l’Ordre n’aura plus de matériel de protection, il ne désignera plus pour ne pas mettre en danger ses avocats.
Après je vais honnête, l’État ne met pas à notre disposition de moyens de protection. Donc c’est à nous de faire le nécessaire par nos propres moyens. La semaine dernière j’ai dû acheter des gants et je suis allée à la Cour avec du désinfectant pour nettoyer la barre avant de m’installer et faire face à des magistrats qui avaient quelques moyens de protection trouvés par eux-même également.
Au niveau du ministère de la Justice on ne nous donne rien. On nous dit de continuer parce qu’il faut qu’au niveau des détentions ça fonctionne mais on ne nous donne aucun moyen.

Vous continuez à recevoir de nouveaux clients ?

Non pas à mon cabinet, en revanche des gens m’appellent donc j’essaye de gérer par téléphone en fonction des cas.

Pensez-vous que le confinement porte atteinte aux droits de la défense ?

Au niveau des personnes non jugées, oui. Dans l’ordonnance de Mme Belloubet il y a deux phases.
Tout d’abord, les condamnés peuvent avoir droit à une réduction de peine supplémentaire de deux mois pour confinement s’ils n’ont pas participé à des émeutes, s’ils n’ont pas été condamnés pour terrorisme, crimes ou délits liés aux violences conjugales. Les personnes en fin de peine peuvent être assignées à résidence s’il leur reste moins de deux mois. Donc à ce niveau-là on garde encore quelques droits de la défense même si tout se passe hors débat et que l’on a un rôle limité à la requête qu’on va déposer.
En revanche pour tout ce qui est "avant condamnation", nous avons des juges de la liberté de la détention qui vont pouvoir prolonger sans nous sur des délais plus longs qu’à la normale. En effet pour les instructions en cours le JLD peut statuer hors débat sur les seules instructions écrites du parquet et les observations de l’avocat. Sur les fins de délais de détention, il peut prolonger au-delà seul. Dans le cadre des comparutions immédiates si les prévenus demandent un délai préparatoire à leur défense et qu’il est placé en détention, le temps du mandat de dépôt est rallongé par rapport à la normale. Là où nous avions de la collégialité, le juge peut décider de statuer seul. En conclusion je pense qu’il y a un gros recul des droits de la défense.

Êtes-vous pour un arrêt de l’activité judiciaire durant cette période exceptionnelle ?

Au pénal, les audiences ne se tiennent pas et c’est très bien parce qu’on ne peut pas mettre des gens dans un box ou quatre avocats sur le banc de la défense. Après je ne pense pas qu’il faille arrêter les audiences dans lesquelles on a des mises en liberté possibles, mais il faut permettre à l’avocat d’être présent à chaque fois et d’avoir des moyens de protection. La personne lorsqu’elle a la prolongation de son mandat de dépôt devant un juge des libertés de la détention, c’est un débat contradictoire où l’on peut envisager la prolongation mais aussi la sortie. Donc arrêter tout, non je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça parce qu’il faut s’occuper des personnes en détention, on ne peut pas fermer la porte, jeter la clé et dire, bon on se reverra après le confinement.

Vous n’avez pas peur de voir apparaître de nombreuses complications judiciaires dans les mois à venir ?

Certainement puisque l’ordonnance de Mme Belloubet du 25 mars va être valable jusqu’à un mois après la fin du confinement, alors même qu’elle écarte l’avocat du débat et qu’elle rallonge le délai de détention. Ajouté à cela le fait qu’elle prévoit en garde à vue l’entretien par téléphone. J’espère que certaines mesures ne seront pas conservées plus tard et qu’on ne s’habituera pas à ce mode de fonctionnement sans l’avocat ni débat parce que ce serait un vrai recul des droits de la défense.

Propos recueillis par Kévin Sanchez

Photo de Une : Me Seguin lors d’une récente formation pénale de l’ADAIPE à Nice en février 2020 avec Me Baudoux. (Illustration- DR ADAIPE)

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